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29/03/2014

Horizons de la révolution ukrainienne

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J'ai trouvé, en langue anglaise, un très intéressant article écrit par Olena Semenyaka, ukrainienne, professeur de philosophie à l'Université de Kiev et pas vraiment politiquement correcte (elle semble particulièrement apprécier Ernst Jünger, Jack London et Julius Evola, ce qui me l'a tout de suite rendue fort sympathique).

En lisant son article, je me suis rendu compte que si je ne le traduisais pas, un texte de grande valeur resterait vraisemblablement perdu pour les lecteurs français. Donc, je m'y suis collé. Voilà le résultat.

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Même quand la différence géopolitique entre l'Occident et la Russie existait encore, la Russie ne satisfaisait pas entièrement à la définition de la puissance tellurique [ou continentale, ndt]. J'ai déjà commenté l'opposition faite par Carl Schmitt entre le Nomos de la Mer (les puissances thalassocratiques, atlantistes) et le Nomos de la Terre (bloc tellurique, continental) en ce qui concerne les Etats-Unis et la Russie, qui a toujours été tenue pour acquise par Douguine. Haroun (Vadim) Sidorov, l'auteur de l'article « L'Etat russe en tant que nomade, anarchiste naturel et technocrate » (...) remarque assez que l'identité russe a toujours été plus nomade (la mobilité asiatique), contrairement à la paysannerie européenne qui est directement liée à la terre où elle vit et qu'elle défend (définition du Partisan de Carl Schmitt et, à propos, auto-description des disciples de Stepan Bandera). Les traditions de l'Etat russe ont toujours été marquées par une centralisation bureaucratique élevée (monarchisme-absolutisme-despotisme), par opposition à la haute mobilité verticale européenne et à l'accent mis sur les droits de l'aristocratie et les libertés locales ; le servage a existé en Russie pendant longtemps, jusqu'au déclenchement même de la révolution.

Dans cet article, Haroun Sidorov analyse en profondeur la théorie géopolitique eurasiste de Douguine et réfute le fondement même de cette dernière. Vous savez que Douguine croit que le monde est devenu unipolaire (les Etats-Unis sont un hegemon absolu), c'est pourquoi tous ceux qui sont reliés aux Etats-Unis, servent leurs intérêts ou les aident d'une manière ou d'une autre, sont en quelque sorte des « ennemis », également au sens de Carl Schmitt. « Il y a seulement la vérité géopolitique », « il n'y a pas de troisième solution », etc., de sorte que le monde multipolaire s'avère être en définitive un espace binaire qui consiste en les Etats-Unis et la Russie. La vérité est autre : le monde est certes devenu unipolaire, mais parce que l'establishment russe (le Kremlin) n'est pas différent de l'Occident néolibéral : leur lutte porte sur le pouvoir, pas essentiellement sur des projets culturels-civilisationnels différents. Cité par moi à plusieurs reprises, le scientifique russo-ukrainien, expert géopolitique et militaire Oleg Bakhtiyarov croit également qu'aujourd'hui, la géopolitique perd de son importance. Mais Haroun Sidorov montre que l'empire russe, tant qu'il est un empire, ne pourrait représenter le Nomos de la Terre, même avant la fin de la seconde guerre mondiale.


Le principal argument de Douguine est le mythe des agents atlantistes hostiles qui « conquièrent et divisent » les puissances telluriques et les nations slaves (comme les Ukrainiens et les Russes, en persuadant les Ukrainiens qu' « ils sont une nation distincte qui ne peut s'affirmer que si elle défait la Russie »), mais cet argument échoue dès que nous réalisons que 1) historiquement, les alliés des Russes ont toujours été des Etats atlantistes, thalassocratiques, et c'est arrivé de nombreuses fois, malgré les projets révolutionnaires-conservateurs allemands de blocs continentaux comme « Berlin-Moscou-Tokyo » : tant pendant la première que durant la seconde guerre mondiale, la Russie s'est alliée à l'Angleterre atlantiste contre l'Allemagne tellurique, terrestre ; d'ailleurs, la Russie a combattu Napoléon, le représentant des forces européennes continentales, qui lui avait offert de se joindre à sa lutte contre l'Angleterre et de lui prendre ses colonies. Chaque fois qu'une telle possibilité s'est présentée, il est survenu soit une conspiration, soit un coup d'Etat. 2) Les Ukrainiens, contrairement aux Russes, ont des modèles de gouvernement européens plutôt que russes : des représentants de différents états ont eu la possibilité d'élever leur statut social, qui était encore plus élevé qu'en Pologne (Oleg Odnorozehko) ; le Hetman, chef de l'Etat cosaque, équivaut au prince européen, pas au monarque (au tsar); l'Etat cosaque ukrainien combinait la tradition autoritaire hiérarchique et les institutions électorales démocratiques.

