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« (...) Le mot a mauvaise presse. L’anathème est agité par tous les vents et tous les camps. Injure de confort à défaut de contours. Procédons à un bref tour d’horizon.
À trop dire, le mot ne dit plus rien. À moins qu’il ne dise qu’une seule et même chose ? De droite à gauche, des "modérés" aux "radicaux", des laïcs aux religieux : le mépris du peuple. L’Histoire, nul ne l’oublie, est consignée par les gagnants et le langage tient dans la main des dominants. Les oligarques opèrent les termes qui pourraient affecter leurs privilèges. Les cyniques grecs, par trop subversifs, devinrent ainsi les cyniques que l’on sait : méprisants, sarcastiques, éhontés et impudents. Le matérialisme passa de la critique de l’idéalisme philosophique à la soif de possessions sonnantes et trébuchantes. L’anarchie, étymologiquement hostile aux chefs et au pouvoir, fut instituée en synonyme de chaos… Au populisme, mouvement socialiste et antitsariste né en Russie, de devenir, sous les cris d’orfraie de la fine fleur intellectuelle et médiatique, l’une des modalités de la démagogie ou, pis, l’un des énoncés du fascisme. (...) »
Source (N.B. : l'article est intéressant dans son intégralité)
« Les révélations de Snowden sont un éclairage sous les feux des projecteurs : notre pays [l'Allemagne] n’est pas, pour les Etats-Unis, un partenaire, mais est considéré comme un repaire de terroristes.
Il faudra se rappeler du visage ouvert et, somme toute, sympathique, d’Edward Snowden. Qui donc a réussi à lancer par la presse, une pareille bombe médiatique, à partir d’un refuge à Hong Kong, obligeant le président américain à chercher des explications concernant la situation réelle des libertés individuelles et des questions de sécurité dans son pays ? Si ce n’était pas aussi sérieux, on dirait, bravo, bien joué. Mais de tels mots restent en travers dans la gorge, tant tout cela n’est pas crédible. Il se trouve que quelqu’un veut défendre les libertés individuelles et les droits civiques fondamentaux et se voit obligé de fuir – où ? – en Chine.
D’un seul coup – comme en 1987, l’aviateur Mathias Rust, en survolant le Kremlin – le jeune Snowden a arraché le masque cachant le visage de sa patrie. On est loin de cette représentation des Etats-Unis, symbole de la démocratie et des valeurs étatiques fondamentales. La Chine n’est pas particulièrement connue comme Preaceptor Libertatis, la Fédération de Russie non plus d’ailleurs. Et pourtant, la Russie se présente, depuis un certain temps, comme courageuse représentante des droits humains. Autrement dit, on reprend aux Etats-Unis et à l’Occident ce droit qu’on croyait inaliénable de représenter ces valeurs. On n’a pas oublié que, déjà, lors de la guerre de 1999, la République fédérale de Yougoslavie, en violation du droit international, fut sacrifiée au nom des intérêts particuliers des Américains. Et maintenant cela ! Les dirigeants chinois n’ont pas été hissés au gouvernement selon les règles qui nous sont chères. Mais cela ne signifie pas qu’ils n’évaluent pas soigneusement les intérêts de leur pays. Ils l’ont certainement aussi fait lorsqu’ils ont laissé la voie libre à ce jeune homme de se rendre à Moscou. C’est ainsi qu’ils ont créé des conditions propices pour que le ballon placé devant leurs pieds par le jeune Américain et les Etats-Unis vacillants, reste en l’air.
La rage de tout contrôler, qu’Edward Snowden avait décelée au sein de la National Security Agency (NSA) et chez ses clients, n’aurait pu être découverte à un pire moment. Ce qu’il avait à dire concernait surtout l’Allemagne, ce sont nous, les Allemands qui nous trouvons dans la ligne de mire de l’Etat fouineur américain. Il y a de quoi se frotter les yeux, car – indépendamment des guerres menées en violation du droit international – on se sent plutôt comme un allié des Etats-Unis et non pas comme un repaire du terrorisme international. Ce fut un magnifique signal, envoyé juste avant la visite à Berlin du président Obama. Mais la suite fut pire : nous sommes l’objectif officiellement déclaré de la surveillance totale, en commun avec nos amis européens, et pourtant nous nous trouvons dans une situation pour le moins singulière. La clause des Etats ennemis de la Charte des Nations Unies reste d’actualité dans la centrale de la NSA à Fort Meade.
Tewfik Aclimandos, chrétien copte égyptien, est chercheur associé à la chaire d'histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France.
Assiste-t-on à un coup d'État militaire et à un retour en arrière?
