L'Iran drogué (22/08/2014)

Source : UNODC World Drug Report 2010

 

(...) Si Marx était né en Iran, il aurait pu dire que l’opium est l’opium du peuple. L’Iran est le plus grand consommateur d’opium dans le monde. Selon des estimations, 4 tonnes d’opium seraient consommées quotidiennement à Téhéran. La tradition perdure depuis des décennies et bien avant la révolution de 1979.

Toutes les couches sociales en consomment, l’ouvrier y cherche de la force pour travailler, le chauffeur routier le consomme pour rester éveillé la nuit, l’artiste et l’écrivain y cherchent l’inspiration, le religieux en prend avant son prêche, le riche en fait son meilleur loisir, le libidineux fait l’éloge de ses effets érotiques et tous les politiciens sont soupçonnés par le peuple d’en consommer.

La manière de le consommer dit beaucoup sur l’origine sociale. Hossein m’explique : « Fumer avec une pipe traditