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07/06/2012

Les « élites » et « l'écroulement d'un monde », selon Frédéric Lordon

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« (...) la catastrophe étant sans doute le mode historique le plus efficace de destruction des systèmes de domination, l’accumulation des erreurs des "élites" actuelles, incapables de voir que leurs "rationalités" de court terme soutiennent une gigantesque irrationalité de long terme, est cela même qui nous permet d’espérer voir ce système s’écrouler dans son ensemble.

Il est vrai que l’hypothèse de l’hybris, comprise comme principe d’illimitation, n’est pas dénuée de valeur explicative. (...) Car c’est bien l’abattement des dispositifs institutionnels de contention des puissances qui pousse irrésistiblement les puissances à propulser leur élan et reprendre leur marche pour pousser l’avantage aussi loin que possible. Et il y a bien quelque chose comme une ivresse de l’avancée pour faire perdre toute mesure et réinstaurer le primat du "malpropre" et du "borné" dans la "rationalité" des dominants.

Ainsi, un capitaliste ayant une vue sur le long terme n’aurait pas eu de mal à identifier l’État-providence comme le coût finalement relativement modéré de la stabilisation sociale et de la consolidation de l’adhésion au capitalisme, soit un élément institutionnel utile à la préservation de la domination capitaliste – à ne surtout pas bazarder ! Évidemment, sitôt qu’ils ont senti faiblir le rapport de force historique, qui au lendemain de la seconde guerre mondiale leur avait imposé la Sécurité sociale – ce qui pouvait pourtant leur arriver de mieux et contribuer à leur garantir trente années de croissance ininterrompue –, les capitalistes se sont empressés de reprendre tout ce qu’ils avaient dû concéder. (...)

Il faudrait pourtant s’interroger sur les mécanismes qui, dans l’esprit des dominants, convertissent des énoncés d’abord grossièrement taillés d’après leurs intérêts particuliers en objets d’adhésion sincère, endossés sur le mode la parfaite généralité. Et peut-être faudrait-il à cette fin relire la proposition 12 de la partie III de l’Éthique de Spinoza selon laquelle "l’esprit s’efforce d’imaginer ce qui augmente la puissance d’agir de son corps", qu’on retraduirait plus explicitement en "nous aimons à penser ce qui nous réjouit (ce qui nous convient, ce qui est adéquat à notre position dans le monde, etc.)".

Nul doute qu’il y a une joie intellectuelle particulière du capitaliste à penser d’après la théorie néoclassique que la réduction du chômage passe par la flexibilisation du marché du travail. Comme il y en a une du financier à croire à la même théorie néoclassique, selon laquelle le libre développement de l’innovation financière est favorable à la croissance. Le durcissement en énoncés à validité tout à fait générale d’idées d’abord manifestement formées au voisinage immédiat des intérêts particuliers les plus grossiers trouve sans doute dans cette tendance de l’esprit son plus puissant renfort.

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26/02/2012

Même l'hyperclasse finit par ouvrir les yeux

Ça sent le sapin, George...

 

« La montée de la dette publique des Etats-Unis est une catastrophe qui s'annonce pour le monde entier si Washington n'agit pas pour endiguer le problème, a affirmé samedi le directeur général de l'Institut de la finance internationale (IIF), Charles Dallara.

"Si on regarde le déficit budgétaire américain, on ne peut s'empêcher d'avoir le sentiment que c'est un accident grave qui s'annonce. Pas seulement un accident grave pour les Etats-Unis, mais pour le monde entier", a estimé le patron de cette organisation bancaire mondiale.

"Les pays qui sont à l'occasion immatures dans leur capacité à gérer leurs affaires économiques aussi bien qu'ils le devraient, et cela inclut la plupart d'entre eux, vont découvrir que le monde encourt des risques", a affirmé M. Dallara lors d'une conférence en marge de la réunion du G20 à Mexico.

