Effet boomerang (27/08/2014)
Ukraine : l’opinion publique bascule sur les options stratégiques du pays
Alors que le pays passe son 23ème anniversaire en état de mobilisation, les options de la population ont radicalement changé en quelques mois, qu’il s’agisse de son attitude envers l’indépendance, en faveur d’un rapprochement de l’OTAN, du Traité de Tachkent, d’un statut de non-aligné ou pour le retour à un Etat nucléaire.
Les sociologues ne s’étonnent guère que les sondages en faveur de l’indépendance plafonnent ces temps-ci aux alentours de 90 % [1]. Cette brusque remontée coïncide avec l’annexion de la Crimée. Depuis 20 ans, la cote de popularité de l’indépendance a fluctué principalement en fonction des menaces de la Russie.
L’indépendance fut plébiscitée pour la première fois le 1er décembre 1991, lors du référendum organisé en même temps que la première élection présidentielle. Les votes en faveur de l’indépendance remportèrent l’adhésion de l’ensemble du pays avec des suffrages supérieurs à 50 % dans toutes les régions ; même la Crimée avait alors voté à hauteur de 54,6 %.
Cet élan va stagner durant les deux années suivantes avant de connaître une brusque remontée avec le début de la guerre en Tchétchénie. Une nouvelle stagnation est enregistrée en 1997/1998, puis une nouvelle poussée au moment de la 2ème guerre en Tchétchénie.
DES LIENS AMICAUX, MAIS PAS D’UNION
Un autre phénomène à la périphérie du pays va faire grimper la « fièvre » indépendantiste : le conflit autour de la presqu’île de Touzla [2] (Crimée) à l’automne 2003 : en un mois, les sondages favorables à l’indépendance passent de 71 à 77 %, puis retombent après la résolution du conflit.
Un nouveau pic a lieu au moment de l’intervention russe en Géorgie - les sondages favorables à l’indépendance passent de 72 % à 83 % -, puis vont de nouveau se stabiliser jusqu’aux derniers événements de 2013/2014.
Les périodes durant lesquelles stagnait la tendance en faveur de l’indépendance, étaient celles où le régime ukrainien en place établissait une relation davantage consentante avec la Russie. Ce fut le cas durant le mandat du président Koutchma (1999-2004), puis avec la présidence Ianoukovitch (2010-2014). « Cet électorat, note le sociologue Valery Khmelko [3], soutenait une Ukraine indépendante qui conserve des liens amicaux avec la Russie, mais sans s’unir à elle ».
L’OTAN OU LE TRAITE DE TACHKENT ?
Face à la violence du conflit, la vision de la défense stratégique du pays a changé radicalement au sein de la population [4].
Entre août 2012 et mai 2014, les partisans d’une adhésion à l’OTAN sont passés de 12 à 41 %, s’accroissant de mois en mois.
Dans le même temps, le Traité de sécurité collective dit de Tachkent [5] (1992), ne rassemble plus que 16 % d’opinions favorables et 28 % d’indécis.
Les disparités des opinions selon les régions restent tranchées : 69 % des sondés de l’Ouest de l’Ukraine se déclarent en faveur de l’OTAN, tandis que l’Est du pays s’y oppose à 62 % et le Donbass à 83 %.
Les options politiques sont un marquage important et parfois se superposent aux disparités géographiques [6]. Se déclarent en faveur du Traité de Tachkent, l’électorat du Parti des Régions à 55 % et celui du Parti communiste d’Ukraine à 47 %.
NON-ALIGNE OU RENUCLEARISE ?
Le statut de non-aligné pour l’Ukraine ne remporte plus les suffrages enregistrés avant le conflit : depuis avril 2012, il est tombé de 42 % d’opinion favorable à 28 %.
Quant à la question d’un retour du pays à son statut de puissance nucléaire [7], 43 % des sondés y seraient favorables, 37 % contre et 20 % restent indécis.
Mais 39 % reconnaissent que la manœuvre est difficilement réalisable.
