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« Tout a été mis en scène » - Comment fonctionne la machine de propagande russe

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Le propagandiste nazi Joseph Goebbels se sentirait probablement comme un étudiant immature s'il voyait à l'oeuvre la machine de propagande du Kremlin.

Les méthodes des propagandistes sont idéalement illustrées par la confrontation de la spécialiste [lituanienne, ndt] Rūta Vanagaïté avec des journalistes russes, sur les lieux de 1984, le drame de la survie dans un bunker soviétique, un parc d'attraction touristique à thème à 25 kilomètres de Vilnius, qui vous ramène à l'époque de l'URSS.

« Il y a plusieurs années, PBK (Perviy Kanal) est venue au bunker faire un reportage. Ils nous ont demandé ce qui avait lieu ici, comment tout fonctionnait. Nous leur avons tout montré. Alors ils ont demandé s'il était possible que le chien "attaque" le caméraman lors d'une séquence. Bien sûr. Notre chien-loup a "attaqué" le caméraman, a été agressif, tout a été filmé et ils sont partis. Mais il n'y a eu aucun reportage », a dit Vanagaïté.

« Dans les deux semaines qui ont suivi, nous avons eu une visite d'une école russe de Vilnius, bien que les écoles russes ne viennent jamais nous voir. Eh bien ils sont arrivés, ont payé l'entrée, mais ont été indignés, ont dit que les choses n'étaient pas comme cela à l'époque soviétique et ont refusé de participer. Nous avons proposé, dans ce cas, de les rembourser et leur permettre de ne pas participer. Alors ils ont quand même décidé de participer. Dans les dix jours suivants, nous avons vu PBK diffuser une séquence dans toute la Russie. Ils ont montré un chien agressif et avaient interviewé des enfants qui avaient participé à l'excursion : comment ils avaient été étranglés, comment on leur avait donné des coups de pied, comment l'Union soviétique avait été ridiculisée, comment ils n'auraient jamais pensé que la Lituanie pouvait interpréter son histoire si affreusement. Cela signifie qu'ils avaient envoyé les enfants et que tout avait été mis en scène ! Ils ont tout montré - un chien agressif et des enfants qui parlaient d'étranglement, quoique personne ne les ait touchés. Ils parlaient malgré les images. Imaginez combien avait été investi dans une séquence de cinq minutes », a continué la spécialiste de la propagande et femme politique.

Vanagaïté a déclaré que cela constitue un exemple spécifique du fonctionnement de la machine de propagande russe. A son avis, la Lituanie n'est pas capable de résister à une propagande de ce type, car nos mass-médias sont indépendants et ne suivront pas les ordres de l'Etat comme c'est le cas en Russie.

« La principale règle des élections ou de la propagande : plus grande est l'audience, plus gros est le mensonge. Je pense que jamais des Lituaniens n'oseraient mentir aussi effrontément et professionnellement que le font les Russes. Nos forces ne sont pas égales et notre culture est différente. Nous ne pouvons pas rivaliser avec leur propagande. Après avoir vu cinq émissions de Vremia, même un intellectuel est affecté : tout est si simple, si clairement exposé, ce qui est bon et ce qui est mauvais et l'effronterie le fait ressembler à la vérité. Un mensonge parfait adressé au subconscient », a dit la spécialiste de la propagande.

Neuf méthodes de propagande

En théorie, la propagande recouvre l'ensemble des mesures dirigées contre une cible. En d'autres termes, la cible est la société lituanienne, qui est attaquée sur tous les fronts à travers les sports, la religion, la culture, les médias, la science et d'autres sphères.

Il existe neuf méthodes essentielles de propagande, mais elle sont fortement interconnectées.

1) En premier lieu, il y a la création d'une image mystique de « ils » ou « les ennemis ». Dans ce cas, est exploitée la tendance des gens à penser en catégories dualistes : nous/ils, bon/mauvais, ami/ennemi. La majorité des gens se voient, ainsi que leurs amis, comme « les bons », donc ceux qui parlent, pensent ou agissent différemment deviennent naturellement « les mauvais ». Un vocabulaire entier est créé de cette façon, sur la façon de désigner les bons et les mauvais.

Par exemple, pour souligner le mal incarné par les Ukrainiens loyaux à Kiev, le Kremlin les appelle fascistes, alors qu'il nomme les séparatistes des troupes d'auto-défense. En d'autres termes, il est prétendu que les séparatistes se protègent légalement des forces militaires ukrainiennes attaquantes. Par conséquent, les séparatistes sont les bons aux yeux de la Russie, alors que les soldats de l'Ukraine sont des ennemis.

Pour souligner l'affiliation des séparatistes aux « mauvais », l'Ukraine les appelle des terroristes. Les médias occidentaux choisissent une appellation plus conservatrice, comme combattants pro-russes ou simplement séparatistes.

« Nous voyons le règne de nationalistes, d'antisémites. Les représentants des mass-médias ont vu un gouverneur enchaîné dans le froid de l'hiver et torturé. Qu'est-ce que cela ? La démocratie ? », a dit Vladimir Poutine des protestataires du Maïdan, dans son fameux discours après l'occupation de la Crimée [ces phrases ne figurent pas dans son discours du 18 mars 2014, mais dans sa conférence de presse du 04 mars 2014, ndt].

