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03/12/2013

Innocente technologie ?

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« (...) le monde avec téléphone portable n’est pas le monde d’avant, "augmenté" du téléphone portable, mais bien un autre monde.

Chacun peut le constater : nos liens sociaux, notre travail, notre langue, notre rapport au temps et à l’espace, notre organisation personnelle et collective, mais aussi nos villes, les réseaux de transport, les services publics, le commerce – tout a été bouleversé par cette technologie. Sans que jamais nous n’ayons eu notre mot à dire sur cette révolution politique. Sans que jamais ne soit réalisé un bilan – un audit comme on dit dans l’industrie – de cette révolution.


Pour nous, quels que soient les "bons usages" que les humains enchaînés à leur prothèse électronique ne manquent jamais de mettre en avant, le monde sans portable est moins dégradé que le monde avec. D’un point de vue écologique (exploitation du coltan, destruction de zones naturelles et guerres autour des mines en Afrique, déchets et pollutions électroniques) et sanitaire (pollution électromagnétique, phénomènes de dépendance, troubles du sommeil et de la concentration), évidemment. Mais le plus grave sont les atteintes d’ordre social, politique et anthropologique : cet assistant de vie électronique a diminué nos facultés de vie et notre autonomie.

Quand nous avons publié Le téléphone portable, gadget de destruction massive (éditions l’Échappée), en 2008, nous racontions comment les sociologues de l’innovation et des usages, chargés d’imaginer des applications socialement acceptables aux technologies disponibles, annonçaient déjà la transformation du portable en "couteau suisse", en outil à tout faire. Ce qu’ils disent, ils le font. Aujourd’hui le prétendu smartphone remplace le téléphone portable, et accroît de façon exponentielle la dépendance à son égard, en concentrant toujours plus de fonctions en un objet. Si le smartphone devient l’interface universelle avec le monde, comme le dit béatement Philosophie magazine, c’est parce que le monde devient un monde numérique. Si tout est réductible à un code informatique – la musique, les livres, les images, la voix, les autres, l’action devenue transfert « d’informations » (de données en fait) – alors le portable devient l’interface obligée (sinon de jure, de facto). Ayant asservi la masse au virtuel, il n’est que trop simple de la basculer dans la "réalité augmentée" et la "planète intelligente" d’IBM – ce monde où chaque chose, chaque être, chaque élément du décor est muni de sa puce à radiofréquence (RFID) pour que plus rien n’échappe au filet électronique.

Parmi les vraies fonctions du portable et de ses réseaux de transmission, détection, localisation, surveillance et espionnage des usagers sont vite devenus des banalités de base. Il est connu que plus nous avons de "moyens de communication" (téléphone, répondeur, internet), moins nous avons de choses à nous communiquer – hors du bavardage visant précisément à maintenir "la communication", à prouver notre existence dans un monde virtuel. Cela ne signifie pas, cependant, que la communication soit vide ou inutile. Ce que la "machine à gouverner" (Norbert Wiener) nous communique sans relâche à travers ses réseaux cybernétiques, ce sont des ordres, injonctions ou suggestions. (...)

En ce qui concerne les nouvelles technologies de l’information et de la communication, elles constituent principalement l’extension et la ramification de la machine à gouverner, "du gouvernail technologique" et de la transmission de ses commandes aux moindres recoins du territoire (la Corrèze, le Zambèze) , de chacun de ses habitants, de chacun de ses éléments vivants ou inertes, animaux, plantes, paysages, décors, mobilier urbain, marchandises, objets, etc. C’est le maillage de la "planète intelligente" (IBM, Google et Cie), de la "ville intelligente", de "l’habitat intelligent", des objets "intelligents", du "e-Gouvernement", de la "e-Administration", du tout numérique, de la maternité à l’incinérateur grâce à "l’Internet des objets" et aux puces RFID (radio-frequency identification) qui permettent virtuellement la gestion centralisée du monde et de ses moindres éléments par l’ordinateur suprême. Autrement dit, l’avènement d’une fourmilière technologique et numérique – techno-totalitaire –, en lieu et place d’un monde d’individus (humains, animaux, végétaux). Ou encore l’incarcération de l’homme-machine et du vivant-machine dans le monde-machine.

Sans doute, ce monde-machine, organisé et informé de façon optimale, serait une enclave de résistance à l’entropie, à la dégradation de l’ordre et de l’énergie de notre système clos vers son plus bas degré. C’est bien ainsi que Norbert Wiener l’avait conçu (cf. Cybernétique et société. L’usage humain des êtres humains, Édition 10/18, 1971), et que la techno-industrie le réalise déjà, à Singapour, aux Pays-bas, en Israël, en Corée du sud, pour ne citer que ses laboratoires les plus avancés. Ce techno-totalitarisme a bien entendu ses collabos enthousiastes, body-hackers injectés de puces RFID, en attendant de "s’augmenter" de mémoires, senseurs, organes et membres artificiels tel le coureur Oscar Pistorius.

Cet eugénisme technologique est lui-même le produit du ressentiment et de l’opportunisme ; l’humain c’est l’erreur ; les machines ne font pas d’erreur ; les machines sont en train de vaincre ; "If you can’t beat them, join them". D’où ce mouvement de déshumanisation qui est est d’ailleurs loin de se limiter aux tentatives d’hybridation homme-machine. On sait que ce mouvement déshumaniste et anthropophobe, né aux États-Unis, n’est en fait que la sacralisation de la technoscience, le culte du dieu Progrès par l’intercession de la Sainte-Technologie. Il combine cette haine de la chair et de la guenille humaine, propre aux manichéens, aux dualistes cathares, au puritanisme protestant que les colons de la Nouvelle Angleterre ont imprimé à la culture américaine. Ce n’est évidemment pas par hasard si un des responsables de la National Science Foundation (William Bainbridge, un sociologue des religions) est également un éminent représentant de la secte transhumaniste. (...) »

Pièces et main-d'oeuvre

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