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09/03/2012

La mondialisation, une des principales causes de la crise

 

« (...) la nouvelle grappe technologique allait permettre, non pas de renouer avec un fordisme classique, mais un fordisme par de tout autres moyens : la mondialisation. L’informatisation peut certes développer l’automation, mais elle peut surtout mondialiser la chaîne de fabrication, une chaîne constituée de segments reliés par de l’informatique (logiciels et internet) et des containers, qui assurent la logistique planétaire comme les bandes transporteuses, machines transferts, et autres chariots filoguidés, assuraient naguère la logistique de l’atelier serti dans l’Etat-nation. Les coûts d’information et de transaction devenus proches de zéro, associés à des coûts de transports très abaissés par le fordisme des instruments de déplacement – pensons, à titre d’exemple, à la logistique portuaire entièrement normalisée et fordisée – permettent une chaîne de fabrication mondiale dont chaque segment voit ses coûts optimisés, en fonction des conditions locales d’insertion, et dont l’ensemble n’est que peu pénalisé par l’éloignement des divers éléments, ou celui des lieux de consommation. Avec un fordisme nouveau faisant apparaître de nouvelles divisions du travail et des spécialités nouvelles pour des pays qui vont jouer la carte de ce qu’on appelle la globalisation : modèle "cargo export"  pour la Chine, du "workshop" pour les exportateurs de main-d’oeuvre (Philippines, Mexique), de la rente minière pour les exportateurs de matières premières (Russie, Australie), etc. D’où un fordisme complètement renversé qui se met en place : l’ancienne cohérence production/débouché n’est plus recherchée, elle est au contraire combattue puisque ces mêmes débouchés deviennent, par la magie de la mondialisation, indépendants des conditions de la production. Par la recherche des bas salaires, par celle des coûts environnementaux les plus faibles dont bien sûr la fiscalité, l’ancienne cohérence nationale laisse la place à ce qui fut la montée de l’incohérence des années 20 aux USA, cette fois au niveau mondial : les possibilités de la production vont se heurter de façon croissante à l’étroitesse des débouchés.

Mais à ce nouvel ensemble fortement générateur de gains de productivité, il faut associer une autre logistique, celle de la finance qui se doit d'être aussi normalisée que le sont les containers. A la fluidité des moyens logistiques doit correspondre la fluidité des moyens financiers, fluidité reposant sur de communs outils : l’informatique. Cette fluidité est d’abord celle de la monnaie qui devient en quelque sorte aussi normalisée que l’industrie mécanique du début du vingtième siècle : les différentes monnaies doivent être parfaitement convertibles et ce, sans limitation. Tout contrôle des changes serait l’équivalent d’une panne sur la nouvelle chaine fordienne devenue planétaire. Curieusement, le choix du taux de change fixe est repoussé au profit de la libre fixation des prix : il y a tant à gagner pour la finance. Il faut aussi assurer la dérégulation financière, et permettre la complète libre circulation du capital et de tous les outils qui l’accompagnent. Tout manquement en la matière, reviendrait aussi à briser le plein épanouissement de la chaîne fordienne planétaire.

De fait, nous comprenons que cette mondialisation suppose désormais une présence beaucoup plus importante du monde financier, ce qui signifie aussi la mise en concurrence des systèmes financiers nationaux. D’où une très forte demande pour mettre fin, plus particulièrement en France, à la répression financière de jadis. D’où aussi la volonté de pouvoir disposer de cette matière première irremplaçable, qu’est cet actif très liquide appelé dette publique. Nous comprenons par conséquent qu’avec le mondialisme comme solution à la crise du fordisme, les banques centrales ne sauraient être oubliées et vont devenir la clef de voûte du nouveau système fordien : elles doivent garantir la logistique financière, être proches des opérateurs financiers et en contrepartie plus éloignées d’un Etat dont le souci n’est plus le noircissement de la matrice des échanges interindustriels. L’indépendance est au bout du chemin. Quant à l’Etat, il gérera sa dette publique en mode marché.

