06/08/2011
Humain, trop humain, ou la désignation de l'ennemi
Babel, voilà l'ennemi
A @Jack Merridew
« Tout pouvoir est une conspiration permanente. »
(Honoré de Balzac, Sur Catherine de Médicis, 1830-1842)
« Le monde est gouverné par de tout autres personnages que ne se l’imaginent ceux dont l’œil ne plonge pas dans les coulisses. »
(Benjamin Disraeli, Coningsby ou la nouvelle génération, 1844)
« Une autre menace (...) se présente à la démocratie libérale. Plus directement liée à l'impact de la technologie, elle implique l'apparition graduelle d'une société plus contrôlée et dirigée. Une telle société serait dominée par une élite dont la prétention au pouvoir politique reposerait sur un savoir-faire scientifique prétendument supérieur. Libre des contraintes de valeurs libérales traditionnelles, cette élite n'hésiterait pas à atteindre ses buts politiques en utilisant les dernières techniques modernes pour influencer le comportement public et garder la société sous étroite surveillance et sous contrôle. »
(Zbigniew Brzezinski, La révolution technétronique, 1970)
« Certains des problèmes de gouvernance interne aux Etats-Unis aujourd'hui trouvent leur racine dans un excès de démocratie (...) Un plus haut degré de modération dans la démocratie est (...) nécessaire. »
(Samuel P. Huntington, in La crise de la démocratie, rapport à la Commission Trilatérale, 1975)
Longtemps, je me suis demandé par où aborder un sujet dont j'ai prévu de parler depuis des mois et dont un internaute à l'égo surdéveloppé m'a récemment remis en tête l'intérêt : celui qu'on appelle ordinairement, par indifférence ou pour dénigrer indistinctement ses amateurs, le « complotisme ».
Il est en effet difficile de choisir un angle d'attaque pour en parler, non seulement parce qu'il est inutile d'espérer faire le tour d'une question aussi vaste, surtout dans le format d'un blog, mais surtout à cause du caractère délicat de son traitement : à trop grossir le trait critique, on risque de tomber dans la caricature du tout-transparent et, au contraire, à trop ménager ses coups, on s'expose à choir dans la complaisance vis-à-vis d'aberrations sans fin.
De toute manière, les sceptiques absolus trouveront toujours à redire à la moindre modération vis-à-vis des « complotistes » (à leurs yeux, tous des abrutis superstitieux à problèmes psychologiques lourds), comme de leurs thèses, qu'ils jugent uniformément grotesques et paranoïaques, comme si le monde était une eau limpide sous laquelle rien ne se dissimule jamais, pour peu qu'on se donne la peine de chausser les bonnes lunettes.
A l'évidence, il y a dans les tenants de cette vision optimiste une bonne tripotée d'idiots utiles et de larbins et, comme l'a dit Aymeric Chauprade : « Ceux qui font l'histoire officielle, désignent les bons et les méchants, déforment les faits historiques et inventent des fables, ont trouvé un antidote contre les chercheurs de vérités : la théorie du complot. Dès que quelqu'un cherche à comprendre et s'interroge sur les incohérences de l'histoire officielle, on lui accroche autour du cou la pancarte "complotiste". Comme si l'Histoire n'était pas le fait de minorités actives ! »
A l'opposé, les fanatiques de la conspiration à gogo, que le truculent et intelligent internaute auquel je dédie ce billet, grand distributeur de baffes virtuelles sur F.Desouche, a baptisés du doux nom de « débilo-complotistes », justifient pour leur part pleinement toutes les critiques des précédents, tant est grand leur zèle à voir partout la marque du complot : juif, maçonnique, « Nouvel Ordre Mondial », « Illuminati », américain, ecclésiastique, voire extra-terrestre. Eux aussi, de beaux idiots utiles, qui ne s'aperçoivent pas, dans la bulle gratifiante de leur lucidité soi-disant supérieure, qu'ils servent à décrédibiliser les chercheurs de vérités évoqués par Chauprade, à tel point qu'on peut parfois se demander s'il n'y aurait pas, d'abord, un complot... des imbéciles.
Sur un autre sujet, mais on pourrait ici transposer, Lanza del Vasto a écrit : « La conjuration des imbéciles, des charlatans et des Sages a parfaitement réussi. Cette conjuration avait pour objet de cacher la vérité. Les uns et les autres ont servi cette grande cause, chacun selon ses moyens : les imbéciles par le moyen de l'ignorance, les charlatans par le moyen du mensonge, les Sages par le moyen du secret… » (préface au Message retrouvé de Louis Cattiaux).
