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21/09/2013

Veni, vedi, retourni

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« (...) Strategic Vision”, en cette fin février 2012, constate le recul de la mainmise américaine sur la Géorgie (où les dernières élections n’ont pas porté au pouvoir le favori des Etats-Unis), sur Taïwan, sur la Corée du Sud, sur l’Ukraine (où les effets de la “révolution orange” des années 2004-2005 se sont évanouis), sur l’Afghanistan et le Pakistan, sur Israël (que Washington s’apprête à abandonner ?) et sur quelques autres têtes de pont au Proche et au Moyen-Orient. Ce recul ne signifie pas pour autant un affaiblissement fatal pour l’Occident, explique Brzezinski : si le tandem euro-américain s’allie à la Russie, alors un espace stratégique inaccessible et inexpugnable se formera sur tout l’hémisphère nord de la planète, de Vancouver à Vladisvostok. Cette grande alliance “boréale” potentielle devra absolument compter sur l’alliance turque, car la Turquie est le “hub”, le moyeu, qui unit géographiquement l’Europe, la Russie (l’espace pontique), l’Afrique (le canal de Suez + l’espace nilotique de l’Egypte au Soudan et à la Corne de l’Afrique), l’Asie (l’espace de la turcophonie + les bassins du Tigre et de l’Euphrate + la péninsule arabique). Sans ce moyeu, l’alliance “boréale” ne pourrait fonctionner de manière optimale.

Strategic Vision” entend aussi mettre un terme à la démonisation systématique de la Russie par les médias américains : pour Brzezinski, la Russie doit dorénavant être considérée comme un pays démocratique à part entière. Il ne ménage pas ses critiques à l’endroit des médias et des ONG qui ont travaillé à exciter les opposants russes les plus délirants et les plus farfelus (jusqu’aux “pussy riots” et aux “femens”), à cultiver et amplifier la “légende noire” dont on accable la Russie, au moins depuis la Guerre de Crimée au 19ème siècle. Le noyau dur de sa critique est de dire que ce travail de harcèlement par les ONG est inutile dans la mesure où une démocratie ne s’impose jamais de l’extérieur, par le jeu des propagandes étrangères, mais uniquement par l’exemple. Il faut donner l’exemple de la démocratie la plus parfaite, d’une bonne gouvernance à toute épreuve (hum !) et alors on sera tout logiquement le modèle que tous voudront imiter.

Strategic Vision” constate aussi que les aventures militaires n’ont pas atteint les résultats escomptés. Il y a eu “hétérotélie” pour reprendre l’expression de Jules Monnerot, soit un résultat très différent des visées initiales, hétérogène par rapport au but fixé. Le coût de ces aventures militaires risque, même à très court terme, de déstabiliser les budgets militaires voire d’entraîner la faillite du pays. Le modèle américain du bien-être matériel pour tous risque alors d’être définitivement ruiné alors qu’il avait été vanté comme le meilleur de la Terre, ce qui, quand il ne fonctionnera plus très bien, entraînera fatalement des désordres intérieurs comme ailleurs dans le monde. Déjà les soupes populaires attirent de plus en plus de citoyens ruinés dans les villes américaines. L’American Way of Life ne sera plus un modèle universellement admiré, craint “Zbig”.

Les Etats-Unis, ajoute Brzezinski, sont comme l’URSS dans les années 1980-1985. Six raisons le poussent à énoncer ce verdict :

1. Le système est irréformable (mais il l’est partout dans l’Euramérique...) ;

2. La faillite du système est due au coût des guerres ;

3. L’effondrement du bien-être dans la société américaine entraîne une déliquescence généralisée ;

4. La classe dirigeante n’est plus au diapason (comme en Europe) ;

5. La classe dirigeante tente de compenser les échecs extérieurs (et intérieurs) par la désignation d’un ennemi extérieur, qui serait “coupable” à sa place ;

6. La politique extérieure, telle qu’elle est pratiquée, mène à l’isolement diplomatique, à l’auto-isolement.

Zbigniew Brzezinski doit cependant battre sa coulpe. En effet,

1. La réconciliation avec la Russie aurait dû se faire dès les années 90, quand les thèses exposées dans “The Grand Chessboard” constituaient la référence politique des décideurs américains en matière de politique étrangère.