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05/03/2012

Cornelius Castoriadis sur « La montée de l'insignifiance » (1996)

 

03/03/2012

Révolution, un mot tabou

 

C’est fou comme les Révolutions française et russe obnubilent l’imaginaire collectif de la « droite nationale »

Rien que de parler de révolution, c’est déjà tabou.

La révolution, n’est-ce pas, c’est mal. Cela ne peut se faire que dans un seul sens, celui de la subversion et du pourrissement, et certainement pas pour nous sauver.

Nous, nous devons attendre des réformes progressives, une intervention divine (« la France, fille aînée de l’Eglise »…) ou encore un homme providentiel (mais qui nous convienne à 100%, hein, pas un type avec des aspérités…).

Nous sommes, depuis deux siècles, dans l’analyse des causes, le calcul politicien et l’esthétique de la nostalgie. Nous dormons dans le formol et rêvons à un miracle. Puisse notre mort être noble et douce. En pleine démobilisation critique, mais avec la conscience de notre supériorité morale.

Voilà pourquoi je ne crois pas à la « droite nationale ».

Voilà, aussi, pourquoi je crois à la révolution, parce que le peuple, lui, n’en a rien à faire, de la « droite nationale ».

Il veut vivre, lui, pas juste poser au réformiste, au révolté et à l’éternelle victime. On le verra quand ses ressources seront directement entamées et que les Sarkozy et les Hollande devront prendre la fuite, faute d’argent pour continuer d’acheter la paix sociale.

Peut-être alors, quand même, serait-il bon d’avoir une alternative à lui proposer et des gens pour la porter.

28/02/2012

Pierre-Joseph Proudhon sur le crédit

Jacob Emile Pereire, un des grands financiers du XIXe siècle en France

 

Ces lignes, extraites de l'Idée générale de la Révolution au dix-neuvième siècle, déjà cité, ont 160 ans :

« De toutes les forces économiques, la plus vitale, dans une société que les révolutions ont créée pour l’industrie, c’est le crédit. La bourgeoisie propriétaire, industrielle, marchande, le sait bien : tous ses efforts depuis 89, sous la Constituante, la Législative, la Convention, le Directoire, l’Empire, la Restauration, la monarchie de Juillet, n’ont tendu, au fond, qu’à ces deux choses, le crédit et la paix. Que n’a-t-elle pas fait pour se rallier l’intraitable Louis XVI ? Que n’a-t-elle pas pardonné à Louis-Philippe ? — Le paysan le sait aussi : de toute la politique il ne comprend, comme le bourgeois, que ces deux choses : la diminution de l’usure et de l’impôt. Quant à la classe ouvrière, si merveilleusement douée pour le progrès, telle est l’ignorance où elle a été entretenue sur la cause réelle de ses souffrances, que c’est à peine si, depuis février, elle commence à bégayer le mot de crédit et à voir dans ce principe la plus grande des forces révolutionnaires. En fait de crédit, l’ouvrier ne connaît que deux choses : la taille du boulanger et le Mont-de-piété.

Le crédit est à une nation vouée au travail ce que la circulation du sang est à l’animal, l’organe de la nutrition, la vie même. Il ne peut s’interrompre que le corps social ne soit en péril. S’il est une institution qui, après l’abrogation des droits féodaux et le nivellement des classes, se recommandât avant toute autre aux législateurs, assurément c’était le crédit. Eh bien ! aucune de nos déclarations de droits, si pompeuses ; aucune de nos constitutions, si prolixes sur la distinction des pouvoirs et les combinaisons électorales, n’en a parlé. Le crédit, comme la division du travail, l’application des machines, la concurrence, a été abandonné à lui-même ; le pouvoir financier, bien autrement considérable que l’exécutif, le législatif et le judiciaire, n’a pas même eu l’honneur d’une mention dans nos différentes chartes. Livré, par un décret de l’empire du 23 avril 1803, à une compagnie de traitants, il est resté jusqu’à ce jour à l’état de puissance occulte ; à peine si l’on peut citer, en ce qui le concerne, une loi de 1807, laquelle fixe le taux de l’intérêt à cinq pour cent. Après comme avant la révolution, le crédit s’est comporté comme il a pu, ou, pour mieux dire, comme il a plu aux détenteurs en chef du numéraire. Du reste, il est juste de dire que le gouvernement, en sacrifiant le pays, n’a rien réservé pour soi ; comme il faisait pour les autres, il a fait pour lui-même : à cet égard nous n’avons rien à lui reprocher.

