Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

10/02/2012

L'ethno-différencialisme contre la pensée unique

La pensée unique éclairant le monde

 

« Avec ce qu’il faut désormais appeler l’ "affaire Guéant", nous nageons en plein confusionnisme. D’abord parce que Monsieur Guéant a confondu "Civilisation" et régime politique, ce qui, convenons-en, n’est pas tout à fait la même chose…

Ensuite, parce que la gauche dénonce des propos inscrits dans l’exacte ligne de ceux jadis tenus par Victor Hugo, Jules Ferry, Léon Blum ou encore Albert Bayet (*). Pour ces derniers, il existait en effet une hiérarchie entre, d’une part les "peuples civilisés", c'est-à-dire ceux qui se rattachaient aux Lumières et à l’ "esprit de 1789", et d’autre part ceux qui vivaient encore dans les ténèbres de l’obscurantisme. Jules Ferry déclara ainsi devant les députés le 28 juillet 1885 :
 
"Il faut dire ouvertement qu’en effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures ; mais parce qu’il y a aussi un devoir. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures".
 
Quant à Léon Blum, le 9 juillet 1925, toujours devant les députés, il ne craignit pas de prononcer une phrase qui, aujourd’hui, le conduirait immédiatement devant les tribunaux :
 
"Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d'attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture et de les appeler aux progrès réalisés grâce aux efforts de la science et de l'industrie".
 
Reconnaissons que Monsieur Guéant est bien loin d’avoir tenu de tels propos clairement racistes. La gauche ferait donc bien de balayer devant sa porte et si les représentants de la "droite" avaient eu un minimum de culture, ils auraient pu, en utilisant ces citations et bien d’autres encore, renvoyer le député Letchimy au passé de son propre parti.
 
Le problème est que Monsieur Guéant est un universaliste pour lequel l’étalon maître de la "Civilisation" est, selon ses propres termes, le respect des "valeurs humanistes qui sont les nôtres".
A ce compte là, effectivement le plus qu’un milliard de Chinois, le milliard d’Indiens, les centaines de millions de Japonais, d’Indonésiens etc., soit au total 90% des habitants de la planète, vivent en effet comme des "Barbares" ou des "Sauvages". Barbares et sauvages donc les héritiers de Confucius, des bâtisseurs des palais almohades et de ceux du Grand Moghol puisqu’ils n’ont pas encore adhéré à nos "valeurs humanistes", ces immenses marques du progrès humain qui prônent l’individu contre la communauté afin que soient brisées les solidarités, la prosternation devant le "Veau d’Or" afin d’acheter les âmes, la féminisation des esprits contre la virilité afin de désarmer les peuples, les déviances contre l’ordre naturel afin de leur faire perdre leurs repères.
 
Face à cette arrogance et à cet aveuglement qui constituent le socle de la pensée unique partagée par la "droite" et par la gauche, se dresse l’immense ombre du maréchal Lyautey qui, parlant des peuples colonisés, disait : "Ils ne sont pas inférieurs, ils sont autres". Tout est dans cette notion de différence, dans cet ethno-différencialisme qui implique à la fois respect et acceptation de l’évidence.
Or, c’est cette notion de différence que refusent tous les universalistes. Ceux de "droite", tel Monsieur Guéant, au nom des droits de l’Homme, ceux de gauche au nom du cosmopolitisme et du "village-terre".
 

(*) Voir à ce sujet les pages 34 à 42 de mon essai Décolonisez l’Afrique !, paru chez Ellipses en octobre 2011. »
 

25/01/2012

L'individualisme, fondement de la modernité

 

« (...) Louis Dumont a bien montré le rôle joué par le christianisme dans le passage en Europe d'une société traditionnelle de type holiste à une société moderne de type individualiste. Dès l'origine, le christianisme pose l'homme comme un individu qui, avant toute autre relation, est en relation intérieure avec Dieu et qui peut désormais espérer faire son salut grâce à sa transcendance personnelle. Dans cette relation avec Dieu s'affirme la valeur de l'homme en tant qu'individu, valeur au regard de laquelle le monde se trouve nécessairement abaissé ou dévalué. L'individu est par ailleurs, à l'égal de tous les autres hommes, titulaire d'une âme individuelle. Egalitarisme et universalisme s'introduisent ainsi sur un plan ultramondain : la valeur absolue que l'âme individuelle reçoit de sa relation filiale à Dieu est partagée par toute l'humanité.

