Opposition syrienne : qui produit le discours ? (29/07/2012)

Voilà un article monumental, essentiel, de Charlie Skelton, paru dans le Guardian du 12 juillet 2012.

Traduction française trouvée ici, complétée et corrigée par mes soins avec ajout des liens hypertexte figurant dans la version originale).

Reproduction libre et vivement encouragée.


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« Les médias ont été trop passifs lorsqu’il s’agit des sources émanant de l’opposition syrienne, en s'abstenant d'examiner leurs arrière-plans et leurs relations politiques. Il est temps d'y regarder de plus près...

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Le directeur de l'Observatoire Syrien pour les Droits de l’Homme, Rami Abdulrahman, au téléphone à son domicile de Coventry, le 6 décembre 2011

 

C’est un cauchemar qui se déroule à travers toute la Syrie, dans les maisons d’Al-Heffa, de Homs et les rues de Houla. Et nous savons tous comment l’histoire se termine : des milliers de soldats et de civils tués, des villes et des familles détruites, et le président Assad battu à mort dans un fossé.

C’est l’histoire de la guerre syrienne, mais il y a une autre histoire à raconter. Un récit moins sanglant, mais néanmoins important. Il s’agit d’une histoire au sujet des conteurs : les porte-parole, les “experts de la Syrie”, les “militants de la démocratie”. Les faiseurs de déclarations. Les personnes qui “exhortent”, “avertissent” et “appellent à l’action”.

C’est un récit sur quelques-uns des membres les plus cités de l’opposition syrienne et leur lien avec l’entreprise anglo-américaine d’élaboration de l’opposition. Les médias traditionnels ont, pour l’essentiel, été remarquablement passifs lorsqu’il s’agit des sources syriennes : les nommant tout simplement “porte-parole officiel” ou “militants pro-démocratie”, sans que la plupart du temps, leurs déclarations, leurs origines ou leurs connexions politiques ne soient vérifiées.

Il est important de préciser qu’enquêter sur un porte-parole syrien ne signifie pas que nous doutions de sa sincérité sur son opposition à Assad. Mais une haine passionnée du régime Assad n’est pas une garantie d’indépendance. En effet, un certain nombre de personnalités du mouvement d’opposition syrienne sont des exilés qui recevaient des fonds du gouvernement américain pour déstabiliser le gouvernement Assad, cela avant même que le Printemps arabe n’éclate.

Bien que le gouvernement des États-Unis n’ait pas encore appelé à renverser Assad par la force, ces porte-parole sont les défenseurs de l’intervention militaire étrangère en Syrie et les alliés “naturels” des néo-conservateurs américains qui ont soutenu l’invasion de Bush en Irak et qui font maintenant pression sur l’administration Obama pour intervenir. Comme nous le verrons, plusieurs de ces porte-parole ont trouvé un soutien et, dans certains cas, ont développé des relations longues et lucratives avec des défenseurs de l’intervention militaire des deux côtés de l’Atlantique.

Le sable s’écoule dans le sablier, a déclaré Hillary Clinton. Comme les combats en Syrie s’intensifient, et que les navires de guerre russes ont mis les voiles vers Tartous, il est grand temps de regarder de plus près ceux qui prennent la parole au nom du peuple syrien.

Le Conseil National Syrien

Ceux qui sont les plus abondamment cités sont les représentants officiels du Conseil National Syrien. Le CNS n’est pas véritablement le groupe d’opposition syrienne, cependant il est généralement reconnu comme la “principale coalition d’opposition” (BBC). Le Washington Times le décrit comme “un groupe de coordination des factions rivales, basé en dehors de la Syrie”. A coup sûr, le CNS est le groupe d’opposition qui a eu les relations les plus fortes et les plus fréquentes avec les puissances occidentales – et qui a ouvertement appelé à une intervention étrangère dès les premiers moments de l’insurrection. En février de cette année, à l’ouverture du Sommet des Amis de la Syrie en Tunisie, William Hague a déclaré : “Je vais rencontrer les dirigeants du Conseil National Syrien dans quelques minutes… Avec les autres nations, nous traiterons désormais avec eux et les reconnaîtrons en tant que représentants légitimes du peuple syrien”.

Le plus ancien porte-parole officiel du CNS est l’universitaire syrienne Bassma Kodmani, vivant à Paris.