Les modèles de gouvernement et l'identité continentale sont directement reliés entre eux : Haroun Sidorov a raison quand il dit que Douguine est passé à côté de l'essence principale du Nomos de la Terre, de même que le fait que Schmitt a développé sa théorie en tant que juriste et philosophe politique. L' « identité continentale » ne découle pas automatiquement du fait qu'un Etat est terrestre et pas insulaire, ni qu'il cultive des légumes au lieu de commercer et ainsi de suite ; le Nomos de la Terre est dérivé du verbe « nemein » qui signifie à la fois « part » et « troupeau », c'est une « mesure » qui « divise la surface de la terre » et produit un « ordre politique et social, spatialement visible, de la population, le premier mesurage et la délimitation des pâturages » (Schmitt). En d'autres termes, c'est une question de droit et d'ordre, pas de mer et de terre en tant que telles. Et en Russie, « la structure interne a toujours été à l'opposé du Nomos de la Terre - la complète absence ou le sous-développement, la non-prolifération de la propriété personnellle, de l'espace personnel, des garanties et de l'inviolabilité des intérêts privés et, à tous les niveaux - pas seulement les populations réduites en esclavage, mais aussi l'aristocratie féodale et la bourgeoisie des tensions entre lesquelles naissaient l'ordre juridique et social, le Nomos de l'Europe continentale » (Haroun Sidorov). C'est pourquoi la Russie a toujours essayé de s'étendre, au temps de l'URSS - à travers le monde entier ; mais en définitive et ce n'est pas anecdotique, toutes ses acquisitions géopolitiques comme l'Ukraine s'en sont séparées - car elles ont un différent Nomos de la Terre ; plus précisément, elles ont tout simplement ce dernier, au contraire de la Russie impérialiste. Donc, fondamentalement, la différence entre les Etats-Unis et la Russie n'existe pas, car la Russie agit comme l'empire maritime britannique.

Même Nicolas Berdiaev a écrit que les Russes sont « le peuple le plus anarchiste et nomade de la Terre », ils sont contre la loi et l'Etat, ce qui était propre tant aux vrais anarchistes de gauche comme Bakounine et Kropotkine qu'aux slavophiles « de droite » comme Dostoïevski et Tolstoï. Ceci est le premier trait anarchiste et nomade de la structure de l'Etat russe. Le deuxième trait est représenté par le césarisme romain tardif, renforcé par des rêves russes relatifs à la Troisième Rome, injustifiés tant au regard de l'Empire byzantin qui n'a jamais été un successeur direct de Rome, que par référence à la Rome républicaine originelle qui était un « empire nomocratique par excellence » et donna naissance au droit civil romain et européen classique. Voilà le deuxième trait technocratique et césariste de la structure de l'Etat russe.

« C'est la Rome tardive, impérialiste et césariste, arrachée à ses racines et à ses mœurs paternelles, qui, finalement transformée en une foule multiraciale après l'Edit de Caracalla, est devenue un outil de dégénérescence des Romains et de suppression des peuples qu'ils avaient conquis. L'impérialisme russe a hérité de cette mythologie césariste, destinée à remplacer les moeurs paternelles simples et austères, en tant que mythe romain russe ». (Haroun Sidorov)

Conclusion : retour à la Rus' de Kiev originelle, contre les empires corrompus et entropiques !

Source

Traduction par mes soins. – Reproduction autorisée sous réserve de citer verslarevolution.hautetfort.com en source.

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