2) La seconde importante méthode de propagande consiste à y inclure la religion. Il s'agit d'essayer de renforcer les différences mystiques de « ils » ou « les ennemis ». Disons que le Président de la Russie, Poutine, a dernièrement été assimilé au protecteur des valeurs chrétiennes, qui associe l'Ouest à la corruption, à la propagation de l'homosexualité et au dédain des valeurs familiales.

Pourtant, les Ukrainiens, qui sont de religion orthodoxe comme les Russes, sont appelés une « nation fraternelle », suivant le but principal de Poutine qui est, comme l'a revendiqué son ancien conseiller Andreï Illarionov, de créer un monde russe unissant tous les Russes, les russophones, les gens qui vivaient dans l'Empire russe ou en Union soviétique.

3) La troisième méthode est la pollution ou la saturation de tous les canaux d'information possibles avec sa propre vérité. Si les Lituaniens sont appelés fascistes, alors cela est répété tout le temps : des films soviétiques où des acteurs lituaniens jouaient des nazis, jusqu'à des séquences télévisées au sujet du 13 Janvier, ou à des héros de romans. Poutine a également déclaré à plusieurs reprises que la Lituanie et la Pologne entraînaient des combattants pour l'Ukraine - et tous ceux qui combattent les séparatistes sont des fascistes.

4) La quatrième méthode est la projection de mauvaises actions sur l'adversaire, ou l'imputation à autrui de ses propres fautes.

Un exemple pourrait être l'enlèvement des observateurs électoraux de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) à Slaviansk, alors contrôlée par les séparatistes. L'ambassadeur russe auprès des Nations Unies, Vitali Tchourkine, a appelé provocation occidentale le fait d'avoir envoyé des observateurs et a essentiellement rendu responsable l'Ouest lui-même, bien que les kidnappeurs aient été des séparatistes pro-russes.

Quand les séparatistes ont probablement abattu l'avion de la Malaysia Airlines dans l'Est de l'Ukraine, le même Tchourkine a blâmé l'Ukraine devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies, pour un avion abattu en 2001.

5) Une méthode plus efficace de propagande, consiste à réécrire l'Histoire ou l'interprétation d'événements historiques sous un jour favorable. Par exemple, la Lituanie fait face à des déclarations selon lesquelles elle devrait être reconnaissante à Joseph Staline, dictateur de l'Union sovietique, pour avoir, lors de l'occupation du pays en 1939, joint la région de Vilnius à l'objet du contentieux entre la Lituanie et la Pologne.

Des guerres historiques sont également menées par la Lituanie contre la Biélorussie, qui traite l'histoire du Grand Duché de Lituanie comme la sienne propre et n'y laisse aucune place à la Lituanie. Les historiens biélorusses ont même deux termes : « Lituaniens » et « Litvins ». Les premiers sont dits être les descendants des habitants de la Haute Lituanie et de la Petite Lituanie, alors que les seconds sont les descendants des habitants du Grand Duché de Lituanie, qui furent rebaptisés Biélorusses par le tsar de Russie. En d'autres termes, les vrais Lituaniens sont les Biélorusses, selon Minsk.

6) La propagande utilise la confusion, ou une attaque contre l'adversaire qui ne peut être réfutée par des contre-arguments.

Les discours de Vladimir Jirinovski, président du Parti libéral-démocrate de Russie, pourraient constituer un exemple. Le 18 avril, il a agressé verbalement une journaliste [enceinte de six mois, ndt] de l'agence Rossiya Segodnya. Interrogé sur le point de savoir s'il devrait y avoir une réponse à la décision ukrainienne d'appliquer des sanctions aux Russes désireurs d'entrer dans le pays, il a commencé à insulter cette femme.

« Quelles sanctions ? Nous devrions agir différemment, en douceur ! Où sont ces imbéciles ? Venez ici ! », a lancé le politicien aux collègues de son parti.

« Et vous, la journaliste, venez là ! Quand je vous le dirai, vous l'attraperez et commencerez à la violer brutalement... Le Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! Le Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! », a hurlé Jirinovski, bien que plus tard il se soit excusé publiquement.

7) La propagande emploie inévitablement le populisme, quand elle dit à la société ce qu'elle veut entendre. Disons que Poutine appelle les Ukrainiens une nation fraternelle avec laquelle il n'entrera jamais en guerre, bien qu'en même temps il fournisse les séparatistes en armes à feu.

8) La huitième méthode consiste à trouver le bouc émissaire. En Ukraine, le bouc émissaire est le Secteur Droit, les oligarques. L'Occident est aussi censé nuire à la Russie en fourrant son nez partout.

9) En définitive, tout est couronné par la confusion constante des significations. Il n'est pas accidentel que la Russie appelle toujours ses soldats en zone de conflit des « forces de maintien de la paix » - en Transnistrie, en Crimée, en Ossétie du Sud, en Abkhazie. De la même façon, durant l'occupation de la Crimée, il a été prétendu que la Russie essayait de sauver les habitants russophones des fascistes, bien que dans l'opinion occidentale il se soit agi d'une claire violation des règles du droit international, sans aucune raison valable.