Bassma Kodmani

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Voici Bassma Kodmani, vue quittant la réunion du Bilderberg, cette année, à Chantilly, en Virginie.

Kodmani est membre du bureau exécutif et chef des affaires étrangères pour le Conseil National Syrien. Elle est proche du centre de la structure de pouvoir du CNS, et l'un des porte-parole les plus entendus du conseil. “Aucun dialogue avec le régime en place n’est possible. Nous pouvons seulement discuter de la manière de passer à un autre système politique” a-t-elle déclaré cette semaine. Citée par l’AFP, elle a annoncé que “La prochaine étape doit être une résolution [de l'ONU] en vertu du Chapitre VII, qui autorise l’utilisation de tous les moyens légitimes, les moyens coercitifs, l’embargo sur les armes, ainsi que l’usage de la force, pour obliger le régime à s'y conformer”.

Cette déclaration s’est traduite par le titre suivant : “Les Syriens demandent l'intervention de forces armées de maintien de la paix” (Herald Sun, Australie). Lorsqu’une action militaire internationale de grande envergure est demandée, il semble raisonnable de se demander : qui la réclame exactement ? Nous pouvons dire, simplement, “un porte-parole officiel du CNS”. Ou bien, nous pouvons regarder d’un peu plus près.

Cette année, ce fut son deuxième Bilderberg. Lors de la conférence 2008, Kodmani avait été répertoriée comme Française ; en 2012, sa francité s'était dissipée et elle fut simplement inscrite comme “internationale” – sa patrie était devenue le monde des relations internationales.

Quelques années plus tôt, en 2005, Kodmani avait travaillé pour la Fondation Ford au Caire, où elle fut directrice de son programme de gouvernance et de coopération internationales. La Fondation Ford est une vaste organisation, dont le siège est à New York, et Kodmani y était déjà assez haut placée. Mais elle était sur le point de gravir un échelon.

Vers cette époque, en février 2005, les relations entre les États-Unis et la Syrie s'effondrèrent et le président Bush rappela son ambassadeur à Damas. Un grand nombre de projets de l’opposition datent de cette période. “L’argent des États-Unis pour les figures de l’opposition syrienne a commencé à couler sous la présidence de George W. Bush après qu’il ait effectivement gelé les relations politiques avec Damas en 2005”, explique le Washington Post.

En septembre 2005, Kodmani a été nommée directrice exécutive de l’Initiative de Réforme Arabe (IRA) – un programme de recherche initié par le puissant lobby américain, le Council on Foreign Relations (CFR).

Le CFR est un think tank élitiste ayant pour but d'analyser la politique étrangère américaine et la situation politique mondiale, et l’Initiative de Réforme Arabe est décrite sur ​​son site Internet comme un “projet du CFR”. Plus précisément, l’IRA a été initiée par un groupe au sein du CFR, le US/Middle East Project – un corps de diplomates de haut rang, d’officiers du renseignement et de financiers, dont l’objectif déclaré est “l’analyse politique” “pour prévenir les conflits et promouvoir la stabilité”. Le “US/Middle East Project” poursuit ses objectifs sous la direction d’un conseil international présidé par le général à la retraite Brent Scowcroft.

Peter%20Sutherland.jpg <--- Peter Sutherland à la réunion du Bilderberg

Brent Scowcroft (président honoraire) est un ancien conseiller à la sécurité nationale du président des États-Unis – il remplaça Henry Kissinger. Siégeant aux côtés de Brent Scowcroft au conseil international, son compatriote géostratège, Zbigniew Brzezinski, qui lui succéda en tant que conseiller à la sécurité nationale, et Peter Sutherland, le président de Goldman Sachs International. Ainsi, dès 2005, nous avons une faction dominante de conseillers occidentaux du renseignement et des établissements bancaires, qui ont choisi Kodmani pour exécuter un projet de recherche sur le Moyen-Orient. En Septembre 2005, Kodmani a été nommée directrice du programme à temps plein.

Plus tôt en 2005, le CFR avait attribué le “contrôle financier” du projet au Centre for European Reform (CER).

Le CER est supervisé par Lord Kerr, le vice-président de Royal Dutch Shell. Kerr est un ancien chef du service diplomatique et est un conseiller principal à Chatham House (un think tank mettant en valeur les meilleurs cerveaux de l’establishment diplomatique britannique).