Je ne cautionne évidemment pas ce qui s'est passé mercredi [14 août], au Caire mais la responsabilité des Frères musulmans est écrasante. Ils ont fermé la porte à un compromis politique et sciemment joué la carte du pire. Ils ont fait le maximum soit pour que le gouvernement plie, soit pour qu'il y ait un bain de sang. Si c'est un coup d'État, il était réclamé depuis plusieurs mois par 80 % de la population. Les Frères musulmans ont tenté de mettre en place un régime totalitaire. Ils avaient des pratiques d'extrême droite. Depuis qu'ils ont pris le pouvoir, en juillet 2012 ; leurs miliciens ont très souvent attaqué des manifestants, des journalistes, des opposants… Dans n'importe quel pays démocratique, face à une telle situation, on aurait légitimement décrété l'état d'urgence. Quant au risque d'un retour en arrière, je pense que l'armée est consciente que l'heure n'est plus à un régime autoritaire. Mais bien sûr, certains vont sans doute plaider en ce sens.
L'Égypte est-elle menacée de guerre civile ?
Disons plutôt que nous sommes face à un risque de conflit généralisé. Les Frères musulmans sont une force minoritaire. Même les salafistes leur sont très hostiles : ils n'appuient pas le gouvernement actuel, mais au fond, ils préfèrent l'armée aux Frères et même s'ils n'osent pas le dire, ils ont béni le coup d'État. Lors du premier tour de l'élection présidentielle, en juillet 2012, les Frères avaient obtenu 25 % des suffrages. Je pense qu'aujourd'hui, vu leur bilan, ils ont perdu un tiers, voire la moitié de leur électorat.
– Comment va le dictionnaire ? demanda Winston en élevant la voix pour dominer le bruit.
– Lentement, répondit Syme. J’en suis aux adjectifs. C’est fascinant.
– Le visage de Syme s’était immédiatement éclairé au seul mot de dictionnaire. Il poussa de côté le récipient qui avait contenu le ragoût, prit d’une main délicate son quignon de pain, de l’autre son fromage et se pencha au-dessus de la table pour se faire entendre sans crier.
– La onzième édition est l’édition définitive, dit-il. Nous donnons au novlangue sa forme finale, celle qu’il aura quand personne ne parlera plus une autre langue. Quand nous aurons terminé, les gens comme vous devront le réapprendre entièrement.
Vous croyez, n’est-ce pas, que notre travail principal est d’inventer des mots nouveaux ? Pas du tout ! Nous détruisons chaque jour des mots, des vingtaines de mots, des centaines de mots. Nous taillons le langage jusqu’à l’os. La onzième édition ne renfermera pas un seul mot qui puisse vieillir avant l’année 2050.
Il mordit dans son pain avec appétit, avala deux bouchées, puis continua à parler avec une sorte de pédantisme passionné. Son mince visage brun s’était animé, ses yeux avaient perdu leur expression moqueuse et étaient devenus rêveurs.
– C’est une belle chose, la destruction des mots. Naturellement, c’est dans les verbes et les adjectifs qu’il y a le plus de déchets, mais il y a des centaines de noms dont on peut aussi se débarrasser. Pas seulement les synonymes, il y a aussi les antonymes. Après tout, quelle raison d’exister y a-t-il pour un mot qui n’est que le contraire d’un autre ? Les mots portent en eux-mêmes leur contraire. Prenez « bon », par exemple. Si vous avez un mot comme « bon » quelle nécessité y a-t-il à avoir un mot comme « mauvais » ? « Inbon » fera tout aussi bien, mieux même, parce qu’il est l’opposé exact de bon, ce que n’est pas l’autre mot. Et si l’on désire un mot plus fort que « bon », quel sens y a-t-il à avoir toute une chaîne de mots vagues et inutiles comme « excellent », « splendide » et tout le reste ? « Plusbon » englobe le sens de tous ces mots, et, si l’on veut un mot encore plus fort, il y a « double-plusbon ». Naturellement, nous employons déjà ces formes, mais dans la version définitive du novlangue, il n’y aura plus rien d’autre. En résumé, la notion complète du bon et du mauvais sera couverte par six mots seulement, en réalité un seul mot. Voyez-vous, Winston, l’originalité de cela ? Naturellement, ajouta-t-il après coup, l’idée vient de Big Brother.
Au nom de Big Brother, une sorte d’ardeur froide flotta sur le visage de Winston. Syme, néanmoins, perçut immédiatement un certain manque d’enthousiasme.
– Vous n’appréciez pas réellement le novlangue, Winston, dit-il presque tristement. Même quand vous écrivez, vous pensez en ancilangue. J’ai lu quelques-uns des articles que vous écrivez parfois dans le Times. Ils sont assez bons, mais ce sont des traductions. Au fond, vous auriez préféré rester fidèle à l’ancien langage, à son imprécision et ses nuances inutiles. Vous ne saisissez pas la beauté qu’il y a dans la destruction des mots. Savez-vous que le novlangue est la seule langue dont le vocabulaire diminue chaque année ?
Winston l’ignorait, naturellement. Il sourit avec sympathie, du moins il l’espérait, car il n’osait se risquer à parler.