Qu’est-il résulté de cette incroyable négligence ?

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26/02/2012

La dette infinie

Sandro Botticelli, La punition des usuriers, illustration pour L'Enfer de Dante
(vers 1480-1495)

 

Un bon résumé de la situation, malgré quelques imprécisions mineures :

« En 55 avant notre ère, Cicéron écrivait : "Le budget devrait être équilibré, les finances publiques devraient être comblées, la dette publique devrait être réduite, l’arrogance de l’administration devrait être abolie et contrôlée et l’aide aux pays étrangers devrait être diminuée de peur que Rome ne tombe en faillite" [en fait, cette citation est fausse, l'auteur n'est pas le premier à s'y laisser prendre, mais passons... Boreas]. Il y a longtemps que la classe politique ne lit plus Cicéron ! Depuis la fin des années 1970, la plupart des pays industrialisés sont entrés dans un régime de dette permanente, dont même les périodes de forte croissance économique n’ont pas permis de sortir.

La dette mesurée est celle des administrations publiques, qu’on appelle "dette souveraine" ou "dette publique". La dette publique "au sens de Maastricht", mesurée en valeur nominale (et non en valeur de marché), se définit comme le total des engagements financiers des Etats contractés sous forme d’emprunts résultant de l’accumulation, au fil des années, d’une différence négative entre leurs rentrées et leurs dépenses ou leurs charges. Elle concerne trois secteurs : les administrations centrales, c’est-à-dire l’Etat proprement dit, les administrations locales (collectivités territoriales, organismes publics, etc.) et les régimes de Sécurité centrale.

Le traité de Maastricht (1992) avait adopté comme principes que le déficit des Etats membres de l’Union européenne ne devait pas dépasser 3 % du produit intérieur brut (PIB) et que leur dette publique devait rester inférieure à 60 % du PIB. Ces objectifs n’ont pas été atteints. Globalement, la dette publique dans la zone euro a augmenté de 26,7 % depuis 2007. Elle représente aujourd’hui 80 % du PIB global de la zone. Mais il ne s’agit là que d’une moyenne. En 2011, huit pays de l’Union européenne affichaient une dette supérieure à 80 % de leur PIB : la Hongrie et le Royaume-Uni (80,1 %), l’Allemagne (83 %), la France (85 %), le Portugal (92 %), la Belgique (97%), l’Italie (120 %) et la Grèce (160 %). Les Américains ne se portent pas mieux : à l’heure actuelle, toute dépense publique faite aux Etats-Unis est financée à hauteur de 42 % par l’emprunt !

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25/02/2012

Les « sauvages », c'est nous

Albert Bierstadt (1830-1902) : Campement indien, tard dans l'après-midi (1862)

 

J'ai écrit ailleurs que libéralisme et communisme se réclament tous deux d’une « philosophie » qui, finalement, a tout d’une religion laïcisée.

Deux remarques complémentaires.

 

Primo, à lire les modernes sectateurs des « sciences » et de la technologie, on se rend compte qu’ils prennent vraiment leurs lointains aïeux pour des crétins.

Croient-ils vraiment que l’héliocentrisme est une découverte de la Renaissance ? Croient-ils vraiment que les Anciens l’ignoraient, vu la somme de leurs connaissances par ailleurs, et que l’Almageste soit l’oeuvre d’une espèce d’Hubert Reeves de l’Antiquité, qui n’avait d’autre priorité que l’astronomie ?

On peut se rendre compte, notamment ici, de l’ampleur de notre ignorance, concernant quantité de questions dont le scientisme à la mode prétend avoir fait le tour, alors qu’en réalité, nous sommes un peu (mais sans l’innocence requise) comme Alice rencontrant le Lapin blanc.

Pour le monde ancien (et je schématise volontairement), ce que les Grecs appelaient les Archétypes est une réalité, sur tous les continents.

