07/10/2014
La Crimée est-elle russe ?
Que valent au juste les arguments selon lesquels la Crimée appartiendrait historiquement à la Russie ?
Par Andreï Zoubov, historien russe, ancien professeur au MGIMO (Institut d'État des relations internationales de Moscou), auteur de plusieurs livres et de nombreuses publications historiques.
Le début de la tragédie dans le sud-est de l'Ukraine a commencé par l'occupation de la Crimée et ce, sans aucune effusion de sang russe. Début mars, la société russe ainsi que le peuple de Crimée exultaient, et le président russe Vladimir Poutine a déclaré de façon grandiloquente au sujet du navire Crimée de retour au port russe (« au bercail », pourrait-on dire en français : difficile de trouver un équivalent à cette expression, qui veut dire littéralement que la péninsule a connu des changements mais que sa nature a toujours été la même ; l'expression « navire Crimée » fut utilisée par Poutine pour dire que la Crimée est comme un bateau qui revient d'un long voyage, ndt) : « La Crimée a toujours été, et est redevenue russe ! ». Ces mots sont répétés comme un mantra.
Toutefois, annexer une province étrangère, même sous les prétextes les plus spécieux, ne passe jamais discrètement et calmement. Entre l'envahisseur et la victime il y a un conflit, qui dure depuis parfois des décennies et qui a déjà coûté des millions de vies. Rappelons le litige entre l'Allemagne et la France pour l'Alsace, entre l'Autriche et la Serbie en Bosnie. Le Donbass est ni plus ni moins qu'une continuation directe de la politique russe en Crimée, sauf que le résultat est beaucoup plus sanglant (les accords de temps, de ponctuation, sont différents des nôtres pour appuyer sur une même chose, ndt). Mais cela valait-il la peine de commencer par la Crimée ?
Si la Crimée a toujours été nôtre, et a donc été volée habilement par l'Ukraine « comme un sac de pommes de terre » (expression populaire, chez nous on parlerait de voleurs de poules, ndt), alors il est clair que cette injustice doit être corrigée. Mais on pouvait faire cela sans avoir à jouer la comédie des petits hommes verts bien élevés (la propagande faisait dire aux vieux de Crimée que les soldats russes étaient extrêmement polis et bien élevés, ndt) et plutôt en cherchant à rétablir la justice devant les tribunaux internationaux. Le cas de la Crimée aurait pu soulever la question du retrait de l'Ukraine de la péninsule, comme de celui de l'Ecosse du Royaume-Uni, tout comme de celui de la Catalogne de l'Espagne. Certes, c'est un long processus, et le résultat n'est pas connu à l'avance. Mais sans ces procédures internationales longues et ennuyeuses élaborées au XXIème siècle, on régresse vers les « solutions rapides » expérimentées dans la première partie du XXème siècle et qui ont divisé le monde (inutile de préciser davantage... J'ai préféré adapter la ponctuation pour que ce soit plus agréable à lire, le style de cet auteur m'apparaissant comme trop brutal pour le lecteur français, ndt).
Oui, si la Crimée avait été la victime d'un génocide du peuple russe, alors entrerait en ligne de compte la résolution 2625 de l'ONU, datant de 1970, sur le droit des peuples à l'autodétermination dans des conditions qui menacent leur survie. Mais en Crimée ukrainienne, il n'y avait pas de génocide. Pas de résidents russes de Crimée tués, ou expulsés vers des lieux jugés inhospitaliers. Aucune hostilité concernant les familles et les enfants. Il y avait seulement quelques problèmes avec la langue russe dans la sphère officielle (le Premier ministre de Ianoukovitch, Mykola Azarov, était régulièrement tancé et critiqué pour sa méconnaissance de la langue ukrainienne qu'il parlait avec un accent horrible - malgré cela, il se trouvera toujours de braves gens pour assurer que les gens qui parlent le russe comprennent et parlent l'ukrainien et vice versa ! -, ndt). Entre la douce et légère discrimination linguistique (le russe avait statut officiel de langue régionale dans tous les oblasts russophones, ndt) et le génocide, il y a une distance pour le moins énorme.
02:20 Écrit par Boreas dans Crise, Géopolitique, Histoire, Identité, Propagande, Psychologie, Stratégie | Lien permanent | Tags : crimée, ukraine, russie, andreï zoubov, annexion, empire russe, urss, rous' de kiev, tatars de crimée, slaves, byzance, constantinople, empire ottoman, turcs, potemkine, tsars, colons allemands, frontières, droit international, bolcheviks, staline, vladimir poutine | Facebook | | Imprimer | |
22/09/2014
Quand la Russie s’approprie historiquement l’Ukraine
La Russie est véritablement née dans la région de Vladimir-Souzdal et Moscou a été créée en 1147, d’une ethnogénèse entre colons slaves orientaux et populations finno-ougriennes (cf. le visage botoxé de Poutine).
Les Russes se sont attribués exclusivement un héritage commun à tous les Slaves de l’Est, celui de la Rou’s/Ruthénie de Kiev (et non Russie de Kiev, une mauvaise traduction qui arrange beaucoup de monde), ce qui revient à nier, dans tous leurs schémas historiographiques, qu’ils soient tsaristes ou soviétiques, toute identité singulière aux deux autres branches, les Bélarussiens (le terme Biélorusses n’est là aussi pas neutre) et les Ukrainiens.