Le responsable du CER au jour le jour est Charles Grant, ancien rédacteur de la section “défense” du magazine The Economist, également un membre du Conseil européen des relations étrangères, un think tank paneuropéen” rempli de diplomates, d'industriels, de professeurs et de premiers ministres. Sur sa liste de membres, vous trouverez : “Bassma Kodmani, (France / Syrie) – Directrice exécutive – Arab Reform Initiative”.

Un autre personnage clé est sur la liste : George Soros – qui est le financier sans but lucratif d’“Open Society Foundations, une source principale de financement de l’ECFR. A ce niveau, les mondes de la banque, de la diplomatie, de l’industrie, du renseignement, les instituts des divers partis politiques et des fondations, s'entrecroisent tous ensemble, et au milieu de tout cela, il y a Kodmani.

Le fait est que Kodmani n’est pas une “militante pro-démocratie” qui se retrouve par hasard derrière un microphone. Elle a d’irréprochables références en diplomatie internationale : elle occupe le poste de directrice de recherche à l’Académie Diplomatique Internationale“une institution indépendante et neutre dédiée à la promotion de la diplomatie moderne”. L’Académie est dirigée par Jean-Claude Cousseran, ancien chef de la DGSE – le service français de renseignement extérieur.

Une image apparaît, de Kodmani comme fidèle lieutenant de l’industrie anglo-américaine de promotion de la démocratie. Sa “province d’origine” (selon le site Internet du CNS) est la région de Damas, mais elle a d’étroites et anciennes relations professionnelles avec précisément ces mêmes pouvoirs auxquels elle demande une intervention en Syrie.

Et beaucoup de ses collègues porte-parole sont tout aussi bien entourés.

Radwan Ziadeh

Un autre représentant du CNS souvent cité est Radwan Ziadeh – directeur des relations extérieures au sein du Conseil National Syrien. Ziadeh a un CV impressionnant : il est membre émérite d’un think tank financé par Washington, l’US Institute of Peace (le conseil d’administration de l’USIP est largement composé d’anciens du Département de la défense et du Conseil national de sécurité. Son président est Richard Salomon, ancien conseiller de Kissinger au National Security Council).

En février de cette année, Ziadeh a rejoint un groupe d’élite de faucons de Washington, pour signer une lettre demandant à Obama d’intervenir en Syrie : ses autres signataires incluent James Woolsey (ancien chef de la CIA), Karl Rove (conseiller de Bush Jr), Clifford May (Comité sur le Danger Présent) et Elizabeth Cheney, l’ancien chef du groupe des opérations du Pentagone pour l’Iran et la Syrie.

Ziadeh est un organisateur acharné, un initié washingtonien de premier ordre, avec des connexions vers quelques-uns des groupes de réflexion les plus puissants. Les liens de Ziadeh s’étendent jusqu’à Londres. En 2009, il est devenu un chercheur associé à Chatham House, et en juin de l'an dernier, il figura parmi les intervenants au cours d’un de leurs événements – “Envisager l’avenir politique de la Syrie” – partageant une tribune avec son compatriote, porte-parole du CNS, Ausama Monajed et un membre du CNS, Najib Ghadbian.

Ghadbian a été identifié par le Wall Street Journal comme un intermédiaire précoce entre le gouvernement des États-Unis et l’opposition syrienne en exil : “Un premier contact entre la Maison Blanche et le FSN (Front de salut national) a été noué par Najib Ghadbian, un spécialiste en science politique de l'université de l’Arkansas”. C'était en 2005. L'année charnière.

Actuellement, Ghadbian est membre du secrétariat général du CNS, et membre du conseil consultatif d’une entité politique basée à Washington, appelée “Centre Syrien pour les Etudes Politiques et Stratégiques” (CSEPS) – une organisation co-fondée par Ziadeh.