Vanagaïté : J'ai senti que, même moi, la propagande m'affectait

La spécialiste de la propagande, productrice et femme politique Vanagaïté estime que la machine de propagande russe est trop puissante pour que la Lituanie puisse rivaliser avec elle. Elle dit qu'elle-même a été affectée par les informations fournies par les chaînes russes, bien qu'elle suive [également] les médias occidentaux et soit capable de « filtrer » professionnellement l'information.

« Ils nous influencent en utilisant des oeuvres, des images et des sons. Ils ont perfectionné les méthodes de propagande de Goebbels », a déclaré la spécialiste de la propagande.

« J'ai cessé de regarder les chaînes de télévision occidentales et ai regardé Vremia. Je l'ai regardée pendant trois ou quatre soirées et j'ai senti que j'étais affectée, dans la mesure où elle décrit tout juste de cette façon : tout est présenté en chiffres - quelles retraites vont être payées en Crimée, comment le chômage va décroître. Ils emploient des équipes d'un tel niveau qu'il est vraiment dangereux de regarder. Vous commencez à penser : ah, peut-être ! Alors, je me suis interdit de regarder : si c'est la façon dont cela m'affecte, alors comment cela affecte-t-il les gens qui n'ont pas développé les filtres dont je dispose ? », a demandé Vanagaïté.

La spécialiste de la propagande dit qu'il est pratiquement impossible à la Lituanie de gagner contre la propagande russe par des actions isolées : « Quels contre-arguments la Lituanie pourrait-elle opposer à l'affirmation selon laquelle, sous gouvernement russe, la pension d'un retraité de Vilnius ou du district de Švenčionys serait plus élevée ? Comme il a été dit en Crimée : vos retraites vont augmenter quand la Crimée appartiendra à la Russie, puisque les gens vivent sous le seuil de pauvreté en Ukraine ».

Interrogée sur la raison pour laquelle nous ne pourrions tout présenter de la manière inverse et dire que sous gouvernement russe, les retraites seraient très basses et les gens dans la pauvreté, Vanagaïté a cité les investissements qui seraient nécessaires.

« Peut-être est-ce possible, mais alors nous aurions besoin de programmes en Russe ou en Polonais, nous aurions besoin de ressources et de pouvoir atteindre ces gens. Leurs habitudes se sont déjà formées, ils sont accoutumés à regarder des programmes de télévision biélorusses et russes. Si nous avions assez de moyens, d'excellents professionnels, nous pourrions produire des séquences vidéo, les assaillir avec de la propagande différente et agir aussi grossièrement que la propagande russe. Peut-être alors atteindrions-nous le but », a songé Vanagaïté.

Vanagaïté dit que la Lituanie pourrait limiter le nombre de prestations d'artistes russes en Lituanie ou interdire des émissions de télévision russes, mais elle a taxé de telles mesures de « cosmétiques ». Elle a évalué de même, la décision de l'Agence Publique Ukrainienne du Cinéma de ne pas autoriser la diffusion des films russes La Garde Blanche et Poddubnas, comme rapportée par kommersant.ru.

« Vous pouvez construire un petit barrage sur une rivière rapide. Bien sûr, c'est mieux que rien, mais je ne pense pas que les interdictions de concerts ou de films auraient un effet significatif », a déclaré la spécialiste de la propagande.

« Voyez le nombre de nos artistes qui travaillent en Russie, leur subsistance en dépend. Pensez-vous que cela se produise sans la bénédiction de Poutine ? Bien sûr, des mesures [de sanction, ndt] aussi drastiques, appliquées en Crimée et particulièrement avec l'avion, en ont effrayé beaucoup. Je pense que ceux qui travaillent en Russie ont eu à faire face à de multiples dilemmes moraux et qu'ils ne se sentent pas très bien intérieurement. Mais que pouvons-nous leur dire ? Revenez et nous vous paierons autant que vous êtes payés par les Russes ? Pouvez-vous dire à Rimas Tuminas : arrêtez d'être un ami de Poutine et nous vous paierons vos 20.000 dollars par mois ? Cela n'arrivera pas », a dit Vanagaïté sans pouvoir déguiser son agacement.

Les différences culturelles entre la Russie et la Lituanie ont également été évoquées par Vanagaïté comme contrecarrant une lutte efficace contre la propagande russe. A son avis, la culture russe est orientale-soviétique, ce qui a toujours été étranger à la Lituanie.

« A l'époque soviétique, il y avait un dissident, Vladimir Boukovski. Et il parlait des gens de l'Ouest venant négocier avec les Russes. Ces gens étaient diplômés de Harvard. Et il disait : "Qui envoyez-vous ? Vous devez envoyer les pires voyous de Chicago, car ils sont les seuls à pouvoir parler avec les bandits de l'autre côté". Notre culture est plus ou moins occidentale, semi-intelligente, nous ne sommes pas capables d'être aussi directs que nécessaire », a déclaré Vanagaïté.

Cependant, elle dit que le conflit ukrainien a eu un effet positif sur la société lituanienne, dans la mesure où les citoyens ont apparemment ouvert les yeux et vu qui est qui. Selon Vanagaïté, à l'heure actuelle en Lituanie il devient délicat d'écouter Russkoïe Radio, au moment où la partie instruite de la société comprend que la culture peut aussi être une mesure de propagande.

« Cependant, les gens qui se débattent dans les difficultés et disent que les temps étaient meilleurs sous l'autorité soviétique, que pouvons-nous leur offrir ? », a demandé Vanagaïté.