"Parce que ces pays vont attendre que les marchés leur versent un baquet d'eau froide. Et nous savons que quand cela arrive, ce n'est pas un baquet d'eau froide que pour le pays, c'en est un pour l'économie mondiale", a-t-il poursuivi.  »

Source

04/07/2011

Fukushima : « dédramatisation » à l'anglaise

« Bienvenue dans le nuclé'art »

 

 

« Les responsables du Gouvernement britannique ont approché les industriels du nucléaire, afin de concevoir une stratégie et de coordonner les relations publiques pour minimiser la catastrophe nucléaire de Fukushima ; ceci, juste deux jours après le séisme et le tsunami au Japon et avant que ne soit connue l'ampleur de la pollution environnementale radioactive.

Le Guardian s’est procuré les e-mails internes échangés, qui montrent comment les industriels des multinationales de l’énergie nucléaire, comme EDF Energy, AREVA, Westinghouse, etc., ont travaillé dans les coulisses, en étroite collaboration avec le Département de l'Energie et du Changement Climatique (DECC), pour tenter de s'assurer que la catastrophe de Fukushima n’impacte pas leurs plans pour la construction de la nouvelle génération de centrales nucléaires prévue au Royaume-Uni.

"Cela peut faire revenir la confiance en l'industrie nucléaire dans le monde", a écrit un haut fonctionnaire du Département pour les Affaires, l’Innovation et les Compétences (BIS), dont le nom a été expurgé des e-mails. "Nous devons nous assurer que les anti-nucléaires et que l’opinion publique ne gagnent pas du terrain sur ce point. Nous avons besoin d'occuper le terrain et de le tenir. Nous avons vraiment besoin de montrer que la sûreté des installations nucléaires est parfaite".

Les fonctionnaires ont souligné l'importance de prévenir tout incident qui pourrait saper le soutien de la population à l’énergie nucléaire. (...)

Le [BIS] a contacté le 13 mars, par courriels, les firmes nucléaires et leur organe représentatif, l'Association des Industriels du Nucléaire (NIA), soit deux jours après la catastrophe qui a frappé les centrales nucléaires et leurs systèmes de sécurité de secours à Fukushima. Le ministère a soutenu que des images de télévision de l’époque montraient que cela n’était pas grave mais donnaient l'impression d’être plus que "spectaculaires", même si les conséquences de l'accident étaient encore en cours et que les deux fortes explosions dans les enceintes des réacteurs ne s’étaient pas encore produites.

"Les radiations libérées ont été contrôlées et les réacteurs avaient été protégés", a déclaré le fonctionnaire du BIS, dont le nom a été masqué sur les e-mails. "Tout cela fait partie des systèmes de sécurité pour contrôler et gérer une situation comme celle-ci".

Le fonctionnaire a suggéré que si les industriels avaient transmis leurs commentaires, ils devaient être incorporés dans des mémoires destinés aux ministres et aux déclarations du gouvernement. "Nous devons tous travailler à partir des mêmes éléments pour obtenir un message identique à travers les médias et le public".

"Les anti-nucléaires à travers l'Europe n'ont pas perdu de temps pour flouter tout cela en [nouveau] Tchernobyl et [travaux de construction d'un sarcophage]" a dit le fonctionnaire concernant Areva. "Nous devons étouffer toutes histoires tentant de comparer Fukushima à Tchernobyl".

Les responsables japonais avaient d'abord classé l'accident de Fukushima au niveau quatre sur l'échelle internationale des événements nucléaires [INES], ce qui signifie qu'il n’y avait que "des conséquences locales". Mais il a été classé ensuite, le 11 avril, au niveau 7 , ce qui en fait officiellement un accident majeur et le met sur un pied d'égalité avec Tchernobyl en 1986. (...)

Le 7 avril, le Bureau du développement du nucléaire (OND) a invité les entreprises à participer à une réunion au siège de la NIA à Londres. L'objectif était de "discuter d'une communication commune et d’une stratégie d'engagement visant à assurer pour tous de maintenir la confiance parmi le public britannique sur la sécurité des centrales nucléaires et les nouvelles constructions prévues par les politiques par rapport aux récents événements à la centrale nucléaire de Fukushima".

