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22/08/2013

La révolution égyptienne vue du côté copte

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Tewfik Aclimandos, chrétien copte égyptien, est chercheur associé à la chaire d'histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France.

Assiste-t-on à un coup d'État militaire et à un retour en arrière?

Je ne cautionne évidemment pas ce qui s'est passé mercredi [14 août], au Caire mais la responsabilité des Frères musulmans est écrasante. Ils ont fermé la porte à un compromis politique et sciemment joué la carte du pire. Ils ont fait le maximum soit pour que le gouvernement plie, soit pour qu'il y ait un bain de sang. Si c'est un coup d'État, il était réclamé depuis plusieurs mois par 80 % de la population. Les Frères musulmans ont tenté de mettre en place un régime totalitaire. Ils avaient des pratiques d'extrême droite. Depuis qu'ils ont pris le pouvoir, en juillet 2012 ; leurs miliciens ont très souvent attaqué des manifestants, des journalistes, des opposants… Dans n'importe quel pays démocratique, face à une telle situation, on aurait légitimement décrété l'état d'urgence. Quant au risque d'un retour en arrière, je pense que l'armée est consciente que l'heure n'est plus à un régime autoritaire. Mais bien sûr, certains vont sans doute plaider en ce sens.

L'Égypte est-elle menacée de guerre civile ?

Disons plutôt que nous sommes face à un risque de conflit généralisé. Les Frères musulmans sont une force minoritaire. Même les salafistes leur sont très hostiles : ils n'appuient pas le gouvernement actuel, mais au fond, ils préfèrent l'armée aux Frères et même s'ils n'osent pas le dire, ils ont béni le coup d'État. Lors du premier tour de l'élection présidentielle, en juillet 2012, les Frères avaient obtenu 25 % des suffrages. Je pense qu'aujourd'hui, vu leur bilan, ils ont perdu un tiers, voire la moitié de leur électorat.

Les coptes sont-ils particulièrement menacés ?


Les coptes sont clairement menacés. Les Frères et leurs alliés ont brûlé ces deux derniers jours une cinquantaine d'églises, ils s'en sont pris à des établissements et à des commerces coptes, ils ont agressé des passants qui portaient des croix. Le discours en interne des Frères attribue la chute de Morsi à un complot armé fomenté par des coptes. Ce qui esquive la question de savoir pourquoi autant de musulmans détestent les Frères. Et ce qui permet de se convaincre que ce conflit est une guerre sainte et qu'il est licite de tuer ses ennemis. Plus généralement, la Confrérie est farouchement antichrétienne.

Des élections sont-elles encore possibles ?

Aujourd'hui, cela me semble totalement impossible. Mais tout dépendra de l'évolution de la situation. Le problème, c'est le jusqu'au-boutisme des Frères qui disent : soit vous cédez sur tout, soit vous nous tuez jusqu'au dernier. Il n'y a rien au milieu. L'Occident n'a pas une voix décisive, mais doit exercer des pressions sur chaque camp et soutenir les modérés. Il doit aussi convaincre les pays du Golfe, notamment l'Arabie saoudite, qui soutient l'armée, et le Qatar, qui appuie les Frères musulmans, de travailler ensemble pour trouver une solution. Surtout, ils ne doivent pas donner l'impression qu'on a affaire à un coup d'État militaire. La société égyptienne n'est pas coupée en deux. La majorité de la population, y compris parmi les islamistes, ne veut plus des Frères musulmans. En cas d'élection, ces derniers auraient désormais du mal à trouver des alliés. Dans les capitales occidentales, on ne mesure pas à quel point les Frères se sont décrédibilisés, à quel point ils ont fait preuve de brutalité. Leurs sit-in rassemblaient une majorité de militants pacifiques, mais aussi des miliciens qui se comportaient comme sur un champ de bataille. Et les Égyptiens en ont assez des milices !

Échec des Frères musulmans ou échec de l'islam politique ?

C'est d'abord un échec des Frères qui était prévisible, structurel. Mais c'est aussi un échec de l'islam politique. Pour autant, je ne crois pas que cet échec de l'islam politique est définitif, qu'il ne s'en relèvera pas. Mais il faudra que les Frères musulmans s'interrogent sur ce qui n'a pas marché. D'autres forces islamistes pourraient ramasser la donne, car une partie de l'électorat ne votera plus pour les Frères, mais ne votera pas non plus pour des partis laïcs. Les islamistes modérés ou les salafistes ont une carte à jouer. Une autre analyse consiste à penser que le pays est durablement guéri de l'islam politique. C'est ce que semble croire l'armée. Et il faut supposer qu'elle a de bonnes raisons de le croire.

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Coup d'État ou ­deuxième round révolutionnaire ?

Les deux. C'est un coup d'État réclamé par une immense majorité de la population. La purge est, il est vrai, d'une grande brutalité et des questions se posent : arrête-t-on les Frères musulmans quelques semaines, le temps de calmer le jeu, ou va-t-on les emprisonner plus longtemps ? Et quel a été l'impact sur l'opinion de la tuerie des manifestants pro-Morsi du 8 juillet ? L'avenir le dira. Toujours est-il que, entre l'armée et les Frères, la majorité des Égyptiens continue de préférer l'armée. Tout le monde voulait se débarrasser de ce pouvoir.

Ce « coup de pouce » militaire devait-il être aussi brutal ?

Je pense que c'était inévitable. La confrérie est une véritable machine de guerre qui a exercé un pouvoir intrinsèquement criminel - ce qui vaut aussi pour l'armée, je le concède. Dans toute démocratie aboutie, Morsi et les patrons des Frères auraient été jugés et condamnés à des peines sévères. En Égypte, j'espère que la justice saura faire son travail, cherchant à établir les responsabilités et garantissant une défense solide aux accusés.

L'intervention était-elle préméditée ?

L'armée avait deux plans. Le premier visait à obtenir des Frères musulmans qu'ils fassent enfin le nécessaire pour apaiser la société. Je suis persuadé que l'armée aurait préféré un pouvoir civil, fût-il entre les mains des islamistes, à condition que ceux-ci se montrent modérés et sachent gérer la société et l'économie. Les Frères s'en sont révélés incapables, pour des raisons idéologiques et des problèmes de compétence. Le second plan était l'intervention. Les officiers faisaient pression sur leur hiérarchie en ce sens depuis mars-avril.

Est-ce l'échec des Frères musulmans ou celui de l'islam politique ?

On ne le saura pas tant qu'il n'y aura pas de consultation électorale. Certes, jamais l'idée de laïcité n'a été aussi populaire en Égypte et c'est exclusivement dû aux Frères musulmans. L'islamisme vient de subir une secousse de très grande ampleur, mais cela m'étonnerait beaucoup que l'on ne le retrouve pas sur la scène politique, après un nécessaire examen de conscience.

Les Frères ont appelé au soulèvement : la guerre civile menace-t-elle ?

Cela me semble peu probable, parce que le rapport de forces leur est très défavorable et qu'ils continuent de perdre des points en optant pour la stratégie du pire. Mais ils ont les moyens de semer de graves troubles dans certains gouvernorats, dont ceux du Sinaï.

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