Ziadeh a établi des liens de ce genre depuis des années. En 2008, il prit part à une réunion de personnalités de l’opposition dans un bâtiment du gouvernement des Etats-Unis, à Washington : une mini-conférence intitulée “La Syrie en transition”. La réunion était co-parrainée par un organisme étasunien appelé le “Conseil pour la Démocratie” (Democracy Council) et une organisation du Royaume-Uni nommée “Mouvement pour la Justice et le Développement” (MJD). C’était un grand jour pour le MJD – son président, Anas Al-Abdah, s’était rendu à Washington depuis la Grande-Bretagne pour l’événement, avec leur directeur des relations publiques. Vous pouvez lire ici sur le site du MJD une description de la journée : “La conférence a été un tournant exceptionnel puisque la salle allouée était bondée d’invités de la Chambre des représentants et du Sénat, des représentants de centres d’études, des journalistes et des expatriés syriens”.

La journée a débuté par un discours d’ouverture prononcé par James Prince, le chef du Conseil pour la Démocratie. Ziadeh appartenait à ​​un groupe de travail présidé par Joshua Muravchik (l’auteur ultra-interventionniste de “Bomb Iran” en 2006). Le sujet était “L’émergence d’une opposition organisée”. Assis aux côtés de Ziadeh, le directeur des relations publiques de la MJD – un homme qui deviendra plus tard son compatriote porte-parole du CNS – Ausama Monajed.

Ausama Monajed

Avec Kodmani et Ziadeh, Ausama (ou parfois Oussama) Monajed est l’un des portes-paroles le plus important du CNS. Il y en a d’autres, bien sûr – le CNS est une grosse bête et inclut les Frères Musulmans. L’opposition à Assad constitue un large éventail, mais ces personnes sont quelques-unes des voix clés de ce mouvement. Il existe d’autres portes-paroles officiels, avec de longues carrières politiques, comme George Sabra du parti démocrate populaire syrien. Sabra a été arrêté et emprisonné, alors qu’il luttait contre le “régime répressif et totalitaire en Syrie”. Et il y a d’autres voix de l’opposition en dehors du CNS, comme l’écrivain Michel Kilo, qui parle avec éloquence de la violence qui déchire son pays : “La Syrie est en voie de destruction, rue après rue, ville après ville, village après village. Quel genre de solution est-ce là ? Pour qu’un petit groupe de personnes demeurent au pouvoir, le pays tout entier est en voie de destruction”.

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Mais il ne fait aucun doute que l’organe principal de l’opposition est le CNS, souvent représenté (en particulier dans les pays anglo-saxons) par Kodmani, Ziadeh et Monajed. Monajed se présente fréquemment en commentateur sur les chaînes d’information. Le voilà sur la BBC, parlant depuis leur bureau de Washington. Monajed n’adoucit pas son message : “Nous voyons des civils, des enfants qui se font tirer dessus et sont tués et des femmes se font violer sur les écrans de télévision tous les jours”.

Dans le même temps, sur Al-Jazeera, Monajed parle de “ce qui se passe réellement, en réalité, sur le terrain” – des “miliciens d’Assad” qui “viennent violer leurs femmes, massacrer leurs enfants et tuer leurs aînés”.

Monajed apparut seulement quelques jours plus tard, en tant que blogueur sur le Huffington Post du Royaume-Uni, où il expliqua en détail : “Pourquoi le monde doit intervenir en Syrie” – appelant à “une assistance militaire directe” et à “une aide militaire étrangère”. Donc, une fois encore, la question qu'il serait légitime de se poser est : qui est ce porte-parole qui réclame une intervention militaire ?

Monajed est un membre du CNS, conseiller de son président, et selon sa biographie sur le site du CNS, “le fondateur et directeur de Barada Télévision”, un canal satellite pro-opposition basé à Vauxhall, au sud de Londres. En 2008, quelques mois après avoir assisté à la conférence sur la transition en Syrie, Monajed était de retour à Washington, invité à déjeuner avec George W. Bush, avec une poignée d’autres dissidents favorisés (vous pouvez voir Monajed sur la photo souvenir, troisième à partir de la droite, avec la cravate rouge, près de Condoleezza Rice – Garry Kasparov est à l'autre bout).

A cette époque, en 2008, le département d’Etat américain connaissait Monajed comme “directeur des relations publiques du Mouvement pour la justice et le développement (MJD), qui mène la lutte pour un changement pacifique et démocratique en Syrie”.

