Comment la Russie gagne la guerre de la propagande (11/06/2014)

Pauvre Poutine, manifestement méprisé par les médias...

 

Puisque certains poutinophiles, selon lesquels les médias occidentaux mentent à 100% (!) alors que les médias d'Etat russes seraient parole d'évangile, trouvent crédible, parce que cela les arrange, un article du torchon à sensation Bild am Sonntag affirmant que des mercenaires américains opéreraient en Ukraine, ils ne s'offusqueront pas que je traduise (voir plus bas) une analyse du Spiegel, journal allemand autrement plus sérieux...

On a confirmation, en lisant cette analyse et si l'on n'est pas dupe du discours patriotique du pouvoir, que les médias d'Etat russes sont considérés par le régime de Poutine comme des outils pour la guerre de quatrième génération et traités comme tels, avec un financement conséquent et des objectifs définis.

Dès lors, est encore une fois amusante ou pitoyable, au choix, la rhétorique des empoutinés français qui présentent la propagande russe comme un petit poucet face au mastodonte médiatique occidental (toujours vu comme un monolithe menaçant, dans la droite ligne du binarisme obsidional habituel en la matière). Par ailleurs, si le soft power occidental était si unitaire et si puissant, ce n'est pas moi qui aurais eu à traduire l'article qui suit. Les gros médias français se seraient empressé de le faire.

Il serait intéressant de disposer d'une analyse des médias chinois semblable à celle que fait le Spiegel des médias russes car, là aussi, des grandes manoeuvres sont en cours. Bientôt, les chevaliers blancs de la dénonciation à sens unique d'un Occident caricatural décalqué des schémas soralo-meyssaniens auront peut-être, ironie de l'Histoire, à défendre contre des mensonges d'Etats étrangers une vérité plus nuancée que leur représentation actuelle. Ce qui pourrait impliquer autre chose que des mots...

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Les faiseurs d'opinion : comment la Russie gagne la guerre de la propagande

Avec l'aide d'agences de presse comme RT et Ruptly, le Kremlin cherche à remettre en forme la manière dont le monde pense à la Russie. Et cela a été extrêmement réussi : Vladimir Poutine a gagné la guerre de la propagande sur l'Ukraine et l'Ouest est divisé.

Ivan Rodionov est assis dans son bureau de la Postdamer Platz à Berlin et semble savourer son rôle de mauvais garçon. Dans un allemand presque sans accent, d'une voix calme mais tranchante, il peste contre les médias germaniques dont il prétend qu'ils ont donné dans l'« inflexible », s'agissant de leur couverture de la crise ukrainienne. Lors de ses récentes apparitions dans deux des principales émissions de débat allemandes, Rodionov a contesté les allégations selon lesquelles des soldats russes avaient infiltré la Crimée avant le référendum controversé et l'annexion de la région par la Russie. Il affirme que ce sont « les vues radicales de droite » du gouvernement de Kiev, et non la Russie, qui constituent la menace. « Les politiciens occidentaux », dit-il, « aident directement ou au moins approuvent  ».

Rodionov défend le Président Vladimir Poutine avec tant de véhémence que l'on pourrait être pardonné de le confondre avec un porte-parole du Kremlin. Mais Rodionov se considère lui-même comme un journaliste. A 49 ans, il dirige l'agence de presse vidéo Ruptly, fondée il y a un an et financée par le gouvernement russe. Ses bureaux, au huitième étage de l'immeuble, ont une vue dégagée sur le Reichstag, siège du Parlement de l'Allemagne. C'est un emplacement chic et le Kremlin ne semble pas se soucier de dépenser pas mal d'argent pour diffuser d'ici sa vision du monde. Environ 110 personnes venues d'Espagne, de Grande-Bretagne, de Russie et de Pologne travaillent jour et nuit dans l'espace de ces bureaux répartis sur trois niveaux, à des vidéos qui sont ensuite proposées aux médias internationaux.

Au premier coup d'œil, il n'est pas évident que Ruptly soit en réalité Télé Kremlin. En plus des discours de Poutine, de nombreux autres clips vidéo sont également disponibles dans ses archives, allant des Pussy Riot à des arrestations de membres de l'opposition russe. Quand il s'agit de l'Ukraine orientale, cependant, l'agence propose presque exclusivement des vidéos favorables aux partisans pro-russes de la « République Populaire de Donetsk », fondée par des séparatistes. Vous trouverez aussi des radicaux de droite comme le britannique Nick Griffin ou l'extrémiste de droite allemand Olaf Rose, un idéologue du Parti National-Démocrate (NPD), néo-nazi, agitant la haine de l'Union européenne et de sa politique ukrainienne.