Une sorte de captation d’héritage pour un « petit-frère » qui est devenu grand (merci au modèle autocratique et patrimonial de la Horde d’Or, d’une redoutable efficacité administrative et militaire). Dire que Kiev/Kyiv est, selon la formule consacrée, la « mère des villes russes » (en fait ruthènes, vous avez compris), c’est comme si un Napoléon Ier qui aurait pérennisé son empire avait bâti un schéma historiographique affirmant au nom de notre latinité, que Rome était la mère des villes françaises et l’Italie le berceau de la France.
Ces schémas partagés par les élites et la population russe (un peu comme la vision jacobine dans la classe politique française) expliquent largement les relations spéciales et passionnelles (pour les « amicales et fraternelles », selon la logomachie soviétique, on repassera) que Moscou entretient toujours avec son voisin « petit-russien ».
Ce n’est donc pas uniquement pour des raisons économiques, énergétiques et géostratégiques que le Kremlin a accepté, mi-décembre 2013, de débloquer 15 milliards de dollars en eurobonds, une somme considérable qui, dans un contexte économique domestique difficile, n’était pas destinée à être redistribuée aux citoyens de la Fédérations de Russie.
Ne pas comprendre cela nous condamne à appréhender partiellement et partialement la tragédie en cours, le énième épisode d’une mauvaise série dramatique qui se prolonge, pour le plus grand bonheur du producteur hollywoodien.
Pour en savoir plus :
- Iaroslav Lebedysnky : Ukraine, une histoire en questions, L’Hamattan, 2008.
- Andreas Kappeler : Petite histoire de l’Ukraine, Institut d’études slaves, Paris, 1997.
- Entretien avec Alexandre Douguine sur l’Ukraine (commenté par Pascal Lassalle).
- Iaroslav Lebedysnky, « L’empire médiéval de Kiev, débats historiques d’hier et d’aujourd’hui ».
- Daniel Beauvois, « Deux "prétendants" historiques à la domination de l’Ukraine ».
Sans oublier plusieurs articles de Pascal Lassalle sur le site Europe Maxima et les émissions sur ce thème sur Méridien Zéro.
J'ajoute, pour ma part, cet autre texte de Pascal Lassalle sur le site Theatrum Belli.
Et je recommande le livre L'Ukraine et les Ukrainiens, de l'historien Wolodymyr Kosyk (Publications de L'Est Européen, Paris, 1993), dont j'ai pu lire un large extrait en ligne sur le site du Comité Représentatif de la Communauté Ukrainienne en France avant que celui-ci ne le retire, probablement pour des questions de droits d'auteur. Sur Amazon, je viens de commander le seul exemplaire disponible d'occasion - je l'ai vu le premier ;-) -, donc bon courage dans votre éventuelle recherche...
15:39 Écrit par Boreas dans Crise, Géopolitique, Histoire, Identité, Propagande | Lien permanent | Tags : russie, ukraine, appropriation, rous' de kiev, slaves, ruthènes, ruthénie, moscou, horde d'or, pascal lassalle, iaroslav lebedysnky, daniel beauvois, andreas kappeler, wolodymyr kosyk | Facebook | | Imprimer | |
09/08/2014
Daniel Beauvois sur l'Histoire ukrainienne et russe
Pour savoir qui est Daniel Beauvois, cliquez ici. Un article de fond de cet historien peut être lu en cliquant là. Un autre, à cet endroit.
J'attire également votre attention sur ce billet de l'ami Denys Kolesnyk, auquel je dois aussi la connaissance de cette vidéo. Grâce lui soit rendue. ;-)
23:49 Écrit par Boreas dans Histoire, Identité, Propagande | Lien permanent | Tags : daniel beauvois, youri pivovarov, ukraine, russie, rous' de kiev, moscovie, horde d'or, mongols, tsars | Facebook | | Imprimer | |
20/07/2014
Pour en finir avec le mythe de la Russie née à Kiev...
... Il suffit de lire cet article ou mieux, celui-ci ou, encore mieux, ce livre.
La Russie en tant que telle n’existe pas avant la fin du XVe siècle (sous la forme de la principauté de Moscovie), voire pas avant 1547 où, nous dit Wikipedia, « Ivan IV le Terrible prend le titre de "tsar de toutes les Russies" et non de la seule Rous’ (c’est-à-dire d’une partie de la principauté de Kiev dont les territoires sont sous la domination de l’État polono-lituanien) ».
Je renvoie par ailleurs à un précédent billet sur la question.
09:06 Écrit par Boreas dans Crise, Géopolitique, Histoire, Identité, Propagande, Psychologie, Stratégie | Lien permanent | Tags : russie, ukraine, moscovie, rous' de kiev | Facebook | | Imprimer | |
10/05/2014
A ceux qui prétendent que l'Ukraine n'existe pas
15:36 Écrit par Boreas dans Crise, Géopolitique, Histoire, Identité, Propagande, Psychologie, Stratégie | Lien permanent | Tags : ukraine, rous' de kiev, moscovie, varègues, slaves, cosaques, ruthènes, cartes historiques, russie | Facebook | | Imprimer | |