Regardons de plus près le MJD. L’année dernière, le Washington Post récupéra une histoire de Wikileaks, qui avait publié une multitude de câbles diplomatiques. Ces câbles semblent montrer un important flux d’argent depuis le département d’État américain vers le “Mouvement pour la justice et le développement” basé en Grande Bretagne. Selon le rapport du Washington Post : Barada TV est étroitement affiliée au Mouvement pour la justice et le développement, un réseau basé à Londres, d’exilés syriens. Les câbles diplomatiques américains montrent que le département d’Etat a fait passer 6 millions de dollars au groupe depuis 2006, afin de faire fonctionner la chaîne par satellite et de financer d’autres activités à l’intérieur de la Syrie”.

Un porte-parole du département d’Etat a répondu à cette histoire en disant : “Tenter de promouvoir une transformation vers un processus plus démocratique dans cette société n’est pas nécessairement porter atteinte à l’actuel gouvernement”. Et ils ont raison, pas “nécessairement”.

Lorsqu’on l'interrogea concernant l’argent du département d’État, Monajed en personne dit qu’il “ne pouvait pas confirmer” le financement du département d’État américain pour Barada TV, mais il ajouta : “Je n’ai pas reçu un penny moi-même”. Malik al-Abdeh, qui fut jusqu’à très récemment le rédacteur en chef de Barada TV, a insisté : “nous n’avons pas eu de relations directes avec le département d’État américain”. Le sens de la phrase tourne autour de ce terme : “directes”.

Il vaut la peine de noter que Malik al-Abdeh se trouve être également l’un des fondateurs du “Mouvement pour la Justice et le Développement” (le destinataire des 6 millions de dollars du département d’État, selon l’information du câble). Et il est le frère du président, Anas Al-Abdah. Il est aussi le co-titulaire de la marque MJD. Ce que Malik al Abdeh admet, c’est que Barada TV obtient effectivement une grande partie de son financement d’un groupe américain à but non lucratif : le “Conseil pour la Démocratie”. L’un des co-sponsors (avec le MJD) des conférences pour la transition en Syrie. Ce que nous voyons donc en 2008, lors de la même réunion, ce sont les leaders de ces organisations précisément identifiées par les câbles de Wikileaks comme le canal (le “Conseil pour la Démocratie”) et le destinataire (le MJD) de grosses sommes d’argent du département d’État.

Le Conseil pour la Démocratie, ce distributeur étasunien de subventions, liste le département d’État parmi ses sources de financement. Cela fonctionne de la façon suivante : le Conseil pour la Démocratie sert d’intermédiaire entre l’administration d’octroi de subventions du département d’État, le “Middle East Partnership Initiative”, et les “partenaires locaux” comme Barada TV. Comme le rapporte le Washington Post :

Plusieurs câbles diplomatiques américains de l’ambassade à Damas révèlent que les exilés syriens ont reçu de l’argent à partir d’un programme du département d’État appelé “Middle East Partnership Initiative”. Selon les câbles, le département d’État a fait passer de l’argent au groupe en exil par l’intermédiaire du Conseil pour la Démocratie, un groupe à but non lucratif basé à Los Angeles”.

Le même article met en évidence un câble datant de 2009, de l’ambassade des États-Unis en Syrie qui dit que le Conseil pour la Démocratie a reçu 6,3 millions $ du département d’État pour exécuter un programme en Syrie lié à l’ “Initiative civile de renforcement de la société”. Le câble décrit cela comme “un discret effort de collaboration entre le Conseil pour la Démocratie et des partenaires locaux” visant à produire, entre autres choses, “différents concepts de diffusion”. Selon le Washington Post : “Les autres câbles indiquent clairement que l’un de ces concepts a été Barada TV”.

Jusqu’à il y a quelques mois, le “Middle East Partnership Initiative” du département d’État était supervisé par Tamara Cofman Wittes (elle est maintenant à la Brookings Institution – un influent groupe de réflexion de Washington). A propos du MEPI, elle a dit qu’il a créé un effet positif grâce aux efforts américains de promotion de la démocratie”. A l'époque où elle y travaillait, elle a déclaré : “Il y a beaucoup d’organisations en Syrie et dans d’autres pays qui cherchent à changer leur gouvernement… C’est un programme auquel nous croyons et que nous allons soutenir”. Et par soutien, elle pense financements.

L’argent

Ce n’est pas nouveau. Au début de 2006, le département d’État annonce la “possibilité d’un nouveau financement” appelé le Programme pour la démocratie en Syrie”. L’offre représente une subvention d’une valeur de “5 millions de dollars durant l’exercice fédéral de 2006”. L’objectif de ces subventions ? “Accélérer le travail des réformateurs en Syrie”.