On voit bien, en tout cas, et sans même encore avoir abordé le fond, que le sujet est miné de toutes parts.
Comme souvent, la voie du milieu est probablement la meilleure et quant à moi, faute de nourrir l'ambition surhumaine de découvrir et exposer la vérité universelle (tout le monde ne peut pas être Bernard-Henri Lévy), je me tiens donc à une grille de lecture qui me paraît équilibrée.
Pour le dire tout net, je ne crois pas à l'absence de tous complots, loin de là ; mais je ne pense pas non plus qu'il existe un complot mondial, ni un pouvoir mondial, ni même une ou plusieurs conspirations visant un tel pouvoir.
Pour avoir longtemps fréquenté des groupes humains et en fréquenter encore, je ne leur connais que deux lois constantes : celle de l'apparence et celle de l'entropie.
D'après ce que j'ai pu constater, la nature humaine est ainsi faite que dans un collectif, chacun joue un rôle, qui ne correspond pas à sa véritable nature, ni à ses réelles capacités, ni encore moins à ses vrais pouvoirs. Les interactions très imparfaites qui existent entre les membres d'un groupe sont également, en général assez vite, sujettes à des déperditions d'unité et d'énergie, à la dispersion, au conflit et à l'impuissance.
Pour lier un collectif, il faut bien d'autres éléments que des intérêts communs. C'est pourquoi une unité militaire ou une équipe de rugby, fondées sur l'effort et la camaraderie, c'est-à-dire sur le dévoilement, l'altruisme et la néguentropie, peuvent résister durablement aux inconvénients habituels, alors qu'une hiérarchie politico-économique, un lobby ou même des confréries soi-disant initiatiques à l'américaine, ou encore des franc-maçonneries, sont des coquilles vides destinées à recueillir une somme de désirs individuels ponctuellement réunis par une ambition commune à court terme, et/ou l'illusion d'une telle ambition à travers des rites parodiques et l'auto-conditionnement. Rien de qualitatif là-dedans, que du quantitatif. De l'avoir, pas de l'être.
Tout « pouvoir » humain relève, de toute façon, de la relativité la plus forte et du conditionnement le plus total, si bien qu'un tel pouvoir est éminemment fragile et mortel. A tel point, qu'il faut plaindre ceux qui y croient, bien plus que les haïr : ils sont possédés par leur croyance en lui et s'y accrochent jusqu'au seuil de la tombe, alors qu'il y a belle lurette qu'ils ne profitent plus que du souvenir de son parfum...
Pour ma part, j'ai tendance à voir dans les actions humaines, bien plus souvent de la bêtise, de la folie même, de la maladresse, de l'incompétence, de l'enfer pavé de bonnes intentions ; que de la maîtrise, du machiavélisme, de la puissance et du contrôle.
Pour ce qui est, par ailleurs, des théories globales du complot, mon problème, c'est qu'à chaque fois que j'ai été tenté d'y croire, j'ai fini, au fil de mes lectures, soit par les démonter moi-même en recoupant leurs éléments qui ne tenaient pas la route, soit par trouver des infos déjà rassemblées qui les démontaient complètement.
Un premier exemple : à en croire une foule de sites peu soucieux de vérifier leurs sources, David Rockefeller est censé avoir dit des choses très nettes au sujet de sa volonté de voir instaurer un « Nouvel Ordre Mondial »... sauf que, quand on y regarde de plus près et jusqu'à preuve du contraire, ce vieux salopard n'a rien dit de tel. Je pense qu'il est tellement honni de tout un tas de braves gens bien intentionnés, qu'ils ont fini par lui inventer des citations qui collaient mieux à leurs convictions.
Evidemment, aux yeux des « débilo-complotistes », aucun argument de ce genre ne trouvera jamais grâce. Au contraire, l'absence de preuve leur paraîtra démontrer, de plus fort, l'existence d'un complot global (qui comprend nécessairement le fait de cacher les preuves, évidemment ; joli échafaudage de vide sur du vide, entremêlé à une réalité toujours trop prosaïque pour leur soif d'absolu, si bien qu'ils la décrédibilisent, voire permettent de la nier par amalgame...).