D'autres documents publiés par l’autorité gouvernementale de sécurité nucléaire, le Bureau de la Réglementation Nucléaire (ONR), révèlent que le texte d'une annonce faite le 5 avril concernant l'impact de Fukushima sur le nouveau programme nucléaire  [au Royaume-Uni] avait, en privé, été effacé par les représentants de l'industrie nucléaire, lors d'une réunion la semaine précédente. Selon un ancien régulateur, qui a préféré garder l'anonymat, le degré de collusion était "vraiment choquant". 

Un porte-parole du DECC et du BIS, a déclaré : "Compte tenu du déroulement des événements sans précédent au Japon, il était approprié de partager les informations avec les principaux intervenants, en particulier ceux impliqués dans l'exploitation des sites nucléaires, le gouvernement a été très clair dès le départ qu'il était très important de ne pas l’occulter. Un jugement hâtif et une réponse devraient être fondés sur des preuves tangibles. C'est pourquoi nous avons demandé à l'Inspecteur en chef du nucléaire, le Dr Mike Weightman, de fournir un rapport circonstancié et fondé sur des preuves". (...)

Tom Bruke, un ancien conseiller en environnement du gouvernement et professeur honoraire à l'Imperial College de Londres, a averti que le gouvernement britannique était en train de répéter les erreurs faites au Japon. "Ils sont trop proches de l'industrie, de la dissimulation des problèmes, plutôt que de les révéler et de traiter", a-t-il dit.

"Je serais beaucoup plus rassuré si le DECC s’était soucié de savoir comment le gouvernement allait faire face aux 200 à 300 milliards de dollars de passif qui résulteraient d'un accident nucléaire catastrophique en Grande-Bretagne".

Le gouvernement a confirmé la semaine dernière la construction de huit nouvelles centrales nucléaires en Angleterre et au Pays de Galles. (...)

La NIA n'a pas commenté directement les e-mails diffusés. "Nous sommes financés par nos sociétés membres pour défendre leurs intérêts commerciaux et autres arguments convaincants pour la construction de nouvelles centrales nucléaires au Royaume-Uni", a déclaré le porte-parole de l'association.

"Nous nous félicitons des conclusions provisoires de l'organisme indépendant de régulation, présentées au gouvernement britannique par le Dr Mike Weightman, rapportant que les réacteurs nucléaires du Royaume-Uni sont sûrs". »

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La traduction de cet article du Guardian par l'organisation Next-Up étant relativement mauvaise (c'est un travail de bénévoles, soyez indulgents), j'ai tenté de l'améliorer un peu dans les extraits qui précèdent.

Pour lire la version originale en intégralité, cliquez ici.

18/05/2011

Fukushima : « cauchemar » est un euphémisme

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Michael Wolgemut, Danse des morts, 1493 (Allemagne)

Gravure pour le Liber chronicarum dit “Chronique de Nuremberg” de Hartmut Schedels

Bayerische Staatsbibliothek, Munich (Allemagne)


Pendant que le satyre du FMI croupit enfin dans un endroit approprié à ses turpitudes exceptionnelles et que les naïfs Français degôôôche prennent peu à peu conscience de ce que leurs leaders sont tous des scélérats (en attendant que les rejoignent ceux dedroâââte), la vérité surgit enfin de dessous le boisseau japonais.

Une vérité à côté de laquelle le (présumé, hahaha) violeur des Sofitels fait figure de sale gosse inconscient et ses complices, de mauvais farceurs infantiles.

Une vérité qui me laisse sans mots, tant aucun superlatif, même outrancier, même carnavalesque, même fabuleux, n'est à la hauteur de la catastrophe qu'une entreprise privée criminelle, soutenue par un gouvernement corrompu, a tout fait pour dissimuler le plus longtemps possible aux yeux du monde.

Le prix en sera exorbitant, voire létal, pour le Japon, et pour le reste de la planète qui sait ?

29/03/2011

La vérité sur Fukushima

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Hiroshima, 1945

 

Je reproduis ici la première partie d’une interview de Hirose Takashi par Yoh Sen'ei et Maeda Mari, diffusée par NewStar Asahi TV, le 17 mars 2011 à 20 heures. Traduction du japonais en anglais et présentation par Douglas Lummis. Traduction de l’anglais en français par next-up.org, un peu corrigée par moi.

