Les « sauvages », c'est nous (25/02/2012)

Albert Bierstadt (1830-1902) : Campement indien, tard dans l'après-midi (1862)

 

J'ai écrit ailleurs que libéralisme et communisme se réclament tous deux d’une « philosophie » qui, finalement, a tout d’une religion laïcisée.

Deux remarques complémentaires.

 

Primo, à lire les modernes sectateurs des « sciences » et de la technologie, on se rend compte qu’ils prennent vraiment leurs lointains aïeux pour des crétins.

Croient-ils vraiment que l’héliocentrisme est une découverte de la Renaissance ? Croient-ils vraiment que les Anciens l’ignoraient, vu la somme de leurs connaissances par ailleurs, et que l’Almageste soit l’oeuvre d’une espèce d’Hubert Reeves de l’Antiquité, qui n’avait d’autre priorité que l’astronomie ?

On peut se rendre compte, notamment ici, de l’ampleur de notre ignorance, concernant quantité de questions dont le scientisme à la mode prétend avoir fait le tour, alors qu’en réalité, nous sommes un peu (mais sans l’innocence requise) comme Alice rencontrant le Lapin blanc.

Pour le monde ancien (et je schématise volontairement), ce que les Grecs appelaient les Archétypes est une réalité, sur tous les continents.

On a, par exemple, une trace encore vivante de l’origine chamanique de cette perception des choses, chez les Aborigènes d’Australie et leur Alcheringa, le « Temps du Rêve », pour l’explication duquel je renvoie aux livres d’Elvezia Gazzotti, dite Lotus de Païni, « Les trois totémisations » et « La magie et le mystère de la femme », qui ont été réédités chez Arma Artis.

Ou encore, en Sibérie, en Amérique centrale avec le Nagualisme, ou même en Corse avec le Mazzérisme, etc. Lire Mircea Eliade, par exemple. Bref.

Dans ce système de perception ou de représentation, comme on voudra, système qui a fait l’objet d’une intellectualisation croissante par les peuples-phares de notre Antiquité égyptienne et européenne, à cause de l’écriture, il n’y a pas de séparation entre le visible et l’invisible, entre le sacré et le profane, entre l’homme et la nature.

Pour Aristote ou Pythagore, le polythéisme, la mythologie, les histoires et les géographies légendaires, les sacrifices et les rites, tout cela était aussi réel que l’est, pour vous et moi, l’espace cybernétique créé par ce blog. A la différence près qu’ils n’étaient pas dupes des phénomènes tangibles qui, à leurs yeux, ne remettaient aucunement en cause le monde de l’intangible, prioritaire et, en quelque sorte, plus réel que le monde phénoménal.

C’est ainsi que, si de nos jours un blog est, concrètement, une parodie, très justement dite « virtuelle », de la vraie communication, ou même de la médiation chamanique ou rituelle (parce que poster sur un blog est une parodie de rituel religieux), ce n’est que parce que, pour les besoins de la religion moderne de la technologie et du « progrès », il singe les anciennes pratiques que rien n’a réussi à remplacer.

Il vaut donc mieux, et je dirais même il est inévitable, pour les fidèles de la religion parodique moderne, de mépriser les anciennes religions, en les affublant des qualificatifs les plus méprisants tels que « ignorance », « superstition », « obscurantisme », « fanatisme »…

Qu’en savent-ils, au juste ?

Rien.

Que savent-ils, au juste, de la prétendue infériorité intellectuelle de nos lointains aïeux ?

Rien, sinon qu’ils utilisent, pour la déduire de leurs ridicules investigations, des grilles de lecture qu’ils ont forgées de toutes pièces, pour les besoins de leur cause, comme Darwin a inventé le chaînon manquant et Teilhard de Chardin (et/ou Charles Dawson) l’homme de Piltdown.

En réalité, aucune des bases de la physique moderne n’arrive à se dépêtrer du fait que l’expérimentateur influe sur l’expérience et que les résultats de toute recherche en la matière sont, par conséquent, subjectifs et soumis au matérialisme de leurs auteurs, eux-même empêtrés dans des conceptions différentes de la matière (laquelle, « scientifiquement », a une furieuse tendance théorique à… se dématérialiser de plus en plus).

Personnellement, la lecture de Schopenhauer et de Ladislav Klima, dont les conclusions rejoignent les enseignements traditionnels de l’Advaïta Védanta, par exemple, me « parlent » bien davantage que toutes ces simagrées.

Il faut dire que je ne suis pas moderne.

 

Secundo, même si, à mon sens (je vais essayer de faire court, parce que je l’ai déjà dit ailleurs, notamment ici), les religions du Livre représentent une considérable dégénérescence par rapport aux sagesses traditionnelles, la Réforme et Vatican II ont représenté, à leur tour, une chute dans le rapport au monde religieux et donc ritualisé, qu’entretenait la Chrétienté catholique médiévale, pénétrée de philosophie et de symboles païens et qui avait, par une osmose progressive, résorbé et stabilisé les dérives du christianisme originel, véritablement révolutionnaire par bien des aspects, au mauvais sens du terme.

En fait, il s’est agi, dans les deux cas (mais bien plus encore, pour le premier, dans le cadre du calvinisme que dans celui du luthéranisme, et également davantage, pour le second, dans le cadre de la théologie de la libération que dans celui de la modernisation des rites), d’une véritable rupture avec les traditions et donc, avec la dimension supra-humaine de la représentation populaire du monde.

Au point qu’on peut dire, sans que cela doive vraiment choquer, que le catholicisme moderne a presque rejoint le communisme dans sa conception matérialiste des choses, étant en tout cas bien plus soucieux de temporalité que de spiritualité.

Mgr Gaillot, ou Mgr Desmond Tutu, par exemple, sont des illustrations de ce glissement, pendant bisounours aux innombrables et populaires sectes protestantes anglo-saxonnes, qui n’ont rien de mieux à faire, entre deux lubies créationnistes pour atrophiés du bulbe, que de télévangéliser à coups de dollars, aux USA comme en Afrique, ou de brûler des pages du Coran pour prouver que leur vérité est la seule qui vaille et que tout le reste est promis à un Satan de carnaval.

On est loin des Mystères d’Eleusis, on est encore plus loin du « Temps du Rêve ».

C’est le « progrès », paraît-il.

Mais il est vrai que « en 1984, le plus intelligent sera le moins normal » (George Orwell).

Et que dans « Le meilleur des mondes » d’Huxley, les « sauvages », c'est nous.

01:16 Écrit par Boreas | Lien permanent | Tags : sauvages, libéralisme, communisme, sciences, technologie, ignorance, antiquité, chamanisme, lotus de païni, alcheringa, nagualisme, mazzérisme, mircea eliade, sacré, profane, intangible, parodie, darwin, teilhard de chardin, physique, matière, schopenhauer, ladislav klima, advaïta védanta, modernité, christianisme, dégénérescence, paganismes, matérialisme, george orwell, aldous huxley |  Facebook | |  Imprimer | Pin it! |