On a, par exemple, une trace encore vivante de l’origine chamanique de cette perception des choses, chez les Aborigènes d’Australie et leur Alcheringa, le « Temps du Rêve », pour l’explication duquel je renvoie aux livres d’Elvezia Gazzotti, dite Lotus de Païni, « Les trois totémisations » et « La magie et le mystère de la femme », qui ont été réédités chez Arma Artis.

Ou encore, en Sibérie, en Amérique centrale avec le Nagualisme, ou même en Corse avec le Mazzérisme, etc. Lire Mircea Eliade, par exemple. Bref.

Dans ce système de perception ou de représentation, comme on voudra, système qui a fait l’objet d’une intellectualisation croissante par les peuples-phares de notre Antiquité égyptienne et européenne, à cause de l’écriture, il n’y a pas de séparation entre le visible et l’invisible, entre le sacré et le profane, entre l’homme et la nature.

Pour Aristote ou Pythagore, le polythéisme, la mythologie, les histoires et les géographies légendaires, les sacrifices et les rites, tout cela était aussi réel que l’est, pour vous et moi, l’espace cybernétique créé par ce blog. A la différence près qu’ils n’étaient pas dupes des phénomènes tangibles qui, à leurs yeux, ne remettaient aucunement en cause le monde de l’intangible, prioritaire et, en quelque sorte, plus réel que le monde phénoménal.

C’est ainsi que, si de nos jours un blog est, concrètement, une parodie, très justement dite « virtuelle », de la vraie communication, ou même de la médiation chamanique ou rituelle (parce que poster sur un blog est une parodie de rituel religieux), ce n’est que parce que, pour les besoins de la religion moderne de la technologie et du « progrès », il singe les anciennes pratiques que rien n’a réussi à remplacer.

Il vaut donc mieux, et je dirais même il est inévitable, pour les fidèles de la religion parodique moderne, de mépriser les anciennes religions, en les affublant des qualificatifs les plus méprisants tels que « ignorance », « superstition », « obscurantisme », « fanatisme »…

Qu’en savent-ils, au juste ?

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20/02/2012

Quand Pierre-Joseph Proudhon flinguait Rousseau (1851)

Portrait de Pierre-Joseph Proudhon en 1853 (avec ses filles), par Gustave Courbet, 1865

 

Merci à @alain21 qui m'a mis sur la piste de ces extraits de l'ouvrage de Proudhon, écrit à la prison Sainte-Pélagie où il était détenu pour « offense au Président de la République » et intitulé Idée générale de la Révolution au dix-neuvième siècle :

« (...) Rousseau, dont l’autorité nous régit depuis près d’un siècle, n’a rien compris au contrat social. C’est à lui surtout qu’il faut rapporter, comme à sa cause, la grande déviation de 93, expiée déjà par cinquante-sept ans de bouleversements stériles, et que des esprits plus ardents que réfléchis voudraient nous faire reprendre encore comme une tradition sacrée. (...)

Le Contrat social est l’acte suprême par lequel chaque citoyen engage à la société son amour, son intelligence, son travail, ses services, ses produits, ses biens ; en retour de l’affection, des idées, travaux, produits, services et biens de ses semblables : la mesure du droit pour chacun étant déterminée toujours par l’importance de son apport, et le recouvrement exigible à fur et mesure des livraisons.

Ainsi, le contrat social doit embrasser l’universalité des citoyens, de leurs intérêts et de leurs rapports. — Si un seul homme était exclu du contrat, si un seul des intérêts sur lesquels les membres de la nation, êtres intelligents, industrieux, sensibles, sont appelés à traiter, était omis, le contrat serait plus ou moins relatif et spécial ; il ne serait pas social.

Le contrat social doit augmenter pour chaque citoyen le bien-être et la liberté. — S’il s’y glissait des conditions léonines ; si une partie des citoyens se trouvait, en vertu du contrat, subalternisée, exploitée par l’autre : ce ne serait plus un contrat, ce serait une fraude, contre laquelle la résiliation pourrait être à toute heure et de plein droit invoquée.