Ce n'est pas vraiment ce qu'on nous raconte d'habitude...

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Hirose Takashi, qui est un éminent expert, a écrit de nombreux livres, principalement concernant le secteur de l'énergie nucléaire et le complexe militaro-industriel. Son meilleur livre connu est probablement "Nuclear Power Plants for Tokyo" où il a provoqué les industriels du nucléaire : "si vous êtes sûrs qu'elles sont sûres (les centrales nucléaires), alors pourquoi ne pas les construire dans les centres villes plutôt qu’à des centaines de kilomètres, ce qui génère par la distance une forte déperdition d’énergie électrique par les lignes THT" [la déperdition se transforme en réalité en une pollution électromagnétique environnementale qui provoque une électrocution sournoise de la population avec les effets dévastateurs sur la santé qui sont constatés auprès des personnes qui vivent dans les couloirs des THT].

Il donne actuellement de nombreuses interviews télévisées, dont celle-ci, qui est partiellement traduite. Je lui ai parlé au téléphone aujourd'hui (22 mars 2011) et il m'a dit que s’il était logique de s'opposer à l'énergie nucléaire avant, maintenant que la catastrophe a commencé, il serait "juste" de garder le silence, mais il y a à la radio et à la télévision tellement de mensonges grossiers des autorités qu'il ne peut pas garder le silence, c’est un devoir pour lui de dire la vérité. J'ai traduit seulement le premier tiers de l'interview concernant la partie qui se rapporte en particulier à ce qui se passe dans la centrale nucléaire de Fukushima (disponible en intégralité en japonais sur Youtube : parties 1 - 2 - 3).

Après ses analyses, nous pouvons apporter des réponses globales sur le "pourquoi en est-on arrivé à cette situation ?". Néanmoins, il constate qu’actuellement l’approche économique du nucléaire est toujours au premier plan, malgré la catastrophe en cours.

D’ailleurs, accepter la solution du sarcophage, ce serait admettre qu'ils se sont trompés et qu'ils ne contrôlent pas les événements.

D'autre part, pour ces industriels, qui sont aussi des humains, c'est beaucoup trop de culpabilité à supporter, cela signifie la défaite de l'idée de l'énergie nucléaire, une idée qu'ils tiennent en dévotion presque religieuse.

Ils savent que cela signifie non seulement la perte de ces six (ou dix) réacteurs, mais que cela signifie aussi à terme la fermeture de tous les autres, ainsi si c’est une catastrophe sanitaire et environnementale inégalée qui se profile, elle est aussi financière pour eux.

S’ils arrivent à refroidir et à contrôler de nouveau la situation, ils pourront dire : "vous voyez, le nucléaire n'est pas si dangereux, après tout".

Fukushima est un drame qui se déroule sous les yeux du monde entier, et peut se terminer par la défaite ou (c’est leur fragile espoir, que je pense être sans fondement) la victoire de l’industrie nucléaire.

Hirose peut nous aider à comprendre de quoi il retourne.

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Yoh Sen'ei : Beaucoup de gens aujourd'hui ont vu qu’on pulvérise en l’air de l’eau sur les réacteurs, mais est-ce efficace ?

Hirose Takashi : ... Si vous voulez refroidir un réacteur avec de l'eau, vous devez le faire en faisant circuler l'eau à l'intérieur et évacuer la chaleur à l’extérieur par un circuit, sinon cela n'a pas de sens. Donc, la seule solution est de remettre en état les circuits d’électricité, pour essayer de refaire fonctionner les systèmes des circuits de refroidissement. Sinon, c'est comme verser de l'eau sur la lave d’un volcan, cela ne sert à rien.

Yoh : Rebrancher l'électricité - c'est-à-dire redémarrer le système de refroidissement ?

Hirose : Oui, c’est exactement cela. L'accident a été causé par le fait que le tsunami a inondé les générateurs de secours et emporté leurs réservoirs de carburant. Si nous n’y arrivons pas, il n'y a aucun moyen de récupérer cet accident.

