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16/03/2012

« 1788/2012 : Sommes-nous à la veille d'une nouvelle Révolution française ? »

 

« Les amateurs d’histoire s’amuseront à relever les étranges similitudes entre la France d’aujourd’hui et celle des années 1780. Il suffit de lire la Théorie de l’impôt publiée en 1760 par le vicomte Mirabeau, père du Mirabeau qui fit la Révolution, pour comprendre que, dès cette époque, nombreux étaient les Français qui se plaignaient d’être "étouffés sous tant d’entraves d’un fisc usuraire et ruineux" (page 65 de l’édition originale).

On pourrait d’ailleurs prendre plaisir à comparer les débats sur l’impôt d’aujourd’hui avec ceux de cette époque. Alors que l’excellent Thomas Piketty a plaidé, début 2011, Pour une révolution fiscale fondée sur un impôt universel et proportionnel, le vicomte Mirabeau parlait pour sa part du salaire des fonctionnaires comme d’une "subsistance" qui "doit être fournie par l’universalité des sujets, puisqu’elle est employée au service de tous" (page 48 de la Théorie de l’impôt). Il critiquait ainsi le système fiscal d’Ancien Régime où, comme dans la France d’aujourd’hui, les niches étaient pléthoriques et l’imposition de certains écrasante.

Mais le point de similitude le plus frappant est évidemment celui de la dette publique. La France de Louis XVI, comme la France d’aujourd’hui, est structurellement endettée.


Lorsque Louis XVI décide d’envoyer des troupes en Amérique pour aider les Américains à s’affranchir des Anglais, les finances publiques sont déjà mal en point. L’expédition américaine est financée à crédit, et la situation devient catastrophique. Durant toute la décennie 1780, les ministres des Finances se succèdent, mais aucun ne parvient à réformer un État irréformable. Et en 1788, face au gouffre, Louis XVI décide de convoquer les États Généraux pour mener une grande réforme fiscale destinée à régler le problème de la dette. On sait quelles furent les conséquences politiques de cette décision.

Mais comment mesurer le gouffre du déficit ? Dans L’économie de la Révolution française (éd. Belles Lettres, 2007), Florin Aftalion donne quelques pistes. En 1783, l’impôt rend environ 600 millions de livres, et les dépenses sont de 800 millions. Le besoin de financement public se situe donc entre 30 et 35% des recettes de l’État.

Le parallèle avec la France d’aujourd’hui est amusant à dresser. Comme nous calculons notre déficit par rapport au PIB et non par rapport aux recettes de l’État, nous n’y voyons pas clair. On pourrait d’ailleurs épiloguer sur ce choix d’indicateur, puisqu’il ne viendrait à l’esprit d’aucun expert-comptable privé de mesurer les pertes d’un entreprise par rapport à la richesse de ses clients.

Bref, si nous utilisons la technique d’Ancien Régime pour mesurer le déficit de l’État, nous trouvons les chiffres suivants. En 2011 par exemple, le déficit fut de 95 milliards d’euros, pour des recettes d’environ 280 milliards d’euros. Autrement dit, le déficit équivalait à 34% des recettes, soit une situation tout à fait similaire à celle que connaissait la France durant la décennie qui a précédé 1789.

Il ne faut inférer évidemment aucune conclusion abusive de ce petit calcul qui montre que notre vieille République est aujourd’hui exposée à la même difficulté financière que Louis XVI. La difficulté majeure de Louis XVI fut son incapacité à revenir à une équilibre structurel des comptes. On peut benoîtement imaginer (il est interdit de rire !) que la République parviendra à cet objectif que l’Ancien Régime ne put atteindre.

En outre, les mauvaises récoltes que la France accumule sous Louis XVI exaspèrent le peuple et favorisent un climat révolutionnaire que nous ne connaissons pas encore.

Tout l’enjeu de notre époque est de savoir si les difficultés sociales des Français aujourd’hui sont susceptibles de nourrir un climat du même type que celui des années 1780. Les mesures que le gouvernement de mai 2012, qu’il soit de gauche ou de droite, devra prendre pour rétablir la situation financière risquent fort d’être un test de résistance sur ce point.