Elle souligne que les mass-médias lituaniens sont indépendants et ne servent pas le gouvernement comme c'est le cas en Russie. Donc, selon elle, en Lituanie il est impossible d'ordonner à tout le monde de commencer à combattre la propagande russe.

La plus grande erreur commise par Poutine

Mais Vanagaïté affirme que le Kremlin s'est tiré une balle dans le pied quand les séparatistes, équipés par la Russie d'un système de missiles Buk, ont abattu en Ukraine orientale un avion de la Malaysia Airlines avec 298 passagers à bord. Un autre coup porté au Kremlin a été l'attitude cynique des séparatistes, qui est évidente dans les conversations d'après la catastrophe, rendues publiques par les agences de sécurité nationale ukrainiennes, aussi bien que les vols commis au détriment des victimes.

« Je pense que cela a causé de sérieux dommages à la propagande russe, en montrant qu'il ne s'agit pas d'une guerre, mais d'un massacre d'enfants. Particulièrement, à ceux qui ont écouté les conversations de séparatistes après l'événement, avec toutes leurs malédictions. C'est vraiment choquant. Et ensuite, les Russes prétendent que l'avion transportait des cadavres [ceux des passagers du vol MH370 : aussi incroyable que cela puisse paraître, la propagande russe a réellement échafaudé de telles hypothèses, ndt]. Et quand vous voyez des bijoux arrachés aux gens, cela touche ce qui est sensible et profond pour tout le monde », a dit la spécialiste de la propagande.

Selon elle, pour rappeler au Kremlin ce détail essentiel, il suffit de montrer constamment des photographies d'un homme mort dans un champ de maïs, toujours assis dans un siège de l'avion, ou d'un corps d'enfant sans tête.

« Je pense qu'après ceci, la réputation de la Russie et de Poutine en a pris

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Bandéristes, et alors ?

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Andreï Zoubov est un historien russe, un des premiers intellectuels qui s’est prononcé contre l’annexion de la Crimée par la Russie. Professeur au MGIMO (l'Institut d'État des relations internationales de Moscou), il en a été licencié le 1er juillet 2014 pour ses opinions opposées à celles du Kremlin.

Du point de vue de l’Histoire, le mouvement nationaliste ukrainien était un mouvement nationaliste libérateur, anticommuniste.

En Union Soviétique, pour stigmatiser quoi que ce soit, surtout après la Deuxième Guerre Mondiale, il suffisait de l’appeler fascisme. Ainsi, les « banderovtsi » étaient appelés fascistes bien que ce ne soit pas vrai.

C’était une organisation nationaliste typique d'une période militaire, avec son armée et son aile terroriste. À cette époque-là, c’était courant. Bien sûr, certains chefs du mouvement nationaliste ukrainien s’inspiraient des idées de corporation de Mussolini. Mais le meilleur élève de Mussolini, c’était Joseph Staline. À mon avis, Staline était plus fasciste que Bandera et Mussolini même.

Tout nationalisme, surtout armé, est une chose terrible. Mais Bandera était mille fois moins atroce que le NKVD (police politique de l’Union soviétique) de Beria ou d’Abakoumov, luttant contre les « banderovtsi ».

Stepan Bandera habitait la région frontalière avec la Pologne, et pendant la Famine-Génocide (Holodomor), il avait vu les gens mourant de faim qui se précipitaient à travers la frontière sur le territoire polonais, et que les gardes-frontières soviétiques fusillaient. Et c’est pour ça qu’il détestait l’État soviétique.

Stepan Bandera ne luttait pas contre l’Ukraine, mais contre le système totalitaire soviétique qui tuait tout citoyen pour tout non-conformisme. C’est pourquoi tout essai de se libérer de cet État-là était déjà un élément de justice. Et en ce sens, le mouvement de Bandera est plus justifié du point de vue de la morale que le mouvement soviétique staliniste.

Et maintenant, 70 ans après, le mythe de Bandera s’est avéré très actuel. Du coup, les Russes se sont mis à avoir horreur de Bandera, du Secteur Droit (Pravyi Sektor), des massacreurs ukrainiens. Tout cela, ce sont des mythes qui empêchent les gens de réfléchir de manière critique.

Ce sont des directives d’idéologie soviétique. C’est clair. Pour les descendants des officiers du NKVD, leurs grands-pères luttaient vraiment contre les « banderovtsi ». Il y a surtout beaucoup de ces descendants en Crimée, où sont partis à la retraite d'anciens officiers du NKVD.

Pour moi, votre révolution, c’est la libération de l’Ukraine du régime soviétique voleur. C’est un grand succès. Davantage même, je crois que c’est un exemple à suivre pour nous, les Russes. Parce que pour nous, l’Ukraine est une partie de cet ancien grand État. Et maintenant elle réussit à s’ouvrir à quelque chose de plus digne. Pour nous, c’est une leçon importante. L’Ukraine se libère du soviétisme.

Vous allez en Europe. Je pense que la Fédération de Russie doit aussi aller en Europe. Il n’y a pas d’alternative à la voie européenne.

Source

(Ceci est la traduction, légèrement corrigée par mes soins, de la version condensée d'un article en russe paru dans l'Ukraïnska Pravda le 22 juillet 2014.)