Le contrat social doit être librement débattu, individuellement consenti, signé, manu propriâ, par tous ceux qui y participent. — Si la discussion était empêchée, tronquée, escamotée ; si le consentement était surpris ; si la signature était donnée en blanc, de confiance, sans lecture des articles et explication préalable ; ou si même, comme le serment militaire, elle était préjugée et forcée : le contrat social ne serait plus alors qu’une conspiration contre la liberté et le bien-être des individus les plus ignorants, les plus faibles et les plus nombreux, une spoliation systématique, contre laquelle tout moyen de résistance et même de représailles pourrait devenir un droit et un devoir.

Ajoutons que le contrat social, dont il est ici question, n’a rien de commun avec le contrat de société, par lequel, ainsi que nous l’avons démontré dans une précédente étude, le contractant aliène une partie de sa liberté et se soumet à une solidarité gênante, souvent périlleuse, dans l’espoir plus ou moins fondé d’un bénéfice. Le contrat social est de l’essence du contrat commutatif : non-seulement il laisse le contractant libre, il ajoute à sa liberté ; non-seulement il lui laisse l’intégralité de ses biens, il ajoute à sa propriété ; il ne prescrit rien à son travail, il ne porte que sur ses échanges : toutes choses qui ne se rencontrent point dans le contrat de société, qui même y répugnent.

Tel doit être, d’après les définitions du droit et la pratique universelle, le contrat social. Faut-il dire maintenant que de cette multitude de rapports que le pacte social est appelé à définir et à régler, Rousseau n’a vu que les rapports politiques, c’est-à-dire qu’il a supprimé les points fondamentaux du contrat, pour ne s’occuper que des secondaires ? Faut-il dire que de ces conditions essentielles, indispensables, la liberté absolue du contractant, son intervention directe, personnelle, sa signature donnée en connaissance de cause, l’augmentation de liberté et de bien-être qu’il doit y trouver, Rousseau n’en a compris et respecté aucune ?

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19/02/2012

Georges Sorel et l'architecture sociale (Cercle Proudhon, 27 mai 1912)

Commune de Paris (1871) - Vue de la Place Vendôme

 

Je reproduis ici la quasi-totalité d'un discours de Georges Valois, dont je dois la découverte à @alain21 (un grand merci à lui), et dont le Cahier du Cercle Proudhon où il figure précise que « c'est [notamment] par [ce] discours (...) qu'il a été marqué, en cette soirée du 27 mai [1912], ce que les catholiques, les syndicalistes et les nationalistes venus de la République et de l'Anarchie doivent à [Georges Sorel] l'historien de La révolution dreyfusienne, au grand philosophe des Illusions du Progrès et de l'Introduction à l'économie moderne » :

« Messieurs,

Nous avons eu l'honneur de vous dire, il y a quelques mois, les raisons qui nous ont amenés à fonder notre Cercle et à le placer sous le patronage de Pierre-Joseph Proudhon. Henri Lagrange vous les rappellera tout à l'heure, en y ajoutant les idées et les sentiments que nous avons incorporés à notre entreprise au cours d'une année de travail. Je ne vous en indiquerai ici que le sens général, qui est une pensée d'organisation, mise au service d'une volonté irréductible de servir, en même temps que nos foyers, la patrie française. Et la direction de cette pensée, c'est très exactement : Détruire les principes qui ont fondé l'économie moderne, qui ont imposé aux nations le régime capitaliste et ont subordonné toutes les valeurs humaines à la valeur de l'or ; - fonder une économie nouvelle qui sera une économie nationale et qui jugera de toutes les institutions qui s'élèvent dans l'économie selon les garanties qu'elles assurent au sang français.

Je ne vous dirai rien de plus de nos travaux ; ma tâche d'aujourd'hui, qui m'a été fixée par mes amis, est de vous prier d'accomplir avec nous un acte de justice élémentaire, en reconnaissant et en saluant ceux dont l'œuvre a rendu possible la nôtre, ceux dont la pensée a présidé à la formation de la nôtre et a préparé la rencontre des deux traditions françaises qui se sont opposées au cours du XIXe siècle et qui se trouvent représentées, unies, aujourd'hui, parmi nous. En commençant nos travaux, nous avons salué la mémoire du grand Proudhon. Aujourd'hui, nous vous invitons à rendre hommage au maître dont le nom est si souvent prononcé parmi nous : vous entendez tous que je nomme le grand philosophe Georges Sorel.