Les Français sont-ils capables d’endurer des mesures semblables à celles qui sont imposées aux Grecs par exemple ? Ou bien manifesteront-ils leur frustration et leur refus ? »

Eric Verhaege

Commentaires

Il a donc fallu attendre huit ans (1780-1788) pour que soient convoqués les Etats-Généraux ? Huit années durant laquelle les français ont quand même vécu ?...
Nous savons tous que la seule question qui se pose actuellement est celle de la durée avant la chute. Voilà donc un indice : huit ans.
Mais depuis cette époque, certains paramètres ont changé qui influent différement : certains dans le sens d’un allongement de la durée (sophistication des magouilles de la finance pour « suspendre » le temps), d’autres dans le sens d’un raccourcissement (dépendance énergétique cruciale, approvisionnements alimentaires fragiles).
D’autres, nouveaux, restent imprécis quant à leur impact sur cette durée : mondialisation, immigration…

On s’en tient toujours à trois ou quatre ans, Boréas ? A la lumière de la première période 2008-2011, et à celle de l’inventivité des banksters, je me demande s’il ne va pas falloir souffrir bien plus longtemps…
D’autant plus que ceux qui décident la guerre (seule soupape historiquement prouvée à toute crise) ont encore du bon temps devant eux, et des sous à claquer avant de s’en remettre aux sort des armes.
Effectivement, ayant pris un peu d’avance, la Grèce est un bon thermomètre.

Écrit par : Just | 16/03/2012

Je ne connais pas l'avenir, Just, et l'hypothèse que TP et moi avions formulée en 2009 (deux à cinq ans, en partant de 2009) n'est pas forcément... juste.

Mais l'économie réelle est la seule qui compte vraiment.

Quand on a faim, on peut toujours essayer de se persuader que ce n'est pas le cas, c'est peine perdue.

Alors, même si la haute finance essaie désespérément de repeindre le monde en rose bonbon ou plutôt en vert dollar, le papier, ça ne se mange pas.

De nombreux, très nombreux signes d'effondrement économique mondial se manifestent depuis plusieurs années et le fait que, malgré leur flagrance, les merdias tenus par le capital n'en parlent pas, ou presque, est une confirmation non seulement de l'état de rêve dans lequel vivent nos zélites, mais aussi de la conscience de la chute qui habite quelques éminences nettement plus lucides, comme Brzezinski ou - quoi qu'on en dise et en dépit de ses gesticulations contradictoires - Attali.

Après, le processus d'effondrement est quelque chose de trop complexe pour pouvoir être prédit en détail par qui que ce soit, mais je suis convaincu qu'à partir d'un certain stade, les choses peuvent aller très vite.

En 1988, qui avait prévu la chute de l'URSS ? Pas grand-monde...

Écrit par : Boreas | 16/03/2012

"Les Français sont-ils capables d’endurer des mesures semblables à celles qui sont imposées aux Grecs par exemple ? Ou bien manifesteront-ils leur frustration et leur refus ? » "

Les deux propositions ne s'opposent pas.

Le cas grec est d'ailleurs là pour l'illustrer.

Ils endurent les conséquences de la "rigueur budgétaire" et des plans d'austérité, et ils manifestent parfois violemment leurs frustrations et leur mécontentement. Cela ne fait pas pour autant une révolution. Cette dernière suppose l'existence d'un système concurrent, émergent, cherchant à se mettre en place. sans quoi, on reste au stade de l'émeute, de l'éruption, du lent pourrissement.

Comparaison n'est donc pas raison. Il y a certes des analogies, mais nos sociétés sont tenues par quelque chose qui était totalement étranger à celle de l'ancien régime :
La consommation.

Tant que les citoyens pourront espérer sauvegarder les effets de cette consommation à laquelle ils sont massivement accrocs, tant que des "élites" sauront jouer de cette dépendance (dont elles souffrent également à un stade bien plus important) pour entretenir des illusions pour demain, le château de cartes se maintiendra.

Ceux qui vont culs nus, les sans culottes, n'ont RIEN à perdre. Si ce n'est la vie.

Tel n'est pas, à ce jour, notre cas.

Huit ans en au XVIII ème siècle.

La encore, notre époque se caractérise par une contraction de l'espace et du temps qui surprendraient nos aïeux.

Notre civilisation est celle du mouvement, de la vitesse, des avions qui autorisent le tour du monde en 24h00 et de la fibre optique, vecteur de diffusion sans égale des idées, de l'information, de la rumeur.

Cet avantage lorsque tout va bien, va devenir un inconvénient majeur lorsque tout n'ira plus aussi bien.
L'accélération joue dans les deux sens.
La fulgurance des printemps arabes et l'effondrement de l'URSS rappelé par Boreas le démontrent parfaitement.

Le delta, l'inconnue de l'équation, c'est le seuil réel de tolérance du système.
Où se situe le point de rupture à partir duquel le seuil de bascule est franchit et où le principe d'accélération joue en faveur des forces de changement ?