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Vol MH17 : chronologie médiatique d'un crime

Bon courage aux adeptes de la théorie du false flag occidental, pour réfuter ça...

D'ailleurs, en réalité, nous n'en sommes plus là, mais bien davantage à une théorie du nouveau false flag russe, partie d'un ancien conseiller de Poutine et désormais devenue accusation du gouvernement ukrainien envers la Fédération de Russie !

En d'autres termes, la question est : les terroristes téléguidés par Moscou ont-ils juste involontairement abattu l'avion, ou Moscou les a-t-il délibérément manipulés pour le faire (éventuellement, en ciblant à l'origine un autre vol civil, russe celui-là), ce qui reviendrait à un crime intentionnel de la part du Kremlin ?

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La bataille d'Ilovaïsk

Je me félicite de comprendre pas trop mal l'allemand, ce qui me rend intelligible ce reportage qu'a diffusé hier la chaîne ARD :

Eventuellement, je peux répondre aux questions des non-germanophones dans les commentaires.

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La faiblesse de Poutine en Ukraine

 

« Si je veux, je peux prendre Kiev en deux semaines ». Cette déclaration de Poutine au Président de la Commission européenne Barroso, rapportée lors du sommet de samedi dernier, a glacé le sang dans les veines des membres de l'Union européenne.

La politique du Kremlin en Ukraine menace l'Europe depuis des mois, et pour beaucoup ceci est la démonstration [du bien-fondé, ndt] de l'opinion occidentale au sujet de la Russie. Cependant, ce pourrait être également la démonstration la plus claire de la faiblesse de Poutine.

Si Poutine s'est emparé de la Crimée en quelques jours (ce qui fut le cas) et pourrait vraiment arriver à Kiev en deux semaines (ce qui pourrait être le cas), alors pourquoi le Kremlin s'est-il laissé entraîner dans une guerre par procuration dans le Donbass, qui ne lui a pas apporté d'avantage jusqu'ici ? L'ATO, l'opération antiterroriste de Kiev pour reprendre le pouvoir dans les provinces orientales sous le contrôle des séparatistes, est allée de succès en succès au cours des deux derniers mois, depuis que la présidence de Porochenko et le renouvellement des chefs militaires ont donné une nouvelle impulsion. Novorossia, la fédération des républiques autoproclamées de Donetsk et Lougansk, s'est transformée en Nanorossia, dont les frontières coïncident à peine avec les banlieues des deux villes. De plus, tandis que l'engagement militaire de Moscou est chaque jour plus évident et difficile à nier (comme cela avait été le cas en Crimée avec les « petits hommes verts »), au-delà de quelques victoires remportées ces derniers jours, les forces séparatistes sont à une étape de la défaite. Poutine a envoyé quelques milliers de parachutistes dans une opération de « maskirovka » [camouflage, ndt] sur les rives de la mer d'Azov, mais il lui faudrait plus que cela pour inverser le résultat du conflit. La vérité est probablement que la Russie ne peut pas envahir l'Ukraine.

Des milliers de housses mortuaires

Certains aspects sont parfois négligés. Malgré l'écrasante supériorité militaire de la Russie, l'invasion de l'Ukraine requiert l'utilisation de ressources dont, peut-être, même Poutine ne peut pas disposer sans avoir de comptes à rendre à son cercle intérieur [du pouvoir, ndt]. Certainement, quelques milliers de parachutistes pour une opération camouflée ne suffiraient pas. Une invasion à grande échelle se heurterait à une dure résistance militaire (comme le suggèrent les succès de l'ATO et la participation massive de volontaires), mais aussi à une résistance civile. Les Ukrainiens ont prouvé lors des journées du Maïdan une formidable capacité d'organisation et de cohésion contre l'ennemi et, même maintenant, l'ATO ne pourrait pas agir correctement sans le soutien civil, des volontaires médicaux aux collecteurs de fonds pour l'armée. L'histoire de l'Ukraine est remplie de l'héroïsme des partisans contre l'envahisseur soviétique. Il est rapporté qu'il y a quelques jours, une source au ministère de l'Intérieur à Kiev a déclaré : « Laissons-les essayer de prendre Marioupol, ils verront revenir des camions remplis de housses mortuaires ». Les mères russes sont-elles prêtes à donner à Poutine d'autres jeunes vies, comme c'est arrivé en Tchétchénie ?

Il y a une autre option. Poutine peut ne pas être intéressé à envahir l'Ukraine, mais seulement à mettre la main sur le Donbass, ou même juste à garder le conflit gelé. Ne parlons pas des coûts et des avantages de l'annexion d'une région qui est économiquement dévastée, fortement dépeuplée, désindustrialisée et avec une infrastructure de réseaux à reconstruire : de nouveau, la Russie de Poutine pourrait ne pas avoir l'énergie nécessaire pour atteindre le but. Cela dépend de nous.