[1] Les sondages ont été fait sur l’ensemble du territoire à l’exception de la Crimée et du Donbass.
[2] L’initiative russe de construire une digue entre la péninsule de Taman et l’île de Touzla fait resurgir la question des frontières entre les deux pays Selon Moscou, il s’agit d’un simple projet écologique destiné à protéger le rivage russe de l’érosion. Kiev, au contraire, invoque un accord local conclu du temps de l’URSS qui place l’île sous sa juridiction
[3] « Kyiv International Institute of Sociology » (KIIS) Zerkalo Nedeli, 21 août 2014
http://gazeta.zn.ua/socium/ukrainskaya-nezavisimost-i-reg...
http://zn.ua/UKRAINE/podderzhka-nezavisimosti-ukrainy-vyr...
[4] Enquête nationale de sondage d’opinion réalisée par « Initiatives démocratiques » du 14 au 18 mai dans toutes les régions d’Ukraine, sauf en Crimée http://dif.org.ua/en/polls/2014_polls/stavlen-bezpeki-.htm
[5] Organisation politico-militaire regroupant la Russie, la Biélorussie, l’Arménie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan
[6] Le Parti des Régions et le Parti communiste sont ultra-majoritaires à l’Est du pays, en particulier dans le Donbass.
[7] En 1994, les Etats-Unis, la Russie, la Grande-Bretagne et l’Ukraine signent un protocole sur les garanties de sécurité après l’abandon par l’Ukraine de ses armes nucléaires.
Le 20 mai 2014, après l’annexion de la Crimée, Medvedev déclare que la Russie n’a jamais garanti l’intégrité territoriale de l’Ukraine.
21:19 Écrit par Boreas | Lien permanent | Tags : ukraine, sondages, opinion publique, otan, traité de tachkent, statut de non-aligné, arme nucléaire, crimée, russie | Facebook | | Imprimer | |
Commentaires
"Entre août 2012 et mai 2014, les partisans d’une adhésion à l’OTAN sont passés de 12 à 41 %, s’accroissant de mois en mois."
Poutine pousse l'Ukraine vers l'OTAN.
"[1] Les sondages ont été fait sur l’ensemble du territoire à l’exception de la Crimée et du Donbass."
Ca c'est dommage, mais on comprend pourquoi, évidemment.
Il y a d'autres priorités...
Et je ne crois pas que ça changerait beaucoup les résultats, statistiquement parlant. Si ?
Écrit par : Carine | 27/08/2014
Non, ça ne changerait pas beaucoup les résultats. Il doit y avoir dans les 2 millions d'habitants dans la petite zone du Donbass contrôlée par les terroristes, sur 46 millions d'Ukrainiens.
Et évidemment, on ne peut guère y organiser de sondage sans risquer de se faire trucider, donc...
Quant à la Crimée, zone occupée. Impossible également.
Écrit par : Boreas | 27/08/2014
Oui mais sauf que sans ce réservoir de voix acquis au candidat pro-russe, le Kremlin a définitivement perdu tout espoir de voir arriver un autre président à sa botte à Kiev.
Écrit par : tarkan | 27/08/2014
Tarkan
Pour l'instant, il n'y a que (façon de parler) la Crimée qui soit perdue.
Et qui sait, peut-être momentanément.
L'Histoire a de ces revirements !
Écrit par : Carine | 27/08/2014
Oui Carine, je sais, mais je suis réaliste, si le Donbass peut être sauver pour le moment, pas la Crimée...
Le jour où la Russie sera à terre, les ukrainiens sauront s'en souvenir à ce moment là... La roue de l'histoire est pleine de surprise.
Ceci dit, je voulais dire que de façon démocratique, il est devenu impossible de faire parvenir un pro-russe à la présidence de Kiev. C'est une conséquence directe de cette annexion car les élections ont toujours été très serrés. Yanou avait été élu avec quoi? 51-52%? Tu enlèves les 2 millions de serfs de Crimée qui ont changé de seigneurs et ça bascule durablement...
Écrit par : tarkan | 28/08/2014