Géopolitique russe (25/04/2014)

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Poutine ? Ici, une photo pour touristes à Moscou, entre un Nicolas II d'opérette et un drapeau à l'effigie de Staline

 

« (...) Les hommes, Poutine compris, viennent et passent, tandis que les alliances perdurent et dépassent les enjeux personnels. Pourquoi, par exemple, l’idée de Paris d’une union méditerranéenne n’est-elle pas passée ? Avant tout parce que les Allemands jugeaient qu’il n’y avait pas de bases matérielles pour un accord avec le Moyen-Orient, alors qu’ils estimaient que c’était le cas avec la Russie. Ils ont joué la carte du gaz et du pétrole contre la technologie occidentale et, pourquoi le cacher, celle des affinités dues aux racines chrétiennes des deux civilisations.

Deux événements doivent être mis en avant. D’une part, la Chine vient d’ouvrir la porte du Kazakhstan avec des accords dans tous les domaines. Les Russes sont absolument abasourdis de voir cette région basculer vers Pékin où elle exporte tout son pétrole. D’autre part, ils observent la remontée des courants islamistes dans tout le monde arabe. Le contexte affaiblit considérablement les partisans de la politique du front des mécontents, au moment même où le gouvernement Obama n’est plus en mesure de poursuivre sa politique de "cordon sanitaire" autour de la Russie, si tant est qu’il le veuille encore, ce qui n’est pas prouvé.

Reste l’autre question : la politique de Poutine a-t-elle abouti à l’installation d’une Union soviétique repensée différemment ? En d’autres termes, l’empire peut-il être rétabli, et sous quelle forme ? À cet égard, il convient de souligner que ses partenaires ne sont plus les mêmes. Complètement tournés vers l’Union européenne, les Pays baltes ne reviendront jamais en son sein.

À l’inverse, les pays musulmans d’Asie centrale et d’une partie du Caucase se sont réorientés. Grâce au président Ilham Aliev, homme d’une grande subtilité, l’Azerbaïdjan joue un rôle de bascule entre la Turquie et la Russie, mais ne tombera jamais ni d’un côté ni de l’autre.

Pour ce qui est des grands pays d’Asie centrale, rien n’est joué : par exemple, l’Ouzbékistan, qui est le plus important d’entre eux avec Samarkand, la ville historique, est gravement menacé par un courant islamiste et, défendant des intérêts vers le sud, entraîne la Turkménie et le Tadjikistan.

En revanche, le Kazakhstan, où l’islam est beaucoup moins fort et qui abrite une communauté russophone très importante, rompra d’autant moins avec la Russie que les Kazakhs craignent que la Chine ne finisse par les manger. Ainsi le Kazakhstan et la Biélorussie deviendront-ils les piliers de l’union eurasienne que Poutine lancera en 2015.

Il y a là des différences notoires et, en réalité, reconstituer l’Union soviétique, c’est revenir au point où elle en était quand Eltsine l’a abattue, à travers une alliance avec les dirigeants de la Biélorussie, plus le Kazakhstan, la Kirghizie, l’Arménie qui a toujours été un allié traditionnel de la Russie dans la région. Néanmoins, il faut dire que ce n’est déjà plus tout à fait l’Union soviétique.

Pour autant, les Russes ont gagné le cœur des orthodoxes slaves, c’est-à-dire, comme au XIXe siècle, des serbes et des Bulgares – le Monténégro est une colonie de l’oligarchie russe –, qui demeureront orientés vers la Russie par crainte de nouvelles puissances turques, de l’islam et par méfiance à l’égard du catholicisme slave des Croates ou autres.

Poutine a donc des cartes à jouer, mais dans un espace qui n’est plus exactement l’espace soviétique. Comment gérer cela ? La résolution de ce problème nécessitera de la subtilité et reposera objectivement d’un côté, sur le gaz et le pétrole et, de l’autre, sur les racines de l’Europe, de l’"Atlantique à l’Oural", qui représentent une base tout à fait viable face à des dangers communs. Cela étant, je reste des plus circonspects face au système Poutine, même si je considère qu’il est au final contreproductif.

Avant sa destitution comme dans les premières années de son arrivée au pouvoir, Gorbatchev a eu la possibilité de s’appuyer sur la classe moyenne des grandes villes russes, profondément pro-européenne, et de faire évoluer la Russie en ce sens. Il a fait un autre choix qui a consisté à créer un système oligarchique, au prix d’une corruption effrénée, et qui a privé le pays de tout véritable débat d’idées et des libertés fondamentales d’expression. Humainement, politiquement, géopolitiquement, durant toutes ces années le pays a régressé… Pourtant, Poutine tient le même discours sur l’intelligentsia technique : c’est notamment de lui que vient l’idée d’une ville moderne pour l’informatique, Skolkovo, projet qui n’est nullement le fruit de l’oligarchie. Comme le disait la Rochefoucauld : "l’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu…" Et ce n’est pas si mauvais signe !

Certes, la politique est une forme de théâtre, mais le système a tellement été verrouillé que la grisaille, le plomb, et la cendre se sont abattus sur la Russie. (...) »

Vladimir Fédorovski

00:44 Écrit par Boreas | Lien permanent | Tags : vladimir fédorovski, russie, empire, union soviétique, urss, union eurasienne, vladimir poutine, boris eltsine, mikhaïl gorbatchev, chine, kazakhstan, pétrole, islamistes, islamisme, etats-unis, pays baltes, caucase, asie centrale, azerbaïdjan, turquie, ouzbékistan, biélorussie, orthodoxie, catholicisme, slaves, europe, oligarchie, skolkovo |  Facebook | |  Imprimer | Pin it! |