On le voit aujourd'hui même, ce point n'est pas facile à déterminer, même lorsque, comme en Syrie actuellement, tout est fait (violences, rumeurs, désinformations, provocations meurtrières, attentats etc.) pour "forcer le destin" et passer du stade de l'émeute armée organisée à celui de la guerre civile généralisée.

Sans doute en supporteront nous toutefois bien moins que les grecs et les syriens en la matière.
Nous ne sommes plus accoutumés à un tel niveau de violences.

Et ce qui peut constituer ailleurs sur terre un électrochoc salvateur, un aiguillon de la révolte, peut ici au contraire briser le patient et lui ôter toute volonté de puissance.

Car non seulement, homo modernicus, nous sommes enchaînés à nos biens, non seulement nous sommes des isolés, des déracinés communautaires, mais également à nous tenons de manière admirable à la vie et nous redoutons la mort.

De tous les êtres vivant sur terre, il ne se trouve pas de meilleurs esclaves.

Écrit par : léonidas | 16/03/2012

Ce % du PIB ne veut effectivement rien dire! Quand on parle de déficit, on regarde (le bon sens!) par rapport aux recettes... C'est commode également: la piétaille qui n'y connait rien n'aura pas son mot à dire.

Le parallèle est saisissant, mais il a ses limites. Je pencherai plutot avec la fin de l'empire romain: un effondrement qui a duré des décennies. Je peux me tromper bien sur.

Écrit par : Imperator. | 16/03/2012

Je reste sur mon hypothése de 2009, Boréas.
En 2009, rappelez vous:
Pas de dégradation de la note de la dette des US ou de la France.
Pas d'attaque sur l'euro ou sur la Grèce.
Pas de GS boys à la tête de pays européens.
Pas de Poutine élu.
Pas de Libye réussie par le BAO et d'échec par les mêmes sur la Syrie.

Nous ne sommes pas dans le chaos?
Tant mieux, en l'état actuel de nos forces, c'est à dire nulles, nous n'en ferions rien.
L'hyper-classe ne vacille pas?
Tant mieux, sommes nous prêts pour prendre le relais?

La seule question n'est plus quand, mais qui.
Et "nous" ne sommes pas à la hauteur de l'histoire à l'heure actuelle.

Ah, Saint Hélie de Saint Marc, priez pour nous!

Écrit par : Three piglets | 17/03/2012

"(seule soupape historiquement prouvée à toute crise)"

Si cela était vraie, alors l'URSS, suite à la guerre d'Afghanistan, aurait survécu.
Et si cela état vraie, alors les USA engagés en Irak et en Afgha n'auraient jamais de problèmes particuliers.

Écrit par : Three piglets | 17/03/2012

"La seule question n'est plus quand, mais qui.
Et "nous" ne sommes pas à la hauteur de l'histoire à l'heure actuelle."

Certes, les obstacles sont gigantesques.

Et comme l'a bien dit Léonidas, ils sont avant tout en "nous".

Il ne pourra y avoir de résilience collective (sans même parler de révolte ni de constitution d'une avant-garde révolutionnaire) sans que chacun ait fait d'abord sa propre révolution.

Elle relève de la psychologie élémentaire (l'histoire de la grenouille dans l'eau qui chauffe) et je pense que rien ne sera réellement possible tant que la température ne montera pas brutalement, tant que les gens ne souffriront pas concrètement.

Or, la souffrance volontaire est réservée à une petite minorité. "Nous" sommes donc complètement dépendants du processus de l'effondrement et surtout, de sa vitesse.

Mais, comme l'a dit Jovanovic dans une récente interview, l'effondrement est la seule solution, de toute manière.

Et puis, rien n'empêche les rares dissidents sérieux de faire leur possible dans un esprit "bushido" (indifférence à la défaite comme à la victoire).

Écrit par : Boreas | 17/03/2012

Il n'y aura à mon sens pas de "révolution" tant que la redistribution et l'"Etat-Providence" fonctionneront..du moins tant que le bénéfice tiré de ce dernier par les populations démunies leur permettra de vivre dans un confort relatif sans travailler ni dans la sphère marchande ni dans la sphère non marchande (agriculture vivrière par exemple) sans que l'inflation consécutive à la mise en place de la "planche à billets" ne rende pas leur pouvoir d'achat trop faible.
Cela se fera peut-être mais progressivement...
Le temps pour un certain nombre de nos compatriotes de s'y préparer....

Écrit par : JEAN DU TERROIR | 19/03/2012

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