 

Mère Teresa et Al Capone

Alexandre Motyl, professeur à l'Université Rutgers du New Jersey et auteur de nombreux livres sur les affaires post-soviétiques, s'exprimant sur le blog audio de Brian Whitmore La verticale du pouvoir, a résumé la situation par une belle métaphore. « Il est clair que Poutine préfère la force aux négociations », a-t-il dit. « Si dans un jeu entre Mère Teresa et Al Capone, ce dernier fixe les règles, il gagnera ». Qui fait les règles du jeu ? Jusqu'ici, la Russie a incontestablement essayé d'imposer sa position par la force, mais la réponse occidentale a heureusement été de sens inverse, et avec quelques résultats. Malgré ce que répètent la plupart des interventionnistes, les sanctions européennes et américaines atteignent leur but et la preuve en est donnée par les contre-sanctions mises en place par la Russie. Si elles étaient, comme ils disent, inefficaces, elles ne nécessiteraient aucune réaction. L'isolement international dans lequel, malgré la propagande, Moscou s'enfonce, pourrait devenir un prix trop élevé.

La Lituanie et la Pologne, dont les relations historiques avec la Russie sont plutôt conflictuelles, auraient probablement déjà déclaré la guerre à la Russie. Mais l'Histoire ne se répète pas toujours. La comparaison avec l'Allemagne de 1938 n'a aucun sens car, s'il est vrai que le Troisième Reich aurait pu être arrêté par la force avant de devenir une puissance militaire, évitant une guerre qui coûta 70 millions de morts, il est également vrai que la Russie est déjà une puissance militaire - et aussi nucléaire. De même, de la comparaison avec 1989 et de la lutte des petits pays baltes contre le géant soviétique : quand des chars de Moscou les envahirent jusqu'à Vilnius pendant huit mois, personne ne fit la guerre à l'URSS et ni l'Europe ni l'OTAN n'envoyèrent leurs troupes.

Si des pays occidentaux intensifient le conflit, ils trouveront en Russie un joueur sans scrupules, toujours prêt à suivre. Mais si les règles du jeu sont faites par une Europe (et une Amérique) fermement déterminées à résoudre le conflit sans utiliser de force, le jeu peut s'avérer trop difficile, même pour Al Capone.

Source

Traduit de l'anglais par mes soins. Liens hypertexte ajoutés par moi. Reproduction autorisée sous réserve de citer verslarevolution.hautetfort.com en source.

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« Une guerre pour la destruction totale de la nation ukrainienne »

Entretien avec Andriy Biletsky, commandant du Bataillon Azov, le 29 août 2014.

(04.09.2014 - La version sous-titrée en anglais a été virée par YouTube, désolé. Il ne reste que la VO. Mais vous trouverez ici un résumé de l'entretien.)

A lire, cet entretien plus récent (1er septembre 2014) avec le même, traduit en anglais, où il déclare être à 100% sûr que la Russie n'entend pas arrêter ses opérations à Kherson (création d'un couloir depuis Novoazovsk jusqu'à la Crimée et au-delà), mais projette de poursuivre jusqu'à Odessa et ensuite, jusqu'à Kiev et vers l'Ouest, pour, in fine, conquérir et détruire la nation ukrainienne et son Etat.

Source en ukrainien : cliquez ici.

Pour tous ceux qui douteraient encore de la réalité de l'invasion russe et pour mesurer la portée pratique de l'expression « full-scale » , regardez les images de cet interminable convoi de chars, de véhicules de transport de troupes et de camions, filmé aujourd'hui entre Krasnodon et Lougansk (merci à l'irremplaçable blog Ukraine2014) :

A l'évidence, vous diront RT, le Saker et Olivier Berruyer, juste un peu de matériel piqué à l'armée ukrainienne (qui a décidément oublié de brancher l'antivol, sont-ils sots ces nazis de Kiev...) ou trouvé, avec plein de braves civils ayant subitement appris à s'en servir, dans les supermarchés locaux...

Et comme le Kremlin nie toujours, n'est-ce pas, ils ont forcément raison. La vérité ne peut pas être vraie.

Ça me rappelle une phrase d'Orwell, tiens.

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Indispensable lustration

 

Antoine Arjakovsky sur la crise ukrainienne :

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[...] les raisons pour lesquelles la Russie a voulu déstabiliser l’Ukraine. L’analyse que je développe dans mon livre est que les causes politiques, économiques et militaires classiques sont insuffisantes pour répondre à cette question. La résurgence du nationalisme contredit en effet le souci du président V. Poutine de créer une union eurasiatique. Le Donbass et la Crimée n’apportent pas grand-chose au plan économique à la Russie. Et, malgré ce que l’on croit, la Russie disposait, à part le port de Sébastopol, d’autres accès à la mer Noire. Le vrai ressort de cette guerre est donc fondamentalement de nature mythologique. Il a trait à l’identité de la nation russe. Or en ce cas seul un traitement théologico-politique du problème permet de trouver des issues de paix. Car malheureusement le patriarche Kirill Gundyaev, avec son discours sur le « monde russe » est largement responsable des errances mythologiques du Kremlin.

Dans quelle mesure le spectre du communisme continue-t-il de peser sur les relations russo-ukrainiennes ?

