Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

08/08/2014

Andreï Zoubov, l'historien russe qui dérange le Kremlin

Staline%20par%20Poutine.jpg

 

Je vous parlais hier de cet homme courageux qui n'hésite pas à dire que Stepan Bandera n'était pas ce dont l'accusent unanimement les antifas occidentaux et russes...

Le journal suisse Le Temps a récemment publié un entretien avec lui, que j'avais mis en lien mais que je me décide, en définitive, à reproduire intégralement parce que c'est un document qui mérite toute notre attention. A noter, que cet entretien est antérieur au crime du Vol MH17.

------------------------------

Jusqu’à ce qu’il publie début mars un article condamnant l’annexion de la Crimée en la comparant à celle de l’Autriche par Hitler en 1938, Andreï Zoubov, 62 ans, était professeur d’histoire dans la plus prestigieuse et la plus élitiste des grandes écoles russes (MGIMO). La direction du MGIMO l’a immédiatement exclu. Depuis, Andreï Zoubov est devenu l’une des principales figures intellectuelles de l’opposition à Vladimir Poutine. Il décrypte la manière dont le Kremlin utilise les blessures du passé pour construire un régime, selon lui, criminel et totalitaire.

Samedi Culturel : Quelle est l’histoire de la Russie telle que Poutine veut la raconter aux Russes ?

Andreï Zoubov : L’enseignement de l’histoire en Russie est toujours lié à l’idéologie en vigueur. Avec l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, on a observé des tentatives de justification de tout ce qui est soviétique et parallèlement un voile de silence sur les crimes du communisme. La réhabilitation du soviétisme s’est accompagnée d’une réhabilitation de la période prérévolutionnaire. Poutine réhabilite aussi le mouvement de résistance anticommuniste de 1918 à 1920. La position officielle est qu’il s’agit d’une tragédie nationale du peuple russe. Tout le monde avait raison, était brave, héroïque.

Pourquoi cet effort de réconciliation aujourd’hui ?

C’est une tentative d’unifier toute l’histoire russe en gommant les dissonances. Avec un accent sur les événements liés au triomphe du pouvoir autocratique, des tsars aux secrétaires généraux du Parti communiste. Quant aux tentatives réformistes et libérales, elles sont toutes présentées sous un jour négatif. Les actions de l’intelligentsia, les révolutions et même Lénine sont narrés sous un jour négatif, à cause de son rôle dans le renversement du tsar. Staline est celui qui a restauré l’ordre autocratique, alors que Lénine a détruit l’ordre ancien. Ces derniers temps, Poutine s’est mis à dire du mal de Lénine, le traitant de « collaborateur » et d’« agent allemand ». Tout pouvoir fort est positif, toute tentative de changer l’ordre (que ce soir Gorbatchev ou Eltsine, Lénine, ou les décembristes) est négative. Le pouvoir est par essence légitime. C’est le ton général.

Depuis quelques années, le Kremlin favorise le culte de la victoire de 1945, au point qu’il occulte tout autre événement historique. Cette victoire occupe une place écrasante dans le paysage médiatique, le discours politique. Quel est son rôle ?

Lire la suite

07/08/2014

Bandéristes, et alors ?

Nationalistes%20ukrainiens%20-%20Bandera.jpg

 

Andreï Zoubov est un historien russe, un des premiers intellectuels qui s’est prononcé contre l’annexion de la Crimée par la Russie. Professeur au MGIMO (l'Institut d'État des relations internationales de Moscou), il en a été licencié le 1er juillet 2014 pour ses opinions opposées à celles du Kremlin.

Du point de vue de l’Histoire, le mouvement nationaliste ukrainien était un mouvement nationaliste libérateur, anticommuniste.

En Union Soviétique, pour stigmatiser quoi que ce soit, surtout après la Deuxième Guerre Mondiale, il suffisait de l’appeler fascisme. Ainsi, les « banderovtsi » étaient appelés fascistes bien que ce ne soit pas vrai.

C’était une organisation nationaliste typique d'une période militaire, avec son armée et son aile terroriste. À cette époque-là, c’était courant. Bien sûr, certains chefs du mouvement nationaliste ukrainien s’inspiraient des idées de corporation de Mussolini. Mais le meilleur élève de Mussolini, c’était Joseph Staline. À mon avis, Staline était plus fasciste que Bandera et Mussolini même.

Tout nationalisme, surtout armé, est une chose terrible. Mais Bandera était mille fois moins atroce que le NKVD (police politique de l’Union soviétique) de Beria ou d’Abakoumov, luttant contre les « banderovtsi ».

Stepan Bandera habitait la région frontalière avec la Pologne, et pendant la Famine-Génocide (Holodomor), il avait vu les gens mourant de faim qui se précipitaient à travers la frontière sur le territoire polonais, et que les gardes-frontières soviétiques fusillaient. Et c’est pour ça qu’il détestait l’État soviétique.