2. Brzezinski n’a pas contribué à l’apaisement nécessaire puisqu’il a jeté de l’huile sur le feu jusqu’en 2008 ! Mais, malgré son grand âge, il est capable de tirer les conclusions de l’échec patent des suggestions qu’il a formulées au cours de sa très longue carrière. (...) »

Robert Steuckers (tout l'article est extrêmement intéressant)

07/01/2012

L'IFRI entérine l'affaiblissement américain

 

C'est (encore - décidément, on y trouve des choses intéressantes) sur Atlantico :

« Premièrement, la variable budgétaire. On évoque pour l’instant pour la période 2012-2020 une baisse de 400 milliards de dollars qui, si aucun accord budgétaire général n’est trouvé, pourrait aller jusqu'à 1.000 milliards de dollars de coupes. Sachant que le budget annuel est de 530 milliards hors coûts des opérations extérieures, cela se traduirait par une réduction tout à fait considérable, de l’ordre d’un quart, des moyens budgétaires sur la décennie à venir. Une fois l’enveloppe validée, la seconde variable est le type de reconfiguration choisi, autrement dit le format d’armée. Les Etats-Unis peuvent privilégier telles ou telles structures de forces et donc telle ou telle posture générale, que ce soit les forces terrestres ou à l’inverse la Navy et l’Air force, qui se prêtent davantage aux interventions à distance.

Un certain nombre de signes vont dans ce sens. La Libye par exemple : les Etats-Unis ont laissé leurs alliés européens passer devant, évitant ainsi de prendre le risque de s’engluer à nouveau dans un conflit sur la durée. C’est une posture que l’on pourrait qualifier de "présence désengagée". Ce pourrait être là un modèle d’intervention américaine pour l’horizon 2020.

Si l’on assiste à des réductions massives des effectifs, en particulier terrestres, il est clair qu’il y aura des implications pour la posture militaire globale des Etats-Unis. En particulier pour les troupes américaines stationnées à l’étranger, en premier lieu chez leurs alliés en Corée du Sud, au Japon ou en Europe. Dans le cas de cette dernière, il faut cependant garder à l’esprit que le nombre de soldats américains a déjà fortement diminué. De 300.000 hommes à la fin de la guerre froide, elle est passée à 80.000 actuellement. Les marges de manœuvre sont donc limitées. »

Plus que l'excellent site Theatrum Belli, voir un think tank atlantiste confirmer ce qu'écrit Philippe Grasset, sans même prendre en compte une anticipation plus sérieuse des réductions budgétaires qui seront réellement nécessaires (classique sous-estimation totale de l'ampleur de la crise dite « financière », en réalité économique et politique), cela veut dire qu'il y a vraiment le feu au lac washingtonien.

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05/12/2011

Occupy : « Je suis mort de peur »

Brian Moynihan, Lloyd Blankfein et Jamie Dimon,
patrons de Bank of America, Goldman Sachs et JP Morgan Chase

 

« (...) Un document intéressant a été diffusé, d’abord par Chris Moody, de News.Yahoo.com, le 30 novembre 2011, puis repris par d’autres sites progressistes ou dissidents (notamment ThinkProgress.org, le 1er décembre 2011, ou RAW Story le même 1er décembre 2012). Il évoque une conférence semi-publique sinon “secrète” de la Republican Governors Association, à Orlando, en Floride, dans laquelle Moody avait pu se glisser. Cette association fait partie du réseau des courroies de transmission, essentiellement liées au parti républicain traditionnel, réseau institué en défenseur du “1%” visé par Occupy. Le 30 novembre, il y a eu une intervention remarquable, celle de Frank Luntz, un “stratège” de la communication, notamment mandaté par le parti républicain. Moody écrit :

«The Republican Governors Association met this week in Florida to give GOP state executives a chance to rejuvenate, strategize and team-build. But during a plenary session on Wednesday, one question kept coming up : How can Republicans do a better job of talking about Occupy Wall Street ?

«“I'm so scared of this anti-Wall Street effort. I'm frightened to death,” said Frank Luntz, a Republican strategist and one of the nation's foremost experts on crafting the perfect political message. “They're having an impact on what the American people think of capitalism.” Luntz offered tips on how Republicans could discuss the grievances of the Occupiers, and help the governors better handle all these new questions from constituents about “income inequality” and “paying your fair share.”»

[«L'Association des Gouverneurs Républicains s'est réunie cette semaine en Floride pour donner aux gouverneurs membres du Grand Old Party (le Grand Vieux Parti, surnom du Parti Républicain) une chance de se rajeunir, d'avoir une réflexion stratégique et de développer l'esprit d'équipe.