Yoh : Tepco [Tokyo Electric Power Company, le propriétaire / exploitant des centrales nucléaires] dit qu'ils s'attendent à mettre sous tension les lignes ce soir.

Hirose : Oui, il y a un peu d'espoir là-bas. Mais ce qui est inquiétant, c'est que les réacteurs nucléaires ne sont pas comme sur les photos (schémas) qui sont montrées (Hirose montre une représentation graphique d'un réacteur, comme celles utilisées à la télévision). C'est juste un schéma.

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Voici à quoi ressemble en réalité un réacteur sous sa coupole de confinement (il montre une photo). C'est immense un réacteur. Regardez de plus près c'est une forêt de commutations, de galeries, de fils et de tuyaux. A la télévision ces pseudo-savants parlent et nous donnent des explications simples, mais ils ne savent rien, car se sont des professeurs d'université. Seuls les ingénieurs connaissent. Vous voyez, c’est ici que l'eau a été répandue dans ces labyrinthes avec cette multitude de tuyaux, ces vues réelles sont suffisantes pour vous donner le vertige. Une telle structure est beaucoup trop complexe à comprendre pour nous.

Travaux de maintenance à l'extérieur de la zone de confinement d'un réacteur à eau bouillante

 

Depuis une semaine maintenant, ils versent de l'eau par là. Et c'est de l'eau salée ! Si vous versez de l'eau salée sur un four chaud, que pensez-vous qu’il se passe ? Vous obtenez du sel. Ce sel se dépose partout et finit par bloquer toutes les vannes qu’il sera impossible de faire fonctionner. Cette eau salée passe partout dans les labyrinthes, va de partout et va tout obstruer. Donc, je ne peux pas croire que c'est juste une simple question qui sera résolue en reconnectant l'électricité que l'eau va recommencer à circuler. Je pense que n'importe quel ingénieur avec un peu d'imagination peut le comprendre. Nous sommes en face d’un système incroyablement complexe et puis, en fait, déverser de l'eau sur les réacteurs à partir d'un hélicoptère - peut-être qu'ils ont une idée de comment cela pourrait agir, mais je ne peux pas comprendre.

Yoh : Il faudra plus de 1.300 tonnes d'eau pour remplir les piscines qui contiennent les barres de combustible irradiées dans les réacteurs 3 et 4. Ce matin nous en sommes à 30 tonnes. Ensuite, les Forces d'autodéfense avec leurs 5 camions pompes ont peut-être réussi à en déverser aussi 30 tonnes, mais où ? Ce qui est sûr, c’est que tout ceci est très loin d'être suffisant ; même s’il y a une suite, cela ne changera en rien la situation ?

Hirose : En principe, cela ne peut pas. Parce que, même quand un réacteur est en fonctionnement normal, il nécessite un contrôle constant de maintien de la température pour la sécurité. Maintenant, c'est un désordre complet à l'intérieur des installations et quand je pense aux 50 personnes qui y travaillent, j'en ai les larmes aux yeux. Je suppose qu'ils sont exposés à de très grandes quantités de rayonnements et qu'ils restent car ils ont accepté de faire face à la mort. Combien de temps peuvent-ils tenir ? Je veux dire, physiquement ? C'est la situation à ce jour.

Alors quand je vois ces beaux parleurs à la télévision, je veux leur dire, "Si c'est ce que vous dites, alors allez-y faire le travail vous-même !" Vraiment c’est honteux de les entendre, ils parlent, c’est un non-sens, ils essayent de rassurer tout le monde surtout pour éviter la panique. Ce qu'il nous faut maintenant, c'est "une bonne panique contrôlée", parce que la situation est arrivée au point où le danger est réel.

Si j'étais le Premier Ministre Kan, j’ordonnerais de faire ce que l'Union Soviétique a fait quand le réacteur de Tchernobyl a explosé, la solution sarcophage, enterrer le tout dans du béton fourni par toutes les entreprises du Japon. Ceci, parce que vous avez à assumer le pire des cas. Pourquoi ? Parce que, dans la centrale nucléaire de Fukushima, il y a aussi l'usine de Daiichi avec six réacteurs et l'usine de Daini avec quatre, ce qui fait un total de dix réacteurs. Si un seul d'entre eux développe le pire des cas [fusion incontrôlée ou atteinte de criticité], alors les travailleurs n’y pourront plus rien, il faudra évacuer le site en attendant l'effondrement.