Pourtant, ce que je dis ne revient absolument pas à nier l'existence d'oligarchies, ni de plans ou complots divers à travers l'Histoire. Mais comment faire comprendre la nuance ? Il y a à la fois la connerie humaine, le défaut de maîtrise, tout le baratin pseudo-volontariste des manipulateurs et des agitateurs, et de temps en temps, entre deux foirages, un truc qui marche, et même brillamment, souvent à travers des administrations opaques comme le KGB ou la CIA, mais aussi des conglomérats financiers et militaro-industriels, des sociétés discrètes à défaut d'être secrètes, des mafias... Souvent, ces structures s'interpénètrent les unes les autres, utilisent des techniques de manipulation des foules (sans parler de recherches, médicales mais aussi technologiques, plus ou moins confidentielles, relevant au départ des militaires et/ou des services de renseignement et de contre-espionnage, il suffit de pister les stratégies médiatiques du capital, à travers le contrôle financier des grands moyens de communication et le marketing, pour se représenter la panoplie de moyens dont disposent les oligarchies) et poursuivent des plans à moyen, voire long terme.
Je vais prendre un autre exemple. Marchant sur les brisées des grands propagateurs de mythologies plus ou moins bouffonnes depuis deux siècles (l'abbé Barruel, Mgr Delassus, John Robison, le Marquis de la Franquerie, Nesta Webster, William Carr, Serge Monast, David Icke, Anton Parks, Jacques Delacroix, etc., etc.), le fameux Fritz Springmeier, soi-disant ex- « prisonnier politique » aux Etats-Unis, affirme que, depuis des millénaires, de puissantes dynasties, qu'il appelle des « lignées de sang », constituées, pour l'essentiel, de treize branches et qu'il appelle les « Illuminati », poursuivent un plan de domination mondiale ; ou, plus exactement, qu'elles dominent le monde à travers les âges.
Ces « Illuminati » seraient dépositaires d'une panoplie complète d'anciens pouvoirs magiques (pardon, de centaines de traditions perdues, d'anciennes religions - vous savez, ces trucs obscurantistes d'avant l'unique et salvatrice Lumière monothéiste) et contrôleraient une gigantesque pyramide de sociétés plus ou moins secrètes, fonctionnant en réseaux, depuis des petites caves de sorciers satanistes perdues dans les campagnes américaines, voisinant avec à peu près toutes les loges maçonniques connues, jusqu'à un pyramidion où seraient concentrés tous les pouvoirs, en passant par les redoutables Skull and Bones, le CFR et la Commission Trilatérale.
Ils agiraient, de nos jours, à travers les familles Astor, Bundy, Collins, Dupont, Freeman, Kennedy, Li, Onassis, Reynolds, Rockefeller, Rothschild, Russell et Van Duyn. Vous ne trouvez pas que ça tombe bien ? Pas de prolos chez les puissants, et on colle à certaines oligarchies industrielles et financières, ce qui permet de justifier la mythologie en la mêlant à des faits réels, par-ci, par-là, pour crédibiliser tout et n'importe quoi... Comme l'écrivait Paul Valéry, « le mélange de vrai et de faux est énormément plus toxique que le faux pur ». En plus, Springmeier est tellement fortiche qu'il vous dégote, comme un rien, toute la généalogie d'un George Bush depuis les Babyloniens, en passant par la famille royale d'Angleterre (je caricature, mais si peu...). Et il se trouve des gens pour gober ça...
Trève de plaisanteries. Derrière ces fables pour demeurés en mal de gratification égotique (bah oui, quand on comprend subitement tout, on cesse d'être ordinaire pour devenir un initié, un être supérieur mais incompris, tentant désespérément d'avertir ses semblables de l'incroyable et terrible menace que font peser sur l'humanité des sociopathes sans foi ni loi, qu'on est seul ou presque à avoir démasqués), se trahissent, au premier examen un peu sérieux, des aberrations théoriques lamentables.
Springmeier soutient qu'après la deuxième guerre mondiale, on a retrouvé sous 80 % des édifices religieux européens endommagés par les bombardements, des traces d'anciens temples païens. Cela prouverait, selon lui, que les « Illuminati » ont toujours été à l'oeuvre dans l'Histoire et que des « cultes sataniques » se sont dissimulés dans les églises catholiques, dont les prêtres trempaient en général dans la combine.