Messieurs, Sorel s'est défendu de faire des disciples. Il se peut qu'il ait raison. Il n'a pas construit un système de l'univers ; il n'a même pas construit de système social ; on ne pourrait même point dire qu'il impose à ceux qui le suivent des méthodes ni des doctrines. Ses admirateurs sont dispersés. Les uns sont catholiques ; les autres sont hors de l'Église ; d'autres, ils sont nombreux, ont rejoint Maurras et l'Action Française. Mais son influence, pour n'être pas dogmatique, n'en est pas moins extrêmement profonde et très étendue. (...) Quelles lueurs projetait l'œuvre de Sorel sur ce "monde obscur de l'économie" où d'absurdes calculateurs, dressés par M. Anatole Leroy-Beaulieu à connaître la prospérité des nations selon les règles de l'arithmétique, n'ont jamais pu nous montrer que de sombres tableaux chiffrés. Et quelle vie Sorel y fit apparaître ! Quels paysages ! Quels spectacles puissants ordonnés par les plus fortes passions ! C'est dans ce monde, où les économistes ne voient guère que de froides mécaniques sans relations avec l'âme religieuse ou politique des cités, que Sorel nous invitait à découvrir le plan des grands événements historiques, l'explication de certains conflits religieux, le champ de bataille des guerres dont vit la démocratie, le lieu où se joue le sort des civilisations. Ainsi conçue, l'étude de l'économie devient aussi animée, aussi passionnante que les études historiques et politiques, c'est-à-dire que l'étude des faits sociaux où interviennent les passions humaines. L'histoire économique, au lieu d'être dominée par les inventions, apparaît soumise aux mêmes lois qui dominent la vie politique et où palpite le cœur de l'homme - nous disons au Cercle, non sans nous souvenir des premiers enseignements reçus chez Sorel, soumise aux lois du sang. D'un mot, elle rentre dans la vie, d'où les économistes l'avaient exclue.

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17/02/2012

Le Parthénon et Beaubourg

Chef-d'oeuvre libéral

 

Chef-d'oeuvre « socialiste »

 

A force de parler des droitards libéraux, auxquels s'applique strictement le qualificatif de « réactionnaires », je m'aperçois que je les ai rarement décrits, tant leur morphotype me paraît facile à repérer et à brocarder.

Il s'agit de ces super-génies qui, tout en admettant que le « Système » est pourri, qu'il enrichit aux dépens de la collectivité des élites improductives et parasitaires, qu'il engraisse des oligopoles et des conglomérats multionationaux (produits logiques d'une concurrence débridée entre squales de concours, dans le cadre d'un libre-échange mondial gangrené de lobbies et d'instances arbitrales noyautées), qu'il appauvrit et déracine les peuples en nourrissant l’immigration et les délocalisations, qu'il entretient et accroît le chômage, nous prient néanmoins de croire que dans cette compétition truquée que leur superstition libérale nomme un darwinisme social, tout le monde a encore sa chance, à condition de s’en donner les moyens, de libérer les énergies, d'amoindrir l'emprise de l'État, blablabla...

Ce discours religieux sans nuance est, le plus souvent, une illustration du comportement de larbin du « Système », car il est en général tenu par des gens qui n'ont rien de grands capitalistes, qui ne rêvent que d'imiter les idoles économiques et financières que leur présentent des médias complaisants (Steve Jobs, Bill Gates, Bernard Arnault...) et, surtout, de devenir aussi riches qu'elles.

Rien d’étonnant à l’échec de la pseudo-contestation « d’extrême-droite libérale » (autre nom de la droite d’argent, dont le domicile français est à l’UMP mais dont certains membres trouvent qu’on n’y tape pas assez fort sur le soviétisme qui, comme chacun sait, est seul à l'origine de tous nos maux, vingt ans après la chute de l'URSS...). Quand on ne comprend rien en-dehors de sa grille de lecture idéologique, on se condamne à ne rien pouvoir changer.