Donc, si, par exemple, l'un des réacteurs de Daiichi s’enfonce, pour les cinq autres cela ne sera qu'une question de temps.

Nous ne pouvons pas savoir dans quel ordre cela risque de se produire, mais certainement ils suivront tous le même chemin. Et si par malheur cela arrive, Daini n'est pas si loin, alors, probablement, les autres réacteurs eux aussi s’enfonceront. Je suppose qu’aucun travailleur ne sera en mesure de rester sur cette zone.

Je parle du pire des cas, mais la probabilité n'est pas faible. C'est le danger que le monde regarde et qui menace l’humanité, mais il est caché au Japon.

Comme vous le savez, des six réacteurs de Daiichi, quatre sont dans un état très endommagé. Donc, même si dans le cas où un irait bien et que la circulation de l'eau soit rétablie pour trois d’entre eux, la crise ne serait pas finie, je déteste le dire, mais je suis pessimiste. Alors, pour sauver le peuple, nous devons réfléchir à un moyen de réduire les fuites de rayonnements au niveau le plus bas possible. Non par pulvérisation d'eau par des tuyaux, comme l'eau d'arrosage dans un désert, mais par une solution radicale de sarcophage et de refroidissement souterrain immédiat.

De plus imaginez, tout le monde sait combien de temps prend une forte dépression atmosphérique pour passer sur le Japon... C'est avec une vitesse de vent de deux mètres par seconde, il ne faut donc environ que quelques jours pour que l'ensemble du Japon soit couvert par des radiations. Nous ne parlons donc plus de distances de 20 km, 30 km ou 100 km. Cela signifie bien sûr que Tokyo, Osaka seront touchés inévitablement en fonction de la vitesse à laquelle un nuage radioactif pourrait se propager. Bien sûr, cela dépend de la météo ; nous ne pouvons pas savoir à l'avance la façon dont le rayonnement sera diffusé. Ce serait effectivement bien si le vent soufflait toujours vers la mer, mais malheureusement cela ne sera pas toujours le cas. Il y a deux jours, le vent soufflait vers Tokyo. Voilà ce qu'il en est...

Yoh : Chaque jour, les autorités gouvernementales locales effectuent des mesures de la radioactivité. Toutes les stations de télévision disent que toutes les radiations sont à la hausse, mais qu’elles ne sont encore pas encore assez hautes pour être un danger pour la santé. Ils les comparent à une radiographie aux rayons X du corps et si elles augmentent, ils conseillent de porter un appareil dosimétrique. Qu’est-ce que cela changera à la question ?

Hirose : Par exemple, hier autour de Fukushima, la station de Daiichi a mesuré 400 millisieverts par heure. Avec cette mesure, Edano le chef du cabinet de la préfecture a admis pour la première fois qu'il y avait un danger pour la santé, mais il n'a pas expliqué ce que cela signifie.

Je pense que tous les médias d'information sont en faute. Ils disent des choses stupides comme : nous sommes exposés à des rayonnements tout le temps dans notre vie quotidienne, nous sommes soumis aux rayons cosmiques, mais c'est un millisievert par an. Une année compte 365 jours, un jour a 24 heures, multipliez 365 par 24, vous obtenez 8.760. Multipliez les 400 millisieverts, vous obtenez 3.500.000 [millisieverts], la dose actuelle dans cette zone. Vous appelez cela sécuritaire ?

Et est-ce que les médias ont signalé ces valeurs d’irradiation ? Aucun.

Ils les comparent à un scanner, qui est un plus pour un instant, ce qui n'a absolument rien à voir avec ce que nous vivons. La radioactivité qui ne peut pas être mesurée est celle de la matière radioactive qui s'échappe du site nucléaire, c’est celle des particules radioactives. Se sont ces particules contaminantes qui sont les plus dangereuses, car se sont elles qui en pénétrant dans votre corps amènent une source de radioactivité directement au contact de vos cellules et organes en l’irradiant de l’intérieur.

