La faiblesse de Poutine en Ukraine (04/09/2014)

 

« Si je veux, je peux prendre Kiev en deux semaines ». Cette déclaration de Poutine au Président de la Commission européenne Barroso, rapportée lors du sommet de samedi dernier, a glacé le sang dans les veines des membres de l'Union européenne.

La politique du Kremlin en Ukraine menace l'Europe depuis des mois, et pour beaucoup ceci est la démonstration [du bien-fondé, ndt] de l'opinion occidentale au sujet de la Russie. Cependant, ce pourrait être également la démonstration la plus claire de la faiblesse de Poutine.

Si Poutine s'est emparé de la Crimée en quelques jours (ce qui fut le cas) et pourrait vraiment arriver à Kiev en deux semaines (ce qui pourrait être le cas), alors pourquoi le Kremlin s'est-il laissé entraîner dans une guerre par procuration dans le Donbass, qui ne lui a pas apporté d'avantage jusqu'ici ? L'ATO, l'opération antiterroriste de Kiev pour reprendre le pouvoir dans les provinces orientales sous le contrôle des séparatistes, est allée de succès en succès au cours des deux derniers mois, depuis que la présidence de Porochenko et le renouvellement des chefs militaires ont donné une nouvelle impulsion. Novorossia, la fédération des républiques autoproclamées de Donetsk et Lougansk, s'est transformée en Nanorossia, dont les frontières coïncident à peine avec les banlieues des deux villes. De plus, tandis que l'engagement militaire de Moscou est chaque jour plus évident et difficile à nier (comme cela avait été le cas en Crimée avec les « petits hommes verts »), au-delà de quelques victoires remportées ces derniers jours, les forces séparatistes sont à une étape de la défaite. Poutine a envoyé quelques milliers de parachutistes dans une opération de « maskirovka » [camouflage, ndt] sur les rives de la mer d'Azov, mais il lui faudrait plus que cela pour inverser le résultat du conflit. La vérité est probablement que la Russie ne peut pas envahir l'Ukraine.

Des milliers de housses mortuaires

Certains aspects sont parfois négligés. Malgré l'écrasante supériorité militaire de la Russie, l'invasion de l'Ukraine requiert l'utilisation de ressources dont, peut-être, même Poutine ne peut pas disposer sans avoir de comptes à rendre à son cercle intérieur [du pouvoir, ndt]. Certainement, quelques milliers de parachutistes pour une opération camouflée ne suffiraient pas. Une invasion à grande échelle se heurterait à une dure résistance militaire (comme le suggèrent les succès de l'ATO et la participation massive de volontaires), mais aussi à une résistance civile. Les Ukrainiens ont prouvé lors des journées du Maïdan une formidable capacité d'organisation et de cohésion contre l'ennemi et, même maintenant, l'ATO ne pourrait pas agir correctement sans le soutien civil, des volontaires médicaux aux collecteurs de fonds pour l'armée. L'histoire de l'Ukraine est remplie de l'héroïsme des partisans contre l'envahisseur soviétique. Il est rapporté qu'il y a quelques jours, une source au ministère de l'Intérieur à Kiev a déclaré : « Laissons-les essayer de prendre Marioupol, ils verront revenir des camions remplis de housses mortuaires ». Les mères russes sont-elles prêtes à donner à Poutine d'autres jeunes vies, comme c'est arrivé en Tchétchénie ?

Il y a une autre option. Poutine peut ne pas être intéressé à envahir l'Ukraine, mais seulement à mettre la main sur le Donbass, ou même juste à garder le conflit gelé. Ne parlons pas des coûts et des avantages de l'annexion d'une région qui est économiquement dévastée, fortement dépeuplée, désindustrialisée et avec une infrastructure de réseaux à reconstruire : de nouveau, la Russie de Poutine pourrait ne pas avoir l'énergie nécessaire pour atteindre le but. Cela dépend de nous.

 

Mère Teresa et Al Capone

Alexandre Motyl, professeur à l'Université Rutgers du New Jersey et auteur de nombreux livres sur les affaires post-soviétiques, s'exprimant sur le blog audio de Brian Whitmore La verticale du pouvoir, a résumé la situation par une belle métaphore. « Il est clair que Poutine préfère la force aux négociations », a-t-il dit. « Si dans un jeu entre Mère Teresa et Al Capone, ce dernier fixe les règles, il gagnera ». Qui fait les règles du jeu ? Jusqu'ici, la Russie a incontestablement essayé d'imposer sa position par la force, mais la réponse occidentale a heureusement été de sens inverse, et avec quelques résultats. Malgré ce que répètent la plupart des interventionnistes, les sanctions européennes et américaines atteignent leur but et la preuve en est donnée par les contre-sanctions mises en place par la Russie. Si elles étaient, comme ils disent, inefficaces, elles ne nécessiteraient aucune réaction. L'isolement international dans lequel, malgré la propagande, Moscou s'enfonce, pourrait devenir un prix trop élevé.

La Lituanie et la Pologne, dont les relations historiques avec la Russie sont plutôt conflictuelles, auraient probablement déjà déclaré la guerre à la Russie. Mais l'Histoire ne se répète pas toujours. La comparaison avec l'Allemagne de 1938 n'a aucun sens car, s'il est vrai que le Troisième Reich aurait pu être arrêté par la force avant de devenir une puissance militaire, évitant une guerre qui coûta 70 millions de morts, il est également vrai que la Russie est déjà une puissance militaire - et aussi nucléaire. De même, de la comparaison avec 1989 et de la lutte des petits pays baltes contre le géant soviétique : quand des chars de Moscou les envahirent jusqu'à Vilnius pendant huit mois, personne ne fit la guerre à l'URSS et ni l'Europe ni l'OTAN n'envoyèrent leurs troupes.

Si des pays occidentaux intensifient le conflit, ils trouveront en Russie un joueur sans scrupules, toujours prêt à suivre. Mais si les règles du jeu sont faites par une Europe (et une Amérique) fermement déterminées à résoudre le conflit sans utiliser de force, le jeu peut s'avérer trop difficile, même pour Al Capone.

Source

Traduit de l'anglais par mes soins. Liens hypertexte ajoutés par moi. Reproduction autorisée sous réserve de citer verslarevolution.hautetfort.com en source.

22:17 Écrit par Boreas | Lien permanent | Tags : ukraine, russie, vladimir poutine, invasion russe, donbass, crimée, sanctions occidentales, puissance militaire russe, alexandre motyl |  Facebook | |  Imprimer | Pin it! |