Désormais, l’argent circule plus vite que jamais. Au début de juin 2012, le Forum des Affaires Syriennes a été lancé à Doha par les dirigeants de l’opposition, dont Wael Merza (secrétaire général du CNS). “Ce fonds a été créé pour soutenir toutes les composantes de la révolution en Syrie”, a déclaré Merza. La taille du fonds ? 300 millions de dollars. C’est loin d’être clair sur la provenance de cet argent, même si Merza “fait allusion à un soutien financier important de pays arabes du Golfe pour le nouveau fonds” (Al Jazeera). Lors du lancement, Merza a affirmé qu’environ 150 millions de dollars avaient déjà été dépensés, en partie par l’Armée Syrienne Libre (ASL).

Les hommes d’affaires syriens du groupe de Merza a fait une apparition lors d’une conférence du Forum Economique Mondial intitulé la Plate-forme de coopération internationale, tenue à Istanbul en Novembre 2011. Tout cela fait partie du processus par lequel le CNS a gagné en réputation, pour devenir, selon les mots de William Hague, “un représentant légitime du peuple syrien” – et capable, ouvertement, de gérer son financement.

Construire la légitimité – de l’opposition, de la représentation, de l’intervention –, c’est la bataille essentielle de cette propagande.

Par une tribune libre dans USA Today, en février de cette année, l’ambassadeur Dennis Ross a déclaré : “Il est temps d’élever le statut du Conseil National syrien”. Ce qu’il voulait, de toute urgence, c’est “créer une aura d’inévitabilité concernant le CNS comme l’alternative à Assad”. L’aura d’inévitabilité. Gagner la bataille par l’urgence.

Un combattant clé dans cette bataille pour les cœurs et les esprits est le journaliste américain et blogueur du Daily Telegraph, Michael Weiss.

Michael Weiss

L’un des experts occidentaux les plus largement cités sur la Syrie – et un enthousiaste de l’intervention occidentale –, Michael Weiss fait écho à l'ambassadeur Ross quand il dit : “l’intervention militaire en Syrie n’est pas tant une question de préférence qu’une fatalité”.

Certains des écrits interventionnistes de Weiss peuvent être trouvés sur un site Web basé à Beyrouth, ami de Washington, appelé “NOW Liban” - dont la section “NOW Syria” est une source importante d’informations mises à jour sur la Syrie. “NOW Liban” a été mis en place en 2007 par Saatchi & Saatchi, dirigé par Eli Khoury. Khoury a été décrit par le secteur de la publicité comme “spécialiste dans la communication stratégique, spécialisé dans l’image de marque de gouvernements et du développement des marques”.

Weiss a déclaré à NOW Liban en mai dernier que, grâce à l’afflux d’armes aux rebelles syriens, “nous avons déjà commencé à voir des résultats”. Il avait montré une approbation semblable pour cette approche militaire, quelques mois plus tôt, dans un un article pour New Republic : “Ces dernières semaines, l’armée syrienne libre et d’autres brigades rebelles indépendantes ont fait de grands progrès” – à la suite de quoi, il avait présenté son “Plan d’action pour une intervention militaire en Syrie”.

Mais Weiss n’est pas seulement un blogueur. Il est aussi le directeur des communications et des relations publiques de la Société Henry Jackson, un groupe de réflexion ultra-ultra-belliciste en politique étrangère.

La Henry Jackson Society compte parmi son comité de patronage international : James “ex-patron de la CIA” Woolsey, Michael “homeland security” Chertoff, William “PNAC” Kristol, Robert “PNAC” Kagan, Joshua “Bomb Iran” Muravchick, et Richard “Prince des Ténèbres Perle. La société est gérée par Alan Mendoza, conseiller en chef du groupe parlementaire sur la sécurité transatlantique et internationale.

La Henry Jackson Society est intransigeante sur sa “stratégie avancée” vers la démocratie. Et Weiss est en charge du message. La Henry Jackson Society est fière de l’importante influence de son chef : “Il est l’auteur de l'influent rapport “Intervention en Syrie ? Une évaluation de la légalité, de la logistique et des risques” qui a été réorienté et approuvé par le Conseil National Syrien.