Propager la position du Kremlin

Rodionov affirme que, depuis sa fondation, Ruptly a attiré 14 abonnés et plus de 200 clients, y compris des opérateurs de télévision allemands « tant publics que privés ». Les subventions de Moscou permettent à Ruptly de proposer des vidéos de professionnels à des prix inférieurs à ceux de la concurrence privée.

La bataille de l'Ukraine est menée avec des moyens divers - avec des mots durs et de la diplomatie douce, avec du gaz naturel, des armes et des services de renseignement. Mais peut-être les plus importants instruments déployés par Moscou sont-ils Internet, les journaux et la télévision, y compris des journalistes prétendument neutres et des experts dépêchés dans le monde entier pour propager la position du Kremlin.

« Nous sommes au milieu d'une guerre de propagande implacable », affirme Andrew Weiss, vice-président des études à la Fondation Carnegie pour la Paix Internationale, un groupe de réflexion influent de Washington. Weiss décrit cette propagande comme un outil crucial utilisé par la Russie pour mener sa politique étrangère.

Moscou regarde au-delà du court terme, cherchant à influencer l'opinion sur la longue durée pour créer « un discours alternatif dans les pays occidentaux également », dit Margarita Simonian, rédactrice en chef de RT, opérateur de télévision du Kremlin à l'international, autrefois connu sous le nom de Russia Today, propriétaire de Ruptly.

Le Kremlin investit environ 100 millions d'euros (136 millions de dollars) par an dans les médias russes à l'étranger pour influencer l'opinion publique à l'Ouest [Quant au budget de RT, il est de 300 millions de dollars, ndt]. Cet effort aide aussi à expliquer pourquoi Poutine s'est adressé directement aux Allemands dans son discours sur l'annexion de la Crimée. Rappelant que le Kremlin avait appuyé le processus de réunification de l'Allemagne, il a invité les Allemands à soutenir la réunification de la Russie avec la Crimée. La popularité de Poutine en Allemagne a baissé régulièrement au fil des ans, mais sa vision du monde reste plutôt populaire.

Une avance médiatique triomphante

Des sources au sein du Kremlin expriment ces jours-ci leur satisfaction en parlant de la politique de l'information de Moscou. « Nous pouvons avoir gagné la guerre de Géorgie en 2008, mais nous avons perdu, de beaucoup, la bataille de la propagande contre l'Amérique et l'Ouest », dit l'une d'elles. « Cependant, grâce à RT et à Internet, nous réduisons maintenant l'écart ».

Tandis que Ruptly cherche à se poser en alternative à Reuters et à Associated Press dans la fourniture de séquences vidéo, RT s'est déjà installée avec succès, en neuf ans depuis sa création, surpassant même récemment CNN quant au nombre de vues sur YouTube. Avec près de 1,2 milliard de vues, la BBC est le seul média à devancer RT. En Grande-Bretagne, RT compte plus de spectateurs que la chaîne d'information européenne Euronews et dans quelques grandes villes américaines, elle est le plus consulté de tous les opérateurs de télévision étrangers. Les 2.500 salariés de RT réalisent et diffusent en russe, en anglais, en espagnol et en arabe, l'allemand devant être ajouté bientôt.

L'avance triomphante de l'opérateur de télévision de Poutine a commencé dans une ancienne usine au nord-est de Moscou. La fondatrice et rédactrice en chef de RT, Margarita Simonian, avait seulement 25 ans à l'époque où Poutine la nomma en 2005. Sa mission telle que fixée par le président russe : « briser le monopole des mass-médias anglo-saxons ».

C'est un mandat qu'elle a poursuivi avec succès depuis. « Il y a une grande demande pour des médias qui ne se contentent pas de dupliquer comme des perroquets la pâte à papier uniforme de la presse occidentale », dit Margarita Simonian. « Même dans les pays Occidentaux ». RT donne aux représentants des pro-russes de l'Ukraine Orientale beaucoup plus de temps d'antenne qu'aux partisans du gouvernement de Kiev et même Margarita Simonian ne conteste pas ce fait. « Nous sommes quelque chose comme le Ministère russe de la Défense de l'Information », disent ses collaborateurs, non sans fierté.

