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05/12/2011

Occupy : « Je suis mort de peur »

Brian Moynihan, Lloyd Blankfein et Jamie Dimon,
patrons de Bank of America, Goldman Sachs et JP Morgan Chase

 

« (...) Un document intéressant a été diffusé, d’abord par Chris Moody, de News.Yahoo.com, le 30 novembre 2011, puis repris par d’autres sites progressistes ou dissidents (notamment ThinkProgress.org, le 1er décembre 2011, ou RAW Story le même 1er décembre 2012). Il évoque une conférence semi-publique sinon “secrète” de la Republican Governors Association, à Orlando, en Floride, dans laquelle Moody avait pu se glisser. Cette association fait partie du réseau des courroies de transmission, essentiellement liées au parti républicain traditionnel, réseau institué en défenseur du “1%” visé par Occupy. Le 30 novembre, il y a eu une intervention remarquable, celle de Frank Luntz, un “stratège” de la communication, notamment mandaté par le parti républicain. Moody écrit :

«The Republican Governors Association met this week in Florida to give GOP state executives a chance to rejuvenate, strategize and team-build. But during a plenary session on Wednesday, one question kept coming up : How can Republicans do a better job of talking about Occupy Wall Street ?

«“I'm so scared of this anti-Wall Street effort. I'm frightened to death,” said Frank Luntz, a Republican strategist and one of the nation's foremost experts on crafting the perfect political message. “They're having an impact on what the American people think of capitalism.” Luntz offered tips on how Republicans could discuss the grievances of the Occupiers, and help the governors better handle all these new questions from constituents about “income inequality” and “paying your fair share.”»

[«L'Association des Gouverneurs Républicains s'est réunie cette semaine en Floride pour donner aux gouverneurs membres du Grand Old Party (le Grand Vieux Parti, surnom du Parti Républicain) une chance de se rajeunir, d'avoir une réflexion stratégique et de développer l'esprit d'équipe.

"J'ai si peur de cet effort anti-Wall Street. Je suis mort de peur", a dit Frank Luntz, un stratège républicain et l'un des principaux experts nationaux de l'optimisation des messages politiques. "Ils ont un impact sur ce que le peuple américain pense du capitalisme". Luntz a fait des propositions sur la manière dont les Républicains pourraient débattre des griefs des militants d'Occupy, et aider les gouverneurs à mieux manier toutes ces nouvelles questions relatives à "l'inégalité de revenus" et au "payer votre juste contribution".»]

Suivent les conseils que Luntz a donnés à ses auditeurs au niveau de la communication, pour tenter de contrer Occupy et son influence. Ces conseils relèvent de l’enfonçage de portes ouvertes, comme c’est l’habitude dans cette sorte d’exercice si caractéristique de la postmodernité, et cela venu d’un véritable maître du domaine : “Ne parlez pas du capitalisme”, “Ne parlez pas des bonus”, “Montrez de la sympathie pour les contestataires au nom des 99%”, et ainsi de suite pour les platitudes décisives du “stratège”. ThinkProgress.org, commentant cette intervention, met en évidence son importance pour les adversaires d’Occupy, avec la personnalité et la réputation de ce Luntz, et sa signification du point de vue d’Occupy

«Frank Luntz is no minor pollster. He is considered to be one of the top political communications experts in the world, having provided consulting to many of the world’s top corporations, politicians, and special interest groups. That Luntz is admitting the impact of Occupy Wall Street and the 99 Percent and telling closed-door meetings of Republicans that it frightens him is a huge victory for the movement.»

[«Frank Luntz n'est pas un petit sondeur d'opinion. Il est considéré comme un des meilleurs experts en communication au monde, ayant prodigué ses conseils à bien des entreprises, politiciens et groupes d'intérêts particuliers du plus haut niveau mondial. Que Luntz admette l'impact d'Occupy Wall Street et des 99% et qu'il déclare lors d'une réunion de Républicains à huis clos que cela l'effraie, est une énorme victoire pour le mouvement.»]

(...) Les mots de Frank Luntz («I'm so scared of this anti-Wall Street effort. I'm frightened to death» ["J'ai si peur de cet effort anti-Wall Street. Je suis mort de peur"]) sont impressionnants de puissance pour décrire l’état d’esprit des adversaires d’Occupy ou, plus précisément, des fameux “1%”. On sent qu’il y a, dans cet exposé, la marque d’une véritable panique qui a saisi l’oligarchie financière (et, au-delà, la direction politique et l’establishment) devant ce qui est perçu comme une révolte populaire. Inconsciemment et involontairement, cet état de la psychologie de ce groupe placé au cœur du Système a toutes les chances d’alimenter Occupy par les réactions incontrôlées du groupe, par ses réflexes, par sa peur elle-même. Le commentaire de ThinkProgress.org est évident, dans le fait que l’effet d’Occupy ait engendré cette frayeur panique constitue une incontestable victoire des contestataires… Tout cela montre que l’oligarchie-Système des “1%” est dans une situation psychologique inconsciente de crainte d’une révolte, qui est presque une attente de cette révolte, voire une sorte d’incitation à la révolte, comme ces obsessions qui finissent par créer l’objet supposé, voir imaginé de l'obsession. Il y a ainsi un rapport étrange, de l’ordre du complément de courants supérieurs se nourrissant des psychologies collectives et les nourrissant elles-mêmes, pour installer cette situation. En dépit de l'importance d'Occupy qui peut paraître quantitativement faible, de sa forme qui peut apparaître incohérente – mais aussi, peut-être à cause de cela –, les circonstances et les tensions psychologiques devraient finir par créer en quelque sorte de toutes pièces une situation insurrectionnelle. Justement, les caractères insaisissables du mouvement, ou les caractères dérisoires du point de vue quantitatif, sont des occurrences qui, au lieu de limiter le mouvement, ouvrent ses perspectives dans la perception qu’en a l’oligarchie-Système dès lors qu’il se confirme qu’elle vit avec l’obsession de l’insurrection populaire. »

