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29/07/2012

Opposition syrienne : qui produit le discours ?

Voilà un article monumental, essentiel, de Charlie Skelton, paru dans le Guardian du 12 juillet 2012.

Traduction française trouvée ici, complétée et corrigée par mes soins avec ajout des liens hypertexte figurant dans la version originale).

Reproduction libre et vivement encouragée.


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« Les médias ont été trop passifs lorsqu’il s’agit des sources émanant de l’opposition syrienne, en s'abstenant d'examiner leurs arrière-plans et leurs relations politiques. Il est temps d'y regarder de plus près...

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Le directeur de l'Observatoire Syrien pour les Droits de l’Homme, Rami Abdulrahman, au téléphone à son domicile de Coventry, le 6 décembre 2011

 

C’est un cauchemar qui se déroule à travers toute la Syrie, dans les maisons d’Al-Heffa, de Homs et les rues de Houla. Et nous savons tous comment l’histoire se termine : des milliers de soldats et de civils tués, des villes et des familles détruites, et le président Assad battu à mort dans un fossé.

C’est l’histoire de la guerre syrienne, mais il y a une autre histoire à raconter. Un récit moins sanglant, mais néanmoins important. Il s’agit d’une histoire au sujet des conteurs : les porte-parole, les “experts de la Syrie”, les “militants de la démocratie”. Les faiseurs de déclarations. Les personnes qui “exhortent”, “avertissent” et “appellent à l’action”.

C’est un récit sur quelques-uns des membres les plus cités de l’opposition syrienne et leur lien avec l’entreprise anglo-américaine d’élaboration de l’opposition. Les médias traditionnels ont, pour l’essentiel, été remarquablement passifs lorsqu’il s’agit des sources syriennes : les nommant tout simplement “porte-parole officiel” ou “militants pro-démocratie”, sans que la plupart du temps, leurs déclarations, leurs origines ou leurs connexions politiques ne soient vérifiées.

Il est important de préciser qu’enquêter sur un porte-parole syrien ne signifie pas que nous doutions de sa sincérité sur son opposition à Assad. Mais une haine passionnée du régime Assad n’est pas une garantie d’indépendance. En effet, un certain nombre de personnalités du mouvement d’opposition syrienne sont des exilés qui recevaient des fonds du gouvernement américain pour déstabiliser le gouvernement Assad, cela avant même que le Printemps arabe n’éclate.

Bien que le gouvernement des États-Unis n’ait pas encore appelé à renverser Assad par la force, ces porte-parole sont les défenseurs de l’intervention militaire étrangère en Syrie et les alliés “naturels” des néo-conservateurs américains qui ont soutenu l’invasion de Bush en Irak et qui font maintenant pression sur l’administration Obama pour intervenir. Comme nous le verrons, plusieurs de ces porte-parole ont trouvé un soutien et, dans certains cas, ont développé des relations longues et lucratives avec des défenseurs de l’intervention militaire des deux côtés de l’Atlantique.

Le sable s’écoule dans le sablier, a déclaré Hillary Clinton. Comme les combats en Syrie s’intensifient, et que les navires de guerre russes ont mis les voiles vers Tartous, il est grand temps de regarder de plus près ceux qui prennent la parole au nom du peuple syrien.

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07/12/2010

Wikileaks et la "dynamique formidable"

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"Ceux qui attendent une révolution, un coup d’Etat, un nouveau président, comme événement déclencheur d’une séquence complètement nouvelle, ceux-là n’ont pas raison. Ces événements surviendront peut-être, sans doute même, mais ils ne seront que les conséquences d’un changement beaucoup plus fondamental, qui prend sa source, qui s'abreuve à notre perception générale (psychologie) de la réelle situation de cette crise terminale, notamment, pour notre cas, par l’influence de nos psychologies percevant cette sorte d’événements que l’on décrit selon ses caractères véritables. L’essentiel est de bien percevoir la vérité du monde, et la séquence Wikileaks nous y aide – encore une fois, quels que soient les buts, les intentions, les desseins cachés ou non, la qualité et les vertus et vices des acteurs impliqués. La séquence-Wikileaks nous montre que la mise en cause du Système ne dépend en rien, en aucune façon, des avatars divers de la situation terrestre et des plans divers des acteurs humains – les intentions ou pas d’Assange, Wikileaks et compagnie –, mais bien d’une dynamique formidable qui est en train de s’ébranler et qui risque bien de secouer le monde, et qui nous dépasse évidemment".

Philippe Grasset


"Cablegate, dans sa version n°3 (les câbles diplomatiques), quoi que prétendent les uns et les autres, quels que soient les arguments ronflants sur les droits de l’homme et la liberté de la presse, représente la première très grande offensive nihiliste à l’échelle globale dans l’histoire des insurrections et des révolutions, volontairement ou involontairement mais dans tous les cas systématiquement et stratégiquement. Ils ne veulent rien, ils ne peuvent rien vouloir d’autre que casser – casser la machine, taper sur la bête, frapper le Système là où ça fait mal. (...)

Le Système est une entité colossale de puissance, qui ne permet à rien de constructif de se faire à cause de cette puissance, et qui a perdu elle-même tout sens, tout aspect constructif et structurant – si elle en eut jamais, d’ailleurs, ce que nous réfutons absolument puisque ce Système n’est rien de moins que “la source de tous les maux”. C’est une idée qu’on trouve déjà chez l’historien britannique Arnold Toynbee, mais qu’il n’a pas poussée assez loin. Cette puissance colossale, invincible, irrésistible, couplée à cette absence abyssale et vertigineuse de sens, donne la machine, le monstre, le Système le plus totalement nihiliste qu’on puisse concevoir, l’inversion même du sens du monde et du sens de la vie, la négation de la Tradition et de la structuration de l’univers. Pour lutter contre cette chose, une seule technique qui est celle du contre-feu (brûler une bande de terrain sous contrôle devant un incendie incontrôlé, pour priver cet incendie d’aliment lorsqu’il arrive sur cette bande déjà brûlée) : opposer le nihilisme au nihilisme, frapper le monstre sans autre but que le frapper..."

Philippe Grasset