Au fond, d’ailleurs, on ne veut rien changer.

On veut juste nettoyer le lieu où l’on se sent si sûr de son bon droit : le nettoyer des immigrés délinquants ou trop voyants, des chômeurs nécessairement paresseux, des forcément ignares critiques du divin libéralisme…

Mais pas changer de « Système ».

C’est cela qui nous différencie et nous différenciera toujours, Messieurs les super-génies.

Les vrais patriotes ne sont pas préoccupés en priorité par leur confort, ni par le contenu de leur porte-monnaie.

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15/02/2012

« L'Histoire s'est emballée »

 

« (...) vous suivez, comme vous le pouvez, l’actualité bringuebalante, cherchant à en tirer du sens, des conséquences. Sauf que  depuis quelque temps, vous avez du mal à y trouver du sens, des repères. Vous nourrissez un vague malaise, sentant que l’Histoire s’accélère à un rythme effréné et chaotique. En une seule année, vous avez été exposé aux "feuilletons" des révolutions arabes, de la catastrophe de Fukushima, de la mort de Ben Laden, de l’affaire DSK, de la guerre en Libye et des violences en Syrie, tout cela sur fond de crise grecque et d’annonces définitives sur la fin de l’euro. Et comme si cela ne suffisait pas, votre énergie se trouve à présent mobilisée par les pronostics des présidentielles française et américaine, par la perspective d’une guerre contre l’Iran, voire d’une troisième guerre mondiale.

(...) Désormais, c’est chaque jour ou presque que l’actualité vous assomme avec un nouveau lot de bouleversements majeurs ; à peine avez-vous commencé à digérer un événement et à en soupeser les implications que s’en manifestent d’autres encore plus spectaculaires. L’intensité que l’on pouvait jadis vivre sur dix ans, on la vit aujourd’hui sur trois mois. Et les analyses qui noircissent les papiers de journaux ont pour horizon-temps le week-end suivant, ou quelques mois. On ne lit presque plus rien sur ce que sera le monde d’ici dix, vingt ou trente ans, échéances pourtant courtes au regard de l’Histoire. S’informer devient une épreuve perturbante, chronophage et énergivore à l’extrême. Vous n’en pouvez plus, et vous êtes nombreux à avoir cessé de lire les journaux tous les jours. Vous voulez vous abriter de cette tempête médiatique, de cette hydre informationnelle devenue dévorante et toxique, ajoutant à votre stress oxydatif sans pour autant vous éclairer sur l’avenir.

Votre réaction est des plus saines. Ce n’est pas une vue de l’esprit. Depuis la crise financière de 2008, qui dure jusqu’à ce jour, l’Histoire s’est bel et bien emballée. L’Occident ayant dû sauver sa situation au prix de sa quasi-faillite, la transition vers un nouvel équilibre des forces international s’accélère, prenant la forme de tensions financières et géopolitiques extrêmes. Face aux Etats-Unis, des puissances importantes veulent imposer leur agenda, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale : la Chine, la Russie, l’Iran s’allient pour contester la suprématie américaine, alors que la Grande-Bretagne elle aussi n’a jamais été si affaiblie. Dans ce monde en mutation rapide, qui semble se déliter de toutes parts, il est essentiel de prendre de la hauteur, de suivre le tracé des grandes tendances. Inutile de se noyer dans les détails de chaque sommet européen de sauvetage de la Grèce, de s’échiner sur les microparticularités d’une Convention de double imposition conclue par la Suisse, ou sur celles d’une affaire DSK ou Hildebrand qui, le lendemain, seront de toute façon balayées par la nouvelle version du jour. Il faut s’extraire du tsunami médiatique. Se contenter d’en effleurer la crête pour y prélever l’échantillon qui suffira à nourrir des réflexions à long terme, les seules qui importent. Ce sont ces milliards de détails qui nous abrutissent et nous empêchent de voir se dessiner le monde de demain, et de voir que ce monde est déjà à notre porte. »

Myret Zaki