Ruptly et RT sont seulement les plus visibles des instruments utilisés par le Kremlin. D'autres méthodes de propagande exploitées peuvent être moins évidentes.

Par exemple, quand des émissions de débat allemandes invitent des journalistes russes à parler de la crise de l'Ukraine, ce sont presque toujours des experts qui pourraient avoir été tirés directement du ministère de la propagande du Kremlin. Les programmateurs, bien sûr, aiment inviter ces intervenants parce qu'ils génèrent de la provocation et des débats animés. Mais cela vient aussi du fait que les experts critiques de leur gouvernement ne veulent pas parler ou sont empêchés de le faire. Prenez l'exemple de Sergueï Sumlenny, qui a été jusqu'en janvier le correspondant allemand du magazine économique russe Expert. Dès le début, il est souvent apparu dans des émissions de débat allemandes, critiquant intelligemment et de manière tranchante la politique de Poutine. Il a entre-temps été renvoyé du magazine.

A sa place, la perspective russe est maintenant représentée dans les émissions de débat allemandes par des gens comme Anna Rose, qui est généralement annoncée comme un correspondant de la Rossiyskaya Gazeta, ou Gazette russe. Le nom semble assez inoffensif, mais les sourcils devraient se lever immédiatement quand cette journaliste russe « sérieuse » commence à prétendre que l'armée ukrainienne pourrait viser « des femmes et des enfants » et qu'il est nécessaire que des soldats russes les protègent. Ses positions deviennent soudain plus compréhensibles, quand on sait que la Rossiyskaya Gazeta est le journal officiel du gouvernement russe.

Manipulation de commentaires et réseaux sociaux

Ceux qui lisent les commentaires postés sous les articles relatifs à l'Ukraine sur des sites d'information, auront remarqué ces derniers mois qu'ils ont été remplis de messages qui semblent toujours suivre la même ligne d'argumentation. Le quotidien économique moscovite indépendant Vedomosti a rapporté récemment que, depuis le début de la crise ukrainienne, l'administration présidentielle à Moscou a testé l'opinion publique aux États-Unis et en Europe, pour déterminer comment elle peut être manipulée en utilisant Internet et les réseaux sociaux. Le journal a signalé que la plupart des posteurs de commentaires professionnels actifs en Allemagne sont des immigrés russes qui soumettent leurs commentaires pro-russes sur Facebook et sur des sites d'information.

De plus, des journalistes et rédacteurs de publications et sites allemands rapportent recevoir des lettres et courriers électroniques leur proposant « des informations explosives sur la crise ukrainienne », à un rythme quasi-quotidien. Les « sources » mentionnent souvent qu'elles ont des preuves de la nature droitière du gouvernement de Kiev, qu'elles aimeraient fournir aux journalistes. Les lettres sont écrites en allemand, mais paraissent inclure des traductions littérales d'expressions russes. Elles semblent avoir été écrites par des locuteurs de langue maternelle russe.

D'autres formes de propagande ont également été déployées ces derniers mois. Par exemple, il y a eu de fréquentes incidences de conversations interceptées de diplomates occidentaux ou de politiciens de Kiev, devenant publiées d'une manière qui serve les intérêts de la Russie. Du « Fuck the EU » [« Que l'UE aille se faire foutre », ndt], déclaration de Victoria Nuland, responsable de la diplomatie américaine en Europe [Sous-secrétaire d'État pour l'Europe et l'Eurasie, ndt], jusqu'à des déclarations faites par le ministre estonien des Affaires Étrangères, apparemment censées prouver qui était responsable de la mort de protestataires sur la place Maïdan. Les médias russes ont aussi paru prendre plaisir à rapporter, à la mi-avril, que le Directeur de la CIA John Brennan s'était rendu à Kiev.

Il est hautement probable que ces informations confidentielles et le contenu des communications interceptées aient été diffusés par les services de renseignement russes. Les officiels des services de renseignements occidentaux supposent que même les communications cryptées de l'armée ukrainienne sont interceptées par les Russes.

Source

Traduction par mes soins. Reproduction autorisée sous réserve de citer verslarevolution.hautetfort.com en source.

(N.B. : la deuxième partie est en cours de traduction. Je l'ajouterai dès que possible.)

23:58 Écrit par Boreas | Lien permanent | Tags : russie, vladimir poutine, guerre, propagande, spiegel, ukraine, médias, soft power, rt, ruptly, chine |  Facebook | |  Imprimer | Pin it! |