Les politologues du monde entier se sont empressés en 1989-1991 de déclarer la mort du communisme. C’était ici encore prendre ses désirs pour la réalité. En réalité, la structure de l’organisation administrative de la Russie, de l’Ukraine et de la Biélorussie a très peu changé par rapport à la période soviétique. On trouve encore quantité de statues de Lénine dans ces pays. Le mausolée de Lénine trône encore sur la place Rouge à Moscou. Et Staline reste un des plus grands personnages des manuels d’histoire. Le malheur de ces pays est qu’il ne s’est pas trouvé de génération suffisamment instruite et déterminée pour instruire le procès du communisme dans les années 1990-2000. Or ces pays n’ont pas d’alternative. Soit ils suivent le chemin de leurs voisins polonais ou baltes et ils mettent en place une véritable politique de lustration des crimes du communisme. Soit ils continuent à faire semblant de croire que ce travail est impossible et ils seront confrontés à une nouvelle mutation de la mythologie totalitaire.

Mais pour prendre conscience de cette alternative, ils doivent au préalable intégrer une idée simple : le mythe est indissociable du concept, pour comprendre la vie des nations. Négliger la puissance du concept et de la réflexion historique est aussi inconséquent que de mépriser la soif de justice et la quête identitaire des nations. En d’autres termes, il faut aujourd’hui que les historiens des pays concernés écrivent ensemble une histoire réconciliée en n’omettant aucun sujet épineux. Car, même si ce travail est douloureux, seule la vérité existentielle, historique et spirituelle donne le courage de comprendre, de pardonner, et d’accéder enfin au bonheur insouciant.

Source

A noter qu'en Ukraine, la loi de lustration qui vient d'être votée par le Parlement comportait, dès le stade du projet, de sérieuses lacunes. La version finale est encore plus lacunaire, puisqu'elle épargne notamment tous les élus, les juges à la Cour Constitutionnelle... Mais disons que c'est un début.

Et Poutine, il en dit quoi ? La lustration en Russie, c'en est où ? Nulle part ? Ah.

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17/09/2014 | Lien permanent

L'esprit européen

Vive l'Ukraine, pays-emblème de ce qui reste de l'esprit européen.

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23/02/2015 | Lien permanent

Quand la Russie s’approprie historiquement l’Ukraine

 

La Russie est véritablement née dans la région de Vladimir-Souzdal et Moscou a été créée en 1147, d’une ethnogénèse entre colons slaves orientaux et populations finno-ougriennes (cf. le visage botoxé de Poutine).

Les Russes se sont attribués exclusivement un héritage commun à tous les Slaves de l’Est, celui de la Rou’s/Ruthénie de Kiev (et non Russie de Kiev, une mauvaise traduction qui arrange beaucoup de monde), ce qui revient à nier, dans tous leurs schémas historiographiques, qu’ils soient tsaristes ou soviétiques, toute identité singulière aux deux autres branches, les Bélarussiens (le terme Biélorusses n’est là aussi pas neutre) et les Ukrainiens.

Une sorte de captation d’héritage pour un « petit-frère » qui est devenu grand (merci au modèle autocratique et patrimonial de la Horde d’Or, d’une redoutable efficacité administrative et militaire). Dire que Kiev/Kyiv est, selon la formule consacrée, la « mère des villes russes » (en fait ruthènes, vous avez compris), c’est comme si un Napoléon Ier qui aurait pérennisé son empire avait bâti un schéma historiographique affirmant au nom de notre latinité, que Rome était la mère des villes françaises et l’Italie le berceau de la France.

Ces schémas partagés par les élites et la population russe (un peu comme la vision jacobine dans la classe politique française) expliquent largement les relations spéciales et passionnelles (pour les « amicales et fraternelles », selon la logomachie soviétique, on repassera) que Moscou entretient toujours avec son voisin « petit-russien ».

Ce n’est donc pas uniquement pour des raisons économiques, énergétiques et géostratégiques que le Kremlin a accepté, mi-décembre 2013, de débloquer 15 milliards de dollars en eurobonds, une somme considérable qui, dans un contexte économique domestique difficile, n’était pas destinée à être redistribuée aux citoyens de la Fédérations de Russie.

Ne pas comprendre cela nous condamne à appréhender partiellement et partialement la tragédie en cours, le énième épisode d’une mauvaise série dramatique qui se prolonge, pour le plus grand bonheur du producteur hollywoodien.

Pascal Lassalle

Pour en savoir plus :

- Iaroslav Lebedysnky : Ukraine, une histoire en questions, L’Hamattan, 2008.

- Andreas Kappeler : Petite histoire de l’Ukraine, Institut d’études slaves, Paris, 1997.

- Entretien avec Alexandre Douguine sur l’Ukraine (commenté par Pascal Lassalle).

- Iaroslav Lebedysnky, « L’empire médiéval de Kiev, débats historiques d’hier et d’aujourd’hui ».

- Daniel Beauvois, « Deux "prétendants" historiques à la domination de l’Ukraine ».

Sans oublier plusieurs articles de Pascal Lassalle sur le site Europe Maxima et les émissions sur ce thème sur Méridien Zéro.

J'ajoute, pour ma part, cet autre texte de Pascal Lassalle sur le site Theatrum Belli.

Et je recommande le livre L'Ukraine et les Ukrainiens, de l'historien Wolodymyr Kosyk (Publications de L'Est Européen, Paris, 1993), dont j'ai pu lire un large extrait en ligne sur le site du Comité Représentatif de la Communauté Ukrainienne en France avant que celui-ci ne le retire, probablement pour des questions de droits d'auteur. Sur Amazon, je viens de commander le seul exemplaire disponible d'occasion - je l'ai vu le premier ;-) -, donc bon courage dans votre éventuelle recherche...