Marcel Gauchet a repris ce constat d'un lien de causalité entre l'émergence d'un Dieu personnel et la naissance d'un homme intérieur, dont le sort dans l'au-delà ne dépend que de ses agissements individuels, et dont l'indépendance s'amorce déjà dans la possibilité d'une relation intime avec Dieu, c'est-à-dire d'une relation qui n'engage que lui seul. "Plus Dieu s'éloigne en son infini, écrit Gauchet, plus le rapport avec lui tend à devenir purement personnel, jusqu'à exclure toute médiation institutionnelle. Elevé à son absolu,le sujet divin n'a plus de légitime répondant terrestre que dans la présence intime. Ainsi l'intériorité de départ devient-elle carrément individualité religieuse" (Le désenchantement du monde, Gallimard, 1985, p. 77).

L'enseignement paulinien révèle une tension dualiste qui fait du chrétien, sur le plan de sa relation avec Dieu, un "individu hors du monde" : devenir chrétien implique en quelque façon de renoncer au monde. Cependant, dans le cours de l'histoire, l'individu hors du monde va progressivement contaminer la vie mondaine. Au fur et à mesure qu'il acquerra le pouvoir de conformer le monde conformément à ses valeurs, l'individu qui se posait au départ comme hors de ce monde va revenir progressivement s'y immerger pour le transformer en profondeur. Le processus s'effectuera en trois étapes principales. Dans un premier temps, la vie dans le monde n'est plus refusée, mais relativisée : c'est la synthèse augustinienne des deux cités. Dans un second temps, la papauté s'arroge une puissance politique et devient elle-même puissance temporelle. Enfin, avec la Réforme, l'homme s'investit totalement dans le monde, où il travaille à la gloire de Dieu en recherchant un succès matériel qu'il interprète comme la preuve même de son élection. Le principe d'égalité et d'individualité, qui ne fonctionnait initialement que dans le registre de la relation avec Dieu, et pouvait donc encore coexister avec un principe organique et hiérarchique structurant le tout social, va ainsi se trouver progressivement ramené sur terre pour aboutir à l'individualisme moderne, qui en représente la projection profane. "Pour que naisse l'individualisme moderne, écrit Alain Renaut exposant les thèses de Louis Dumont, il faudra que la composante individualiste et universaliste du christianisme vienne pour ainsi dire 'contaminer' la vie moderne, au point que progressivement les représentations s'unifieront, le dualisme initial s'effacera et 'la vie dans le monde sera conçue comme pouvant être entièrement conformée à la valeur suprême' : au terme de ce processus, 'l'individu-hors-le-monde sera devenu le moderne individu-dans-le-monde' " (L'ère de l'individu. Contribution à une histoire de la subjectivité, Gallimard, 1989, pp. 76-77).

La société organique de type holiste aura alors disparu. Pour reprendre une distinction célèbre, on sera passé de la communauté à la société, c'est-à-dire à la vie commune conçue comme simple association contractuelle. Ce ne sera plus le tout social qui viendra en premier, mais des individus titulaires de droits individuels, liés entre eux par des contrats rationnels intéressés. Un important moment de cette évolution correspond au nominalisme, qui affirme au XIVe siècle, avec Guillaume d'Occam, qu'aucun être n'existe au-delà de l'être singulier. Un autre moment-clé correspond au cartésianisme, qui pose déjà, dans le champ philosophique, l'individu tel qu'il sera plus tard supposé par la perspective juridique des droits de l'homme et par celle, intellectuelle, de la raison des Lumières. A partir du XVIIIe siècle, cette émancipation de l'individu par rapport à ses attaches naturelles sera régulièrement interprétée comme marquant l'accession de l'humanité à l' "âge adulte", dans une perspective de progrès universel. Sous-tendue par la pulsion individualiste, la modernité se caractérisera au premier chef comme le processus par lequel les groupes de parenté ou de voisinage, et les communautés plus larges, se désagrègeront progressivement pour "libérer l'individu", c'est-à-dire en fait pour dissoudre tous les rapports organiques de solidarité. (...) »

Alain de Benoist