Syme prit une autre bouchée de pain noir, la mâcha rapidement et continua :
– Ne voyez-vous pas que le véritable but du novlangue est de restreindre les limites de la pensée ? À la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. Tous les concepts nécessaires seront exprimés chacun exactement par un seul mot dont le sens sera délimité. Toutes les significations subsidiaires seront supprimées et oubliées. Déjà, dans la onzième édition, nous ne sommes pas loin de ce résultat. Mais le processus continuera encore longtemps après que vous et moi nous serons morts. Chaque année, de moins en moins de mots, et le champ de la conscience de plus en plus restreint. Il n’y a plus, dès maintenant, c’est certain, d’excuse ou de raison au crime par la pensée. C’est simplement une question de discipline personnelle, de maîtrise de soi-même. Mais même cette discipline sera inutile en fin de compte. La Révolution sera complète quand le langage sera parfait. Le novlangue est l’angsoc et l’angsoc est le novlangue, ajouta-t-il avec une sorte de satisfaction mystique. Vous est-il jamais arrivé de penser, Winston, qu’en l’année 2050, au plus tard, il n’y aura pas un seul être humain vivant capable de comprendre une conversation comme celle que nous tenons maintenant ?
– Sauf..., commença Winston avec un accent dubitatif, mais il s’interrompit.
Il avait sur le bout de la langue les mots : « Sauf les prolétaires », mais il se maîtrisa. Il n’était pas absolument certain que cette remarque fût tout à fait orthodoxe. Syme, cependant, avait deviné ce qu’il allait dire.
– Les prolétaires ne sont pas des êtres humains, dit-il négligemment. Vers 2050, plus tôt probablement, toute connaissance de l’ancienne langue aura disparu. Toute la littérature du passé aura été détruite. Chaucer, Shakespeare, Milton, Byron n’existeront plus qu’en versions novlangue. Ils ne seront pas changés simplement en quelque chose de différent, ils seront changés en quelque chose qui sera le contraire de ce qu’ils étaient jusque-là. Même la littérature du Parti changera. Même les slogans changeront. Comment pourrait-il y avoir une devise comme « La liberté c’est l’esclavage » alors que le concept même de la liberté aura été aboli ? Le climat total de la pensée sera autre. En fait, il n’y aura pas de pensée telle que nous la comprenons maintenant. Orthodoxie signifie non-pensant, qui n’a pas besoin de pensée, l’orthodoxie, c’est l’inconscience.
« Un de ces jours, pensa soudain Winston avec une conviction certaine, Syme sera vaporisé. Il est trop intelligent. Il voit trop clairement et parle trop franchement. Le Parti n’aime pas ces individus-là. Un jour, il disparaîtra. C’est écrit sur son visage. »
En prime, un film qui date, lui, seulement de 2004 ; ce qui, à notre époque de grandes transformations à toute allure, serait néanmoins déjà beaucoup s'il n'avait, lui aussi, largement conservé son actualité :
« (...) L’homme à la mitraillette, écrivait Bernanos, précède l’homme totalitaire. On y est. Mais on y arrivait depuis 18 mois : Megaupload, Swartz, Assange et Manning, Snowden, le Cyberempire applique bien l’avertissement du 13 septembre 2001 qui n’était pas qu’une formule de style : avec nous et derrière, même pas à côté, ou alors contre nous parce que nous serons contre vous. Bush en a rêvé, Obama le fait ! Donc maintenant il faut choisir, dans chacune des nations de cette planète.
Mais il faut préparer l’après, et très vite, un après sans l’Amérique de Bushobama bien sûr, mais aussi sans cyber, sans management, sans intelligence économique, sans toutes ces choses qui nous piègent et nous plantent et, après nous avoir tiré vers le haut, nous font plonger parce que derrière des mots creux et des acronymes vides de sens, c’est la puissance de l’Empire qui s’exprime, en termes tout à la fois machiavéliens et clausewitziens.
En France le clivage est béant, entre des élites atlantistes, otanisées et collaborationnistes et une opinion restée au discours à l’ONU de la Saint-Valentin 2003, les premières pouvant déjà réserver leur place dans la charrette parce qu’il est impossible que cela perdure encore très longtemps.
Et comment ne pas relever que, dans ce débat, la Grande Nation qui donna au monde Charles de Gaulle est à la remorque et à la ramasse, alors que précisément en 2003 elle était en pointe et l’objet de l’admiration du monde. Et qu'au contraire le débat fait rage dans la patrie de la Suspension Clause, du Patriot Act, de la NDAA, du camp de concentration de Guantanamo, et que, si ça se trouve – et là je vais surprendre tous ceux qui me lisent – le signal de fin de partie sera peut-être donné par la nation américaine elle-même, par une étrange coalition, suicidaire certes pour les Etats-Unis en tant que puissance mondiale, mais génératrice d’un chaos planétaire qui nous sera fécond, coalition de Tea Parties et d’Occupy Wall Street qui montera à l’assaut de Washington et rasera le Capitole comme nous avons rasé la Bastille. »