N'importe quel connaisseur, même très superficiel, du paganisme européen, sera pris d'un fou rire inextinguible à la lecture de ces déductions de charlatan, sornettes pour adeptes des sectes protestantes américaines les plus fondamentalistes. Sans parler de quiconque a un minimum étudié l'histoire de l'Eglise catholique.
Mais Springmeier, tout en incarnant un degré supplémentaire de la fumisterie des « débilo-complotistes », ne fait, je le répète, que marcher sur les brisées d'autres mythologues de l'illuminisme, qui ont quasiment tous en commun de voir le Diable partout. Et pour cause, puisqu'il s'agit quasiment toujours de catholiques « intégristes » ou de protestants fondamentalistes.
Par rapport au « paganisme » (terme péjoratif forgé par la Chrétienté), le monothéisme d'origine hébraïque a en effet inventé Satan. Et, l'ayant inventé, il fallait bien en faire quelque chose. A commencer par lui amalgamer toutes les autres religions antérieures. Païen = satanique. Comme si les « Païens » avaient été des pédomanes et des adorateurs du Mal... De là à ce que des Chrétiens moins intelligents que d'autres le systématisent dans leur représentation d'un monde dominé par les notions de faute, de péché et de culpabilité, jusqu'à en faire une entité concrète, il n'y avait qu'un pas, aussitôt franchi.
Si bien que certains, aujourd'hui, traquent ses manifestations à travers les perversions évidentes de certaines élites et, par ailleurs encouragés par des inversions théologiques plus ou moins folkloriques, échafaudent ce genre de théories explicatives globales.
On peut y voir une des manifestations de la déspiritualisation moderne, en pleine production de parodies de la spiritualité perdue, recréant, comme le dit Massimo Introvigne (un Chrétien intelligent, lui), des religions de substitution.
Néanmoins, je le redis, ces foutaises font un tort considérable aux chercheurs sincères.
Sur une foule de sujets dont il est déjà difficile de discuter sereinement compte tenu de la chape de plomb médiatique et du terrorisme intellectuel, comme les oligarchies, la mondialisation, le populisme, l'immigration, l'islam, le libéralisme, le marxisme, le communisme, le terrorisme, la manipulation des foules, le 11 septembre 2001, les causes de la deuxième guerre mondiale, etc., la confusion mentale et les superstitions mystico-paranoïaques qui règnent chez certains, ne font que discréditer des vérités mêlées à leurs délires ; vérités, seules défendues par d'autres qui, eux, vérifient leurs sources et tentent d'y voir clair sans recourir à la pataphysique.
Là, comme dans d'autres domaines de la réflexion et de l'action, il est urgent que les théoriciens de la dissidence rappellent à leurs disciples potentiels quelques règles élémentaires de rigueur et d'honnêteté intellectuelles.
On ne lutte pas efficacement contre les plans et les outils bien réels, et parfois dissimulés, des acteurs majeurs du « Système » (sphères de pouvoirs financières, industrielles, politiques, médiatiques, avec tous leurs bras armés, parfois officiels, d'autres fois secrets ou déguisés), en prenant des vessies pour des lanternes ou, pour être plus précis, en prenant des gens ordinaires, certes dotés de positions économiques et/ou sociales importantes, comme de pouvoirs matériels parfois considérables, et évoluant dans des cercles relationnels amplifiant leurs possibilités de nuisance, pour de puissants sorciers appartenant à de fabuleuses sociétés secrètes, détentrices de secrets magiques opératifs, tout cela étant aussi grotesque qu'imaginaire.
Plus sûrement encore que de le sous-estimer, surestimer l'ennemi rend incapable de le combattre.
Peut-être serait-ce là, d'ailleurs, le but de l'existence des mythes « débilo-complotistes », s'il y avait, derrière leur propagation, autre chose que la malhonnêteté de leurs créateurs et la crédulité de leurs adeptes... Allez savoir.
