05/09/2010
"Plus humain que l'humain, telle est notre devise"
"Blade Runner", de Ridley Scott, 1982
Un chef-d'oeuvre visuel, doublé d'une réflexion sur la nature humaine.
Vidéo 1 : une bande-annonce qui n'en est pas une
Vidéo 2 : la meilleure scène de ce film-culte, en VF, dans la version "director's cut" de 1992
Vidéo 3 : pour les passionnés, la même scène plus complète, en VO, dans la version "final cut" de 2007 (observez bien, là où s'envole la colombe, une différence, esthétiquement très importante)
Vidéo 4 : le générique et le début du film, version initiale et "director's cut". A couper le souffle.
Vidéo 5 : le générique, version "final cut", qui confirme les intentions du réalisateur.
19:28 Écrit par Boreas dans Cinéma, Culture, Philosophie, Poésie, Société | Lien permanent | Tags : ridley scott, philip k. dick, blade runner, vangelis | Facebook | | Imprimer | |
Commentaires
scène 2 :
"Il est temps de mourir"...
Il est toujours temps, effectivement de mourir.
Ce film est finalement d'un grand pessimisme, il est ce à quoi se résume la vie des matérialistes et autres nihilistes lorsqu'ils arrivent au seuil de leur existence, se mirant une dernière fois le nombril, à la fois aigris et apeurés à l'idée que tout d'eux-mêmes, soit irrémédiablement perdu.
Ce n'est peut être pas un hasard si celui qui tient ce discours dans le film est une machine, un "esclave", comme il le dit lui-même, né de personne, dans un but utilitaire et bon pour la casse arrivé à la date de péremption.
Ce, en fait, en quoi on s'acharne à nous transformer... de petits hommes gris uniformément gris, des fourmis, les "rudeaux" cher à Raspail, insipides, inodores, incolores, interchangeables.
Mais sommes-nous naturellement des machines ?
La réponse est bien évidemment non.
Au contraire de cet androïde (qui possède des côtés par ailleurs bien sympathiques), l'homme, à l'état naturel, ne voit pas le jour ex-nihilo comme une unité centrale assignée à une tâche et une seule.
Il est déjà pour commencer le fruit d'une chaine, celle de ses ancêtres, il fait parti d'un tout, il est un maillon au milieu d'autres maillons situés en amont et en aval.
La mort qui viendra le trouver en vieillard n'est pas la fin de tout. Contrairement à la machine stérile, il transmet ce qu'il est et ce que les autres avant lui ont été et lui ont laissé, la chaîne ne s'interrompt pas, sauf accident.
L'Homme véritable est un demi-dieu, disposant d'une forme d'éternité, à la fois biologique et culturelle qui garantit à travers les âges, la pérennité de ce qu'il est.
S'il ne déroge pas aux règles sacrées permettant l'accomplissement de cette loi naturelle, des plus exigeantes, il ne saurait véritablement mourir.
En revanche, s'il tergiverse, s'il renonce ou faillit, s'il refuse de se plier à la loi d'airain, s'il rompt la chaîne, alors il perd pour ainsi dire ses ailes !
Il est déchu et devient cet androïde perdu... et solitaire dont les rêves et "ce qu'il a vu" s'achèvent en même temps que sa vie.
Nous sommes pour beaucoup ici, des androïdes, qui à l'image du héros de ce film, luttons pour reconquérir ce que l'on nous a pris, ce que l'on nous a volé.
Le chemin qui conduit à la rédemption de nos fautes individuelles et collectives contre les lois naturelles régissant notre univers sera douloureux, pour le moins. Nul doute qu'il peut être fatal.
Mais les morts-vivants ne sauraient craindre les eaux du Styx.
Hardi compagnons !
Écrit par : léonidas | 11/09/2010
léonidas
Merci de votre très intéressant commentaire.
Blade Runner est un film inclassable.
Il ne relève pas, à proprement parler, de la science-fiction, ni du fantastique, ni du policier.
Bien sûr, il est formellement tout cela et bien plus encore.
Mais avant tout - selon moi, en tout cas -, c'est un poème ; étymologiquement, une création.
Un des rares films, dans l'histoire du cinéma, à avoir créé un monde, proche du nôtre et en même temps très éloigné des repères de notre société bourgeoise.
La petite aventure de Deckard, le tueur de Répliquants (d'androïdes, de créations génétiques vouées à diverses tâches peu ragoûtantes, bannies de la Terre et dotées d'une durée de vie particulièrement courte), Deckard qui à la fin, ayant rempli sa mission, découvre qu'il est lui-même un Répliquant, renvoie néanmoins à une grande aventure.
Celle-ci, c'est bien sûr celle de l'existence, de l'aventure intérieure, de la quête de soi.
Quête de soi à travers le "monde extérieur", ses lumières et ses reflets, ses plaisirs et surtout ses souffrances.
En ce sens, Blade Runner, film initiatique, me semble n'être qu'en apparence "d'un grand pessimisme".
Il illustre le fait que même abrégée, même déracinée, toute existence est une chance, un bienfait, malgré les vicissitudes et la mort.
C'est ce qu'incarne noblement le personnage de Roy Batty (le Répliquant des vidéos 2 et 3) qui, loin de se lamenter sur son sort, a, lui, dépassé la crainte.
Ce pourquoi il dit à Deckard suspendu, c'est le cas de le dire, à son bon vouloir et incarnation de la petitesse humaine : "Quelle expérience de vivre dans la peur ! Voilà ce que c'est que d'être un esclave..."
Il sauve cet ennemi, qui a pourtant tué tous ses compagnons, afin, en réalité, de lui laisser la possibilité de vivre ce que lui-même a vécu : le dépassement, la réalisation de sa nature (dans plusieurs scènes antérieures du film, les créateurs des Répliquants expriment leur admiration pour ce que leurs créatures sont devenues - ce qui devrait être le lot de tout homme, s'il ne préférait se vautrer dans la bassesse).
"Il est temps de mourir", n'est pas un nihilisme, pas une lamentation, même si le regret des quelques beautés de l'existence a été dit. C'est un adieu. Et la colombe qui s'envole, c'est l'âme pure de Roy Batty, de la "machine" devenue un véritable être humain.
Tout en brossant, dans des tons crépusculaires, un tableau magnifique de l'ultime décadence de la société occidentale (car les crépuscules ont leur esthétique), Blade Runner donne une leçon de sagesse.
Et de combat.
Écrit par : Boreas | 11/09/2010
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