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La plupart des Russes croient vraiment que l'Ukraine est russe !

Des croyances qui remontent à l'Empire russe et aux mythes forgés par lui

 

Vous allez finir par me dire que je radote. Que je suis un obsessionnel. Que j'en fais trop. Troisième billet de suite sur l'histoire de la Russie et de l'Ukraine, ce blog devenu depuis six bons mois un lieu essentiellement consacré à la crise ukrainienne, à contre-courant du mainstream de la « mouvance » patriotique française sur le sujet... Au fou !

En fait, derrière la défense de la révolution ukrainienne et la lutte de ce pot de terre contre le pot de fer de la propagande russe, qui m'ont attiré autant d'insultes par des partisans de la politique étrangère voire intérieure de Poutine, que de rencontres avec des gens remarquables de lucidité et souvent de courage, français voire ukrainiens, j'essaie juste de comprendre les raisons profondes de cette crise.

Et notamment, de comprendre comment, même bombardée de propagande kremlinesque, il est possible que la Russie, au sens ethnique du terme, dont j'admire tant d'écrivains et de musiciens, qui a tant souffert du bolchévisme mais a aussi produit tant de dissidents, soutienne autant cette politique poutinienne en Ukraine, qui apparaît à la grande majorité des Occidentaux comme une injustice criante, une voie de fait brutale, vicieuse, ignoble - ce qu'elle est, objectivement -, comme un pur impérialisme.

Eh bien, je pense avoir trouvé une réponse : la plupart des Russes croient vraiment, de bonne foi, que l'Ukraine est russe !

Cela peut sembler incroyable. C'est pourtant ce que dit Alexeï Venediktov, rédacteur en chef de la radio Echo de Moscou, une des seules radios russes indépendantes du pouvoir, sinon la seule (paradoxe russe, c'est Gazprom qui en est l'actionnaire majoritaire ; c'est dire, aussi, à quel point cette indépendance est fragile) :

Lors d'un séminaire intitulé : « Russie-Ukraine : un pays ou deux ? », Venediktov a déclaré : « [Dans mon métier], je parle à des décideurs russes. Tels que je comprends ces gens, qui sont habituellement des gens normaux, comme le whisky et les échecs, ils pensent qu'il n'existe aucune nation telle que l'Ukraine ».

Selon lui, l'élite politique russe considère les Ukrainiens, les Bélarussiens et les Russes comme une seule nation. Venediktov note que ces politiciens ne sont pas des impérialistes, des réactionnaires et des obscurantistes, mais des gens ordinaires, dont certains sont diplômés de bonnes universités européennes.

« Ils sont convaincus qu'il y a un territoire, mais deux régions (l'Ukraine et la Biélorussie) séparées pour des raisons historiques. Parfois, cela arrive. Il y a eu deux Etats allemands. Aujourd'hui, nous avons trois Etats russes : la Petite Russie, la Biélorussie et la Grande Russie. Cela finira un jour. C'est comme cela qu'ils voient le problème. C'est leur attitude de base envers les événements en Ukraine. C'est une nation, un territoire, un grand Etat. Ce n'est pas une vision impérialiste et/ou nationaliste, c'est une vision courante. Les décideurs reflètent la vision de la plupart de leurs concitoyens. Demandez aux gens dans la rue, à la Maison Blanche ou sur la Place Rouge et vous entendrez presque la même réponse. Il est vrai que 85 à 87% [de la population] sont de cet avis », a dit le journaliste.

Alexeï Venediktov pense que la génération actuelle des gens qui dirigent la Russie reconnaît légalement l'existence de l'Ukraine en tant qu'Etat séparé, mais considère cela comme une injustice historique. Ils pensent qu'il y a, historiquement, une nation et un Etat. Les Ukrainiens et Bélarussiens sont des Russes, mais avec un autre dialecte.

« Donc, il faut que nous soyons ensemble. C'est pourquoi nous avons l'Union Douanière, la fraternité slave, trois Etats et ainsi de suite. Boris Eltsine, qui l'a déclaré tant en public qu'officieusement, le pensait et Vladimir Poutine le pense. Ce qui arrive à l'Ukraine est pour eux, dans une certaine mesure, une lutte pour la justice », note le journaliste.

Les Russes considèrent les Ukrainiens et les Bélarussiens comme des nations fraternelles, comme si elles étaient des parties de la Russie. Ils ne peuvent se débarrasser de ce stéréotype. [...] Le paragraphe « Rous' de Kiev » a été remplacé par le paragraphe « Rous' » dans les nouveaux livres d'Histoire scolaires. Le manque d'instruction conduit à des idées et décisions erronées, observe Venediktov.

Source

Traduit (partiellement) de l'anglais par mes soins. Reproduction autorisée sous réserve de citer verslarevolution.hautetfort.com en source.

En France, une croyance similaire, héritée de l'historiographie russe, a conduit et conduit encore certains spécialistes aux mêmes erreurs. Mais selon la journaliste dissidente russe Anastasia Kirilenko, la crise ukrainienne est susceptible de faire évoluer cette situation.

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H.S. : je m'absente jusqu'à la fin de la semaine et ne serai donc pas en mesure de valider vos éventuels commentaires avant samedi prochain. Bien cordialement.

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