20:00 Écrit par Boreas dans Crise, Histoire, Politique, Propagande, Psychologie, Religion, Stratégie | Lien permanent | Tags : conspiration, complot, complotisme, complotistes, zbigniew brzezinski, technologie, samuel huntington, aymeric chauprade, illuminati, fdesouche.com, entropie, néguentropie, groupe, collectif, david rockefeller, nouvel ordre mondial, oligarchies, plans, kgb, cia, marketing, communication, capital, finance, augustin barruel, henri delassus, john robison, marquis de la franquerie, nesta webster, william guy carr, serge monast, david icke, anton parks, jacques delacroix, liesi, fritz springmeier, skull and bones, cfr, commission trilatérale, ennemi, chrétiens, intégristes, fondamentalistes, diable, satan, massimo introvigne, élites, satanisme, système, mythes | Facebook | | Imprimer | |
27/07/2011
Anders Behring Breivik, un néo-conservateur à la sauce scandinave
Ceci n'est pas qu'un jeu de mots...
Après les quelques éléments crédibles déjà donnés, malgré quelques approximations, par le site Terrorisme.net et, une fois n'est pas coutume... Le Figaro, vous trouverez dans cet article de Massimo Introvigne certains des renseignements les plus intéressants que j'aie pu lire sur les orientations idéologiques du tueur d'Oslo.
Extrait :
« Il est vraiment regrettable que la police norvégienne, immédiatement reprise par les médias du monde entier, ait initialement présenté le kamikaze, Anders Behring Breivik, comme un chrétien fondamentaliste, et qu'en Italie certains médias l'aient même défini - à tort - comme catholique .
L'incident montre simplement comment aujourd'hui "fondamentaliste" est un mot utilisé de manière générique et imprécise pour désigner toute personne ayant des idées extrêmes, ou plus généralement de "droite", et une référence, même vague, au christianisme, et, depuis que l'attaque à Oslo a été attribuée à un adepte du fondamentalisme, comme un terroriste potentiel. (...) Anders Behring Breivik n'est pas un fondamentaliste. »
Le texte original en italien, une vraie mine d'informations, et pas du tout centrée sur le sujet du fondamentalisme, est là.
Je vous invite à le lire, car en reproduire d'autres passages isolés risquerait, en les mettant en exergue, d'en trahir l'analyse générale.
Moins instructif, mais posant néanmoins des questions intéressantes, François-Bernard Huyghe confirme, en gros, l'opinion d'Introvigne sur le pensum (1.500 pages !) rédigé au fil des années par le mitrailleur d’Utøya :
« un mélange pas très orignal de théorie du complot, de vagues dénonciations du gauchisme multiculturaliste, d'islamophobie et de paranoia (la guerre civile européenne arrive, l'Islam nous envahit)... On notera au passage que les écrivains que cite Breivik quand il ne recopie pas des pages entières d'un idéologue inconnu et qu'il n'a jamais rencontré, "Fjordman", sont plutôt Orwell, Jefferson, des classiques libéraux comme Adam Smith ou John Stuart Mill, Gandhi, Popper, Churchill et même Lao Tseu. Tout cela ressemble plus à une version européanisée du discours néo-conservateur alarmiste qu'au fascisme au sens classique. Si l'auteur se réfère vaguement à des "valeurs chrétiennes", il n'évoque guère le nom de Dieu ou des principes théologiques : le traiter de "fondamentaliste chrétien" est peut-être un peu rapide. Il se défend de croire à la moindre théorie du complot juif ou d'adhérer à l'antisémitisme, considérant même les bons sionistes européens comme des "alliés primaires" des Européens luttant contre leur asservissement.
Jusque-là, une bouillie idéologique que l'on pourrait entendre au bistrot du coin ; elle témoigne plutôt que d'une doctrine structurée, d'un mentalité de ressentiment ou d'une paranoïa où le "multiculti" joue le rôle de l'invasion martienne chez d'autres. »
En complément, les commentaires laissés par Breivik sur le site Document.no sont ici.
Quoi qu'on pense de la personnalité, à mon avis pathologique, du tueur (N.B. : je supprimerais tout commentaire qui ferait ne serait-ce qu'un début d'éloge du personnage), ce qui me paraît le plus intéressant, c'est d'étudier ses idées.
Au-delà de leur relative confusion, il me paraît assez évident qu'elles s'apparentent davantage, comme le souligne Huyghe dans l'extrait ci-dessus, « à une version européanisée du discours néo-conservateur », à la Guy Millière, qu'à un patriotisme identitaire, sain et nuancé (Huyghe évoque, lui, le « fascisme » : je ne vois pas vraiment ce que celui-ci vient faire là, sauf pour complaire à la doxa systémique, mais peu importe...).