Philippe Grasset

N.B. : l'article est aussi très intéressant en ce qui concerne les perspectives électorales américaines de 2012, avec la possibilité d'un soutien massif à Ron Paul, par-delà « droite » et « gauche », par-delà Tea Party et Occupy. Je n'ai pas repris cette partie, ni par conséquent traduit ses passages en américain, parce que cet aspect des choses est moins nouveau sur Dedefensa.org, mais je vous invite néanmoins vivement à le lire.

08/10/2011

La finance occidentale entre en agonie

 

« On vient d’assister à un trimestre noir pour les banques. Et la situation pourrait se dégrader encore d’ici la fin de l’année. La période écoulée fut l’occasion de se souvenir combien la crise de 2008 a accouché d’institutions géantes et toujours trop grandes pour faire faillite (Bank of America Merrill Lynch), aux contrôles des risques toujours insuffisants (UBS) et vulnérables à la contagion spéculative actuellement très malsaine qu’on observe sur les marchés (Société Générale). En effet, il y a eu les rumeurs de faillite de Bank of America Merrill Lynch, sauvée in extremis par le très patriotique Warren Buffett et sa participation-éclair de 5 milliards de dollars, qui semble avoir évité - pour l’heure - une troisième recapitalisation par le Trésor américain. Un événement passé presque inaperçu tant la crise se concentrait sur le continent européen.

Il y a eu aussi l’alerte spéculative sur la Société Générale, dont l’action a plongé sur une fausse rumeur, alimentant une panique des investisseurs déjà bien réelle vis-à-vis du secteur. Il y a aussi eu la énième "affaire UBS", avec la fraude à 2 milliards de francs [suisses] du trader londonien. Et il y a eu, bien sûr, la propagation du feu aux poudres parti du marché de la dette étatique européenne pour s’étendre au système bancaire européen. Fin août et début septembre, les banques de la zone euro sont devenues les cibles privilégiées du négoce des spéculateurs par le biais de leur instrument favori, le CDS. Le Credit Default Swap, ce dérivé dont la valeur augmente avec le risque de défaut, s’est échangé en volumes records sur Deutsche Bank, Crédit Agricole, ou Société Générale, qui ont figuré parmi les dérivés les plus traités sur un univers de 1.000 entreprises début septembre. On a frôlé le gel du marché interbancaire, comme en 2008, sauf que cette fois-ci les banques européennes (et non américaines) étaient le mouton noir : les banques américaines refusaient de leur prêter des dollars, et c’est la Banque centrale européenne qui a dû s’en procurer pour refinancer en billets verts directement les institutions du continent. Cet épisode a été l’occasion de constater combien le système financier européen, nerf de la zone euro, est facile à attaquer, dans un contexte que nous avons qualifié, il y a déjà une année, de guerre économique et financière entre les Etats-Unis et l’Europe. Ce fut aussi l’occasion de reconnaître combien, des deux côtés de l’Atlantique, la "toxicité" des bilans reste difficile à contrôler. (...) le très spéculatif trading pour compte propre reste une pratique admise, du moins à Londres. Une autre pratique à risque reste admise, celle des véhicules hors bilan des banques. Ces derniers seraient toujours utilisés aux Etats-Unis et en Europe pour structurer des produits complexes, et les actifs qui y sont parqués peuvent toujours finir, en cas de crise grave, par devoir se rapatrier en catastrophe sur les bilans des banques. Tout comme le négoce pour compte propre, le hors bilan semble avoir la vie dure... Le shadow banking system (système bancaire de l’ombre) n’a pas encore dit son dernier mot.

(...) on ignore toujours comment, dans les faits, une banque multinationale comme UBS parviendra à échapper à la culture toujours spéculative qui règne dans ses salles de marché de la City de Londres et dans celles de New York. Le trimestre qui vient de s’écouler réservera, au moment de la publication des résultats des banques, des chiffres rouges pour de nombreuses banques, en particulier dans le secteur du négoce. La volatilité des marchés a été telle, que ce soit dans le compartiment actions, obligations ou devises, que de nombreux desks ont été contraints à prendre des pertes. Suite aux licenciements massifs annoncés par les grandes banques américaines, anglaises et européennes, de nouvelles charettes seraient déjà en cours de préparation suite à la chute des revenus du trading. »

Myret Zaki