Stepan Bandera ne luttait pas contre l’Ukraine, mais contre le système totalitaire soviétique qui tuait tout citoyen pour tout non-conformisme. C’est pourquoi tout essai de se libérer de cet État-là était déjà un élément de justice. Et en ce sens, le mouvement de Bandera est plus justifié du point de vue de la morale que le mouvement soviétique staliniste.

Et maintenant, 70 ans après, le mythe de Bandera s’est avéré très actuel. Du coup, les Russes se sont mis à avoir horreur de Bandera, du Secteur Droit (Pravyi Sektor), des massacreurs ukrainiens. Tout cela, ce sont des mythes qui empêchent les gens de réfléchir de manière critique.

Ce sont des directives d’idéologie soviétique. C’est clair. Pour les descendants des officiers du NKVD, leurs grands-pères luttaient vraiment contre les « banderovtsi ». Il y a surtout beaucoup de ces descendants en Crimée, où sont partis à la retraite d'anciens officiers du NKVD.

Pour moi, votre révolution, c’est la libération de l’Ukraine du régime soviétique voleur. C’est un grand succès. Davantage même, je crois que c’est un exemple à suivre pour nous, les Russes. Parce que pour nous, l’Ukraine est une partie de cet ancien grand État. Et maintenant elle réussit à s’ouvrir à quelque chose de plus digne. Pour nous, c’est une leçon importante. L’Ukraine se libère du soviétisme.

Vous allez en Europe. Je pense que la Fédération de Russie doit aussi aller en Europe. Il n’y a pas d’alternative à la voie européenne.

Source

(Ceci est la traduction, légèrement corrigée par mes soins, de la version condensée d'un article en russe paru dans l'Ukraïnska Pravda le 22 juillet 2014.)

« Tout a été mis en scène » - Comment fonctionne la machine de propagande russe

Leader%20de%20propagande.jpg

 

Le propagandiste nazi Joseph Goebbels se sentirait probablement comme un étudiant immature s'il voyait à l'oeuvre la machine de propagande du Kremlin.

Les méthodes des propagandistes sont idéalement illustrées par la confrontation de la spécialiste [lituanienne, ndt] Rūta Vanagaïté avec des journalistes russes, sur les lieux de 1984, le drame de la survie dans un bunker soviétique, un parc d'attraction touristique à thème à 25 kilomètres de Vilnius, qui vous ramène à l'époque de l'URSS.

« Il y a plusieurs années, PBK (Perviy Kanal) est venue au bunker faire un reportage. Ils nous ont demandé ce qui avait lieu ici, comment tout fonctionnait. Nous leur avons tout montré. Alors ils ont demandé s'il était possible que le chien "attaque" le caméraman lors d'une séquence. Bien sûr. Notre chien-loup a "attaqué" le caméraman, a été agressif, tout a été filmé et ils sont partis. Mais il n'y a eu aucun reportage », a dit Vanagaïté.

« Dans les deux semaines qui ont suivi, nous avons eu une visite d'une école russe de Vilnius, bien que les écoles russes ne viennent jamais nous voir. Eh bien ils sont arrivés, ont payé l'entrée, mais ont été indignés, ont dit que les choses n'étaient pas comme cela à l'époque soviétique et ont refusé de participer. Nous avons proposé, dans ce cas, de les rembourser et leur permettre de ne pas participer. Alors ils ont quand même décidé de participer. Dans les dix jours suivants, nous avons vu PBK diffuser une séquence dans toute la Russie. Ils ont montré un chien agressif et avaient interviewé des enfants qui avaient participé à l'excursion : comment ils avaient été étranglés, comment on leur avait donné des coups de pied, comment l'Union soviétique avait été ridiculisée, comment ils n'auraient jamais pensé que la Lituanie pouvait interpréter son histoire si affreusement. Cela signifie qu'ils avaient envoyé les enfants et que tout avait été mis en scène ! Ils ont tout montré - un chien agressif et des enfants qui parlaient d'étranglement, quoique personne ne les ait touchés. Ils parlaient malgré les images. Imaginez combien avait été investi dans une séquence de cinq minutes », a continué la spécialiste de la propagande et femme politique.

Vanagaïté a déclaré que cela constitue un exemple spécifique du fonctionnement de la machine de propagande russe. A son avis, la Lituanie n'est pas capable de résister à une propagande de ce type, car nos mass-médias sont indépendants et ne suivront pas les ordres de l'Etat comme c'est le cas en Russie.