Or, quand on sait ce qu'est le discours néo-conservateur (anglo-saxon) et quelles divergences de fond et d'intérêts il y a entre lui et nos idées malgré, parfois, surtout aux yeux des ignorants, quelques points communs apparents, c'est quand même un comble de voir que les crimes d'un dingue scandinave pourtant clairement sur une autre ligne idéologique que la nôtre, servent désormais de prétexte aux menteurs professionnels et aux ahuris Bisounours pour une chasse aux sorcières généralisée, par amalgame (comme d'habitude).
L'exploitation médiatique de ces crimes, ainsi que quelques parallèles hasardeux avec d'autres événements du passé, font évidemment que certains crient au complot. Le résultat est trop beau, n'est-ce pas, ça ne peut pas ne pas être voulu par les diaboliques ceux-ci, ou les sataniques ceux-là...
La vérité est plus simplement, je pense, dans le virtualisme cher à Philippe Grasset (voir mon billet du 25 juillet). Dans la communication.
Comme, en 1989, l'Occident américanocentré voyait encore, du moins officiellement, le KGB partout, aujourd'hui, parmi les retardataires de l'Histoire, il en existe qui ne sont pas favorables au Système et décèlent, dans tout fait désagréable, la manifestation d'une machiavélique, toute-puissante et irrésistible action souterraine émanant de « l'Empire », des USA et de ses partenaires anglais et israéliens.
Au lieu de vouloir valider leur théorie par d'autres théories, de verser à l'appui de leurs hypothèses d'autres hypothèses, quitte à inventer des preuves, un peu comme Teilhard de Chardin ou un de ses amis qui avaient trafiqué des squelettes pour créer l'homme de Piltdown, les tenants du complot anglo-saxon et/ou israélien feraient mieux d'examiner les faits et de réfléchir plus sérieusement aux mobiles.
Certains affirment que le tueur d'Oslo n'a pu agir seul, sous prétexte qu'on ne flingue pas seul 68 personnes en mouvement. Ah bon. Pour ma part, je suis plutôt étonné qu'en une heure de temps, sur une petite île de 0,12 km² momentanément peuplée de plusieurs centaines d'adolescents (600), il ait pu, bien qu'équipé de deux armes automatiques et de balles à fragmentation, n'en trucider QUE 68 ; guère plus d'un sur dix, guère plus d'un par minute. Après avoir affirmé avoir agi seul, il a dit qu'il existerait « deux autres cellules », mais les enquêteurs n'y croient plus. En tout cas, la crédibilité des déclarations du criminel est nulle.
Si Breivik avait été l'instrument de services secrets occidentaux, aurait-il dévoilé ses idées depuis tant d'années ? Et ces idées n'auraient-elles pas davantage « collé », pour mieux les discréditer, avec celles, plus classiques, de l' « extrême-droite » norvégienne, voire européenne (le Parti du Progrès norvégien, auquel l'assassin a appartenu dans le passé, n'en fait pas partie et est un soutien traditionnel... des Etats-Unis) ? N'aurait-il pas pris soin de se faire passer pour autre chose qu'un néo-conservateur sioniste ? Bref.
Que ses crimes soient exploités par la classe politique et les médias mainstream ne signifie pas autre chose que ce dont témoigne leur habituel réflexe pavlovien : celui de ceux qui ont intérêt à la récupération et à l'utilisation propagandique, par amalgame, en tablant sur la désinformation et l'ignorance du grand public, de tout événement susceptible de les aider à ostraciser les patriotes en général. Comme le spasme suiviste de leurs larbins Bisounours, probablement les plus nombreux.
Mais comme toujours, l'objectivité est, semble-t-il, aussi rare que le sens des nuances et donc, la raison.
02:00 Écrit par Boreas dans Crise, Politique, Propagande, Psychologie, Religion | Lien permanent | Tags : massimo introvigne, médias, terrorisme, attentats, terroriste, anders behring breivik, tueur, oslo, tuerie, norvège, fondamentalisme, fondamentaliste, chrétien, christianisme, françois-bernard huyghe, néo-conservatisme, néo-conservateur, guy millière, islamophobie, complot, théorie, patriotisme, identitaire, patriotes, etats-unis, israël, israéliens, usa, crimes, philippe grasset, virtualisme, occident, utøya, parti du progrès, extrême-droite, bisounours | Facebook | | Imprimer | |