Le rapport initial de Weiss a été rebaptisé “Zone de sécurité pour la Syrie” – et s’est retrouvé sur le site officiel de syriancouncil.org, dans le cadre de la littérature stratégique de leur bureau militaire. La réorientation du rapport de la HJS a été entreprise par le fondateur et directeur exécutif du Centre de Recherche Stratégique et de Communication (CSRC) – Ausama Monajed.

Ainsi, le fondateur de Barada TV, Ausama Monajed, a édité le rapport de Weiss, l'a publié au sein de sa propre organisation (le CSRC), et l'a transmis au Conseil National Syrien, avec le soutien de la Henry Jackson Society.

La relation ne pouvait être plus proche. Monajed finit même par s'occuper des demandes “d'entretiens de presse avec Michael Weiss”. Weiss n'est pas le seul stratège à avoir esquissé la feuille de route de cette guerre (beaucoup de think tanks y ont réfléchi sérieusement, beaucoup de faucons l'ont vantée), mais on lui doit certains de ses détails les plus acérés.

L’Observatoire Syrien pour les Droits de l’Homme

La justification pour “l’inévitable” intervention militaire est la sauvagerie du régime du président Assad : les atrocités, les bombardements, les violations des droits de l’homme. L’information est cruciale ici, et une source domine toutes les autres quant à la fourniture d’informations sur la Syrie. Elle est citée à chaque fois : “Le directeur de l’Observatoire Syrien pour les Droits de l’Homme (OSDH) a déclaré à Voice Of America que les combats et les bombardements avaient tué au moins 12 personnes dans la province de Homs”.

L’OSDH est communément utilisé comme unique source d’informations et de bilans statistiques. Cette semaine, par exemple, l’AFP a publié cette dépêche : “Les forces syriennes ont bombardé les provinces d’Alep et de Deir Ezzor et au moins 35 personnes ont été tuées dimanche dans tout le pays, dont 17 civils, a annoncé un observateur”. Différentes atrocités ainsi que des chiffres de pertes sont énumérés, tous en provenance d’une seule source : “Rami Abdel Rahman, le directeur de l’Observatoire, a déclaré par téléphone à l’AFP”.

Des statistiques plus horribles les unes que les autres émanent en nombre de “l’Observatoire Syrien pour les Droits de l’Homme, basé en Grande-Bretagne” (AP). Il est difficile de trouver une information de la presse sur la Syrie qui ne le cite pas. Mais qui sont-ils ? “Ils”, c’est Rami Abdulrahman (ou Rami Abdel Rahman), qui vit à Coventry.

Selon une dépêche de Reuters en décembre 2011 : “Lorsqu’il n’est pas en train de répondre aux appels des médias internationaux, Abdulrahman est en bas de la rue dans son magasin de vêtements, qu’il dirige avec sa femme”.

Quand le blog “Moyen-Orient” du Guardian a cité “Rami Abdul-Rahman de l'Observatoire syrien pour des Droits de l'homme, il a aussi renvoyé à un article sceptique dans le Modern Tokyo Times - un article qui suggérait que les publications de nouvelles pourraient être un peu “plus objectives au sujet de leurs sources” en citant “cette prétendue entité”, l'OSDH.

Ce nom, l’“Observatoire Syrien des Droits de l’Homme”, sonne si grand, si inattaquable, si objectif. Et pourtant, quand Abdulrahman et son “ONG basée en Grande-Bretagne” (AFP / NOW Liban) sont la seule source d’information sur ​​un sujet aussi important, il semblerait raisonnable d’être prudent avec cet organisme et les informations qu’il propage.

L'Observatoire n'est en aucun cas la seule source la seule source syrienne d'informations à devoir être citée sans un examen plus ou moins minutieux...

Hamza Fakher

Les relations entre Ausama Monajed, le CNS, les faucons de la Henry Jackson Society et les médias peuvent être vues à partir du cas Hamza Fakher. Le 1er janvier, Nick Cohen a écrit dans The Observer : “Pour saisir l’ampleur de la barbarie, écoutez Hamza Fakher, un militant pro-démocratie, qui est l’une des sources les plus fiables sur les crimes masquées par le régime avec l’interdiction de la presse”.