Ces chercheurs-porte-parole de l'industrie viennent à la télévision ; que disent-ils ? Ils disent que si vous vous éloignez, le rayonnement est réduit en raison inverse du carré de la distance. Je tiens à dire le contraire.

L'irradiation interne se produit lorsque les particules radioactives sont ingérées, dans votre corps. Que se passe-t-il ?

Disons par exemple qu'une particule radioactive est à 1 mètre de vous et que vous l’inhalez dans vos poumons. La distance de la source radioactive est maintenant de l’ordre du micron, puisqu’elle colle à votre organe ! Un mètre est égal à 1.000 millimètres et un micron à un millième de millimètre. C’est mille fois mille (c'est-à-dire mille au carré).

C’est la véritable signification de l'irradiation "inversement proportionnelle au carré de la distance par rapport à la source radioactive", car, dans ce cas, il n’y a plus de distance mesurable et le facteur d’irradiation, même s’il est faible et surtout variable en fonction du type de particules radioactives (radionucléides), s’en trouve augmenté d’un billion (10 ¹² soit 1.000 milliards) !

En conséquence, L'inhalation de la plus infime particule radioactive, c'est le danger ["Inhaling even the tiniest particle, that’s the danger"].

Yoh : Donc, comme à la TV, faire des comparaisons avec les rayons X des radiographies et la tomodensitométrie, n'a pas de sens. Il ne faut donc pas respirer (inahaler), ni ingérer des matières radioactives.

Hirose : C’est exact. Quand elles pénètrent dans le corps, on ne sait pas où elles vont migrer et se fixer. Le plus grand danger est celui des femmes enceintes en particulier, des bébés et des petits enfants.

Maintenant, ils parlent d'iode et de césium, mais ce n'est qu'une partie des contaminants radioactifs et en plus, la plupart du temps, ils ne possèdent pas les instruments de détection appropriés. Ce qu'ils appellent leurs moyens de surveillance des mesures de la valeur des rayonnements dans l'air (balises) ne détectent pas ce que nous pouvons inhaler. Ce qu’ils mesurent n'a aucun lien avec la quantité de matières radioactives dans l’air...

Yoh : Donc, les dommages causés par les rayons radioactifs et les dommages causés par les particules de matières radioactives, ne sont pas les mêmes.

Hirose : Si vous me demandez, ici dans ce studio : "ce sont tous des rayonnements radioactifs provenant de la centrale nucléaire de Fukushima ?", la réponse sera non. Mais par contre, pour les particules radioactives qui sont transportées ici par l'air, la réponse sera oui. Lorsque le noyau d’un réacteur commence à fondre, des éléments radioactifs de l'intérieur s’échappent par les ouvertures (crevasses et dommages) vers l’extérieur, c’est ce qui est actuellement le cas et, avec la chaleur, elles montent vers le haut dans l’atmosphère.

Yoh : Est-il possible de détecter ces particules radioactives ?

Hirose : J'ai été informé par un journaliste que maintenant TEPCO n'est pas encore équipé d’un tel équipement (collecteur de particules) pour faire un suivi régulier. Ils ne prennent qu’occasionnellement de telles mesures de valeurs de densité, avec le centre de contrôle d’Etat géré par Edano.

Il faudrait prendre des mesures en permanence, mais ils n’ont pas les moyens de le faire. Elles seraient nécessaires pour évaluer l’ampleur et le nombre de fuites radioactives. Cela nécessite des instruments de mesure très sophistiqués. Mesurer seulement un niveau de rayonnement dans l'air, par exemple lorsque vous vous déplacez en voiture, n’est absolument pas suffisant, qu’il soit faible ou élevé cela n’est pas la donnée la plus fondamentale pour la santé.

Nous avons besoin de savoir quel type de matières en particules radioactives s'échappent, et où elles vont pour les suivre et donner l’alerte, malheureusement ils n'ont pas un système en place pour le faire maintenant.