« La principale règle des élections ou de la propagande : plus grande est l'audience, plus gros est le mensonge. Je pense que jamais des Lituaniens n'oseraient mentir aussi effrontément et professionnellement que le font les Russes. Nos forces ne sont pas égales et notre culture est différente. Nous ne pouvons pas rivaliser avec leur propagande. Après avoir vu cinq émissions de Vremia, même un intellectuel est affecté : tout est si simple, si clairement exposé, ce qui est bon et ce qui est mauvais et l'effronterie le fait ressembler à la vérité. Un mensonge parfait adressé au subconscient », a dit la spécialiste de la propagande.

Neuf méthodes de propagande

Lire la suite

05/08/2014

False flag poutinien ?

Je dois à l'excellent blog Ukraine 2014 la découverte de ce film (en VO anglaise uniquement, désolé), interdit en Russie, relatif aux attentats prétendument tchétchènes de septembre 1999 à Moscou, est dû à Iouri Felchtinsky et Alexandre Litvinenko

Ces deux personnes seront immédiatement dénoncés comme agents de « l'Empire » par les débilo-complotistes, car proches du Boris Berezovsky dernière version, lequel était effectivement, initialement, une ordure oligarchique (on a toutefois souvent tendance à oublier qu'avant d'être désigné comme son ennemi, Berezovsky avait propulsé Poutine au pouvoir...). Classer les gens en deux catégories : les bons et les méchants, c'est tellement plus simple...

Lire ou relire également cet article, ainsi que l'impressionnante liste des assassinats d'opposants à Poutine.

26/07/2014

Voilà à quoi Poutine a été formé

 

Lire la suite

Continuité victimaire et paranoïaque

22/07/2014

Le Questionnaire

X%20Files.jpeg

 

Si je me permets de reprendre, pour ce billet mi-sérieux, mi-grotesque, le titre du chef-d'oeuvre d'Ernst Von Salomon (un livre absolument indispensable à la compréhension de la deuxième guerre mondiale, de l'âme allemande et de la vraie nature de la dignité humaine), c'est parce qu'un débilo-complotiste de bas étage m'y a fait songer sur un autre blog, en m'enjoignant ainsi qu'à @Tarkan (« réponse urgente et argumentée attendue ») de répondre à dix questions comme si, nous aussi, nous étions suspects d'avoir commis des actions pas très ragoûtantes, ainsi que l'était aux yeux des Alliés le peuple allemand dans son ensemble, au milieu de ses ruines, en 1945.

Dix questions pondues, cette fois-ci, par le ministre délégué à la Défense de la Fédération de Russie, Anatoli Antonov et qui, selon ce haut personnage, seraient susceptibles, je n'invente rien, de contribuer à la prévention de catastrophes aériennes comme celle du MH17 que son gouvernement déplore mais qui, à l'insu de son plein gré, vient de se produire en Ukraine.

Dix questions qui, bien sûr, ne nous ont pas été présentées comme émanant de l'Etat russe, mais comme un genre de production éthérée, que l'ahuri qui nous les agitait virtuellement sous le nez venait subitement de sortir d'un vaste chapeau d'initié, sorte de corne d'abondance pleine de toutes ces fumisteries d'embrouilleurs ourdies dans de vagues officines, que ces idiots utiles, tout à l'extase d'une supposée trempette dans les coulisses du monde, croient donner sur un océan de secrets à eux seuls réservés.

Bref, un illuminé novorussien, brandissant probablement un bout de ruban de Saint Georges sur son canapé quelque part en France, nous défie de franchir le Seuil.

Que faire ? Eh bien, pour ma part, j'ai choisi la dérision. Ces gens-là ont beaucoup d'humour (ils me traitent quasi-quotidiennement de renégat, de traître et de crétin, c'est vous dire), alors pour espérer rivaliser, autant y aller carrément et essayer de me mettre dans la peau d'un poutinolâtre moyen - fin, cultivé et d'une indépendance d'esprit à toute épreuve.

Lire la suite

20/07/2014

URSS : amnésie d'Etat

L%C3%A9nine-Staline-Poutine.jpg

 

Je découvre un peu tard (il date du 24 juin dernier) cet article extraordinaire, qui me laisse sans voix :

Perm-36, l'unique musée sur la répression politique en URSS, menacé de fermeture

L'unique musée russe retraçant l'histoire de la répression politique en Union soviétique, dans l'ancien camp du goulag Perm-36, pourrait bientôt fermer après la suppression de son financement public, a rapporté mardi l'ONG Memorial qui le gère.

Ce musée, qui se focalise sur la vie des dissidents au goulag soviétique, est installé dans l'enceinte de ce camp de travail situé à 100 kilomètres de Perm, dans l'Oural.

Il s'agit de l'un des camps les plus célèbres, bien conservé, qui a abrité principalement des prisonniers politiques pendant plus de 40 ans.