Il poursuit en racontant des histoires horribles de Fakher sur la torture et les assassinats en masse. Il raconte la technique de torture de la plaque chaude dont il a entendu parler : “Imaginez toute la chair fondante atteignant l’os avant que le détenu tombe sur la plaque”. Le lendemain, Shamik Das écrit sur le blog progressiste Left Foot Forward, citant la même source : “Hamza Fakher, un militant pro-démocratie, décrit la réalité écoeurante…” – et les atrocités racontées par Cohen sont répétées.

Alors, qui est exactement ce “militant pro-démocratie”, Hamza Fakher ?

Il s’avère que Fakher est le co-auteur de “Révolution en danger”, une “note stratégique de la Henry Jackson Society”, publiée en février de cette année. Il a co-écrit ce document avec le directeur de la communication de la Henry Jackson Society, Michael Weiss. Et quand il n’est pas co-auteur pour la Henry Jackson Society, Fakher est le responsable de la communication du Centre de recherche stratégique et de Communication (CRSC) basé à Londres. Selon leur site, “Il a rejoint le centre en 2011 et a été en charge de la stratégie et des produits de communication du centre”.

Pour rappel, le CRSC est géré par Ausama Monajed : “M. Monajed a fondé le centre en 2010. Il est largement cité et interviewé dans la presse internationale et les médias. Il a travaillé auparavant comme consultant en communication en Europe et aux États-Unis et était autrefois directeur de Barada Télévision…”.

Monajed est le patron de Fakher.

Si ça ne suffisait pas, pour une dernière pirouette washingtonienne, sur le conseil d’administration du Centre de recherche stratégique et de Communication trône Murhaf Jouejati, professeur à l’Université de la Défense Nationale à Washington DC – “le premier centre pour l’enseignement militaire mixte professionnel (JPME)” qui est “sous la direction du Président et des chefs d’état-major”.

Si vous envisagez de voyager pour voir Monajed au “Centre de recherche stratégique et de communication”, vous le trouverez ici : Centre de recherche stratégique et de communication, Office 36, 88-90 Hatton Garden, Holborn, Londres EC1N 8PN.

A cette adresse, vous trouverez également le siège londonien de la Fake Tan Company, de Supercar 4 U Limited, de Moola Loans (une “société de crédit éprouvée”), d'Ultimate Screeding (pour tous vos besoins de chape de sol) et de la London School of attraction“une société de formation basée à Londres qui aide les hommes à acquérir les compétences et la confiance nécessaires pour rencontrer et attirer les femmes”. Et environ une centaine d’autres entreprises encore. Il s’agit en fait d’un bureau virtuel. Il y a quelque chose de curieusement approprié à ce sujet. Un “centre de communication” qui n’a même pas de véritable siège – un grand nom, mais sans substance physique.

C'est la réalité de Hamza Fakher. Le 27 mai, Shamik Das de Left Foot Forward cite de nouveau le compte-rendu d'atrocités de Fakher, qu'il décrit maintenant comme “un témoignage oculaire” (ce que Cohen n'a jamais dit qu'il était) et qui s'est à ce jour renforcé en “dossier du régime Assad”.

Ainsi, un récit d'atrocités données par un stratège de la Henry Jackson Society, qui est le directeur de la communication du département des relations publiques de Monajed, a acquis le sérieux d'un “dossier” historique.

Ceci ne doit pas suggérer que le compte-rendu d'atrocités doive être faux, mais combien de ceux qui lui accordent foi examinent-ils ses origines ? (...) »

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22:40 Écrit par Boreas | Lien permanent | Tags : syrie, opposition, charlie skelton, the guardian, assad, etats-unis, royaume-uni, grande-bretagne, cns, bassma kodmani, bilderberg, fondation ford, ira, cfr, usmiddle east project, brent scowcroft, zbigniew brzezinski, peter sutherland, cer, lord kerr, chatham house, charles grant, george soros, ecfr, radwan ziadeh, usip, richard salomon, james woolsey, michael chertoff, william kristol, robert kagan, richard perle, alan mendoza, karl rove, clifford may, elizabeth cheney, ausama monajed, najib ghadbian, fsn, cseps, mjd, anas al-abdah, james prince, joshua muravchik, malik al-abdeh, barada tv, wikileaks, tamara cofman wittes, mepi, wael merza |  Facebook | |  Imprimer | Pin it! |