"J'ai si peur de cet effort anti-Wall Street. Je suis mort de peur", a dit Frank Luntz, un stratège républicain et l'un des principaux experts nationaux de l'optimisation des messages politiques. "Ils ont un impact sur ce que le peuple américain pense du capitalisme". Luntz a fait des propositions sur la manière dont les Républicains pourraient débattre des griefs des militants d'Occupy, et aider les gouverneurs à mieux manier toutes ces nouvelles questions relatives à "l'inégalité de revenus" et au "payer votre juste contribution".»]

Suivent les conseils que Luntz a donnés à ses auditeurs au niveau de la communication, pour tenter de contrer Occupy et son influence. Ces conseils relèvent de l’enfonçage de portes ouvertes, comme c’est l’habitude dans cette sorte d’exercice si caractéristique de la postmodernité, et cela venu d’un véritable maître du domaine : “Ne parlez pas du capitalisme”, “Ne parlez pas des bonus”, “Montrez de la sympathie pour les contestataires au nom des 99%”, et ainsi de suite pour les platitudes décisives du “stratège”. ThinkProgress.org, commentant cette intervention, met en évidence son importance pour les adversaires d’Occupy, avec la personnalité et la réputation de ce Luntz, et sa signification du point de vue d’Occupy

«Frank Luntz is no minor pollster. He is considered to be one of the top political communications experts in the world, having provided consulting to many of the world’s top corporations, politicians, and special interest groups. That Luntz is admitting the impact of Occupy Wall Street and the 99 Percent and telling closed-door meetings of Republicans that it frightens him is a huge victory for the movement.»

[«Frank Luntz n'est pas un petit sondeur d'opinion. Il est considéré comme un des meilleurs experts en communication au monde, ayant prodigué ses conseils à bien des entreprises, politiciens et groupes d'intérêts particuliers du plus haut niveau mondial. Que Luntz admette l'impact d'Occupy Wall Street et des 99% et qu'il déclare lors d'une réunion de Républicains à huis clos que cela l'effraie, est une énorme victoire pour le mouvement.»]

(...) Les mots de Frank Luntz («I'm so scared of this anti-Wall Street effort. I'm frightened to death» ["J'ai si peur de cet effort anti-Wall Street. Je suis mort de peur"]) sont impressionnants de puissance pour décrire l’état d’esprit des adversaires d’Occupy ou, plus précisément, des fameux “1%”. On sent qu’il y a, dans cet exposé, la marque d’une véritable panique qui a saisi l’oligarchie financière (et, au-delà, la direction politique et l’establishment) devant ce qui est perçu comme une révolte populaire. Inconsciemment et involontairement, cet état de la psychologie de ce groupe placé au cœur du Système a toutes les chances d’alimenter Occupy par les réactions incontrôlées du groupe, par ses réflexes, par sa peur elle-même. Le commentaire de ThinkProgress.org est évident, dans le fait que l’effet d’Occupy ait engendré cette frayeur panique constitue une incontestable victoire des contestataires… Tout cela montre que l’oligarchie-Système des “1%” est dans une situation psychologique inconsciente de crainte d’une révolte, qui est presque une attente de cette révolte, voire une sorte d’incitation à la révolte, comme ces obsessions qui finissent par créer l’objet supposé, voir imaginé de l'obsession. Il y a ainsi un rapport étrange, de l’ordre du complément de courants supérieurs se nourrissant des psychologies collectives et les nourrissant elles-mêmes, pour installer cette situation. En dépit de l'importance d'Occupy qui peut paraître quantitativement faible, de sa forme qui peut apparaître incohérente – mais aussi, peut-être à cause de cela –, les circonstances et les tensions psychologiques devraient finir par créer en quelque sorte de toutes pièces une situation insurrectionnelle. Justement, les caractères insaisissables du mouvement, ou les caractères dérisoires du point de vue quantitatif, sont des occurrences qui, au lieu de limiter le mouvement, ouvrent ses perspectives dans la perception qu’en a l’oligarchie-Système dès lors qu’il se confirme qu’elle vit avec l’obsession de l’insurrection populaire. »

Philippe Grasset

N.B. : l'article est aussi très intéressant en ce qui concerne les perspectives électorales américaines de 2012, avec la possibilité d'un soutien massif à Ron Paul, par-delà « droite » et « gauche », par-delà Tea Party et Occupy. Je n'ai pas repris cette partie, ni par conséquent traduit ses passages en américain, parce que cet aspect des choses est moins nouveau sur Dedefensa.org, mais je vous invite néanmoins vivement à le lire.