« Actuellement, les visites n'ont plus lieu, l'électricité du musée a été coupée et tous les employés ont été placés en congé sans solde pour une période indéterminée », a expliqué par téléphone à l'AFP Robert Latipov, le directeur de la section locale de Memorial.

Le fonctionnement du musée dépend en effet en grande partie du financement public octroyé par les autorités de la région, qui a été coupé « sans explications » il y a plus d'un mois, selon l'ONG.

Lire la suite

Pour en finir avec le mythe de la Russie née à Kiev...

... Il suffit de lire cet article ou mieux, celui-ci ou, encore mieux, ce livre.

La Russie en tant que telle n’existe pas avant la fin du XVe siècle (sous la forme de la principauté de Moscovie), voire pas avant 1547 où, nous dit Wikipedia, « Ivan IV le Terrible prend le titre de "tsar de toutes les Russies" et non de la seule Rous’ (c’est-à-dire d’une partie de la principauté de Kiev dont les territoires sont sous la domination de l’État polono-lituanien) ».

Je renvoie par ailleurs à un précédent billet sur la question.

15/07/2014

Progrès et regrès

Bientôt, l'humain sera réellement « néo »...

 

« Il reste entendu que tout progrès scientifique accompli dans le cadre d’une structure sociale défectueuse ne fait que travailler contre l’homme, que contribuer à aggraver sa condition. » (André Breton. Le Figaro littéraire, 12 octobre 1946)

« En comparant l’état des connaissances humaines avec les états précédents, Fontenelle découvrit non pas précisément l’idée de progrès, qui n’est qu’une illusion, mais l’idée de croissance. Il vit assez bien que l’humanité, à force de vivre prend de l’expérience et aussi de la consistance. (…) Progrès ne voulut pas dire autre chose d’abord qu’avancement, marche dans l’espace et dans le temps, avec ce qu’implique d’heureux un état de constante activité. Plus tard, on donna à ce mot le sens d’amélioration continue (Turgot), indéfinie (Condorcet) et il devint ridicule. » (Remy de Gourmont. Sur Fontenelle. Promenades littéraires. Mercure de France, 1906)

Cela fait des décennies, sinon un siècle ou deux, que des gens cherchent le mot, l’ont « sur le bout de la langue », qu’il leur échappe, leur laissant une vive et chagrine frustration – sans le mot comment dire la chose ? Comment donner et nommer la raison du désarroi, de la révolte, du deuil et pour finir du découragement et d’une indifférence sans fond. Comme si l’on avait été amputé d’une partie du cerveau : amnésie, zone blanche dans la matière grise. La politique, en tout cas la politique démocratique, commence avec les mots et l’usage des mots ; elle consiste pour une part prépondérante à nommer les choses et donc à les nommer du mot juste, avec une exactitude flaubertienne. Nommer une chose, c’est former une idée. Les idées ont des conséquences qui s’ensuivent inévitablement. La plus grande part du travail d’élaboration de la novlangue, dans 1984, consiste non pas à créer, mais à supprimer des mots, et donc des idées – de mauvaises idées, des idées nocives du point du vue du Parti, et donc toute velléité d’action en conséquence de ces mots formulant de mauvaises idées. Ce mot nous l’avons approché quelquefois, nous avons essayé « regret », c’était joli « regret », un à-peu-près qui consonnait, même s’il appartenait à un autre arbre étymologique. Une autre fois, nous avons dit « régrès » en croyant créer un néologisme, une déclinaison de « régression » qui rimerait avec « progrès », terme à terme. Nous y étions presque. Nous sommes tombés sur « regrès », il y a fort peu de temps, un bon et vieux mot de français, « tombé en désuétude » comme on dit, bon pour le dictionnaire des obsolètes qui est le cimetière des mots. Et des idées. Et de leurs conséquences, bonnes ou mauvaises.

Il est évidemment impossible de croire que le mot « regrès », l’antonyme du « progrès » ait disparu par hasard de la langue et des têtes. Le mouvement historique de l’idéologie à un moment quelconque du XIXe siècle a décidé que désormais, il n’y aurait plus que du progrès, et que le mot de regrès n’aurait pas plus d’usage que la plus grande part du vocabulaire du cheval aujourd’hui disparu avec l’animal et ses multiples usages qui entretenaient une telle familiarité entre lui et l’homme d’autrefois. Ainsi les victimes du Progrès, de sa rançon et de ses dégâts, n’auraient plus de mot pour se plaindre. Ils seraient juste des arriérés et des réactionnaires : le camp du mal et des maudits voués aux poubelles de l’histoire. Si vous trouvez que l’on enfonce des portes ouvertes, vous avez raison. L’étonnant est qu’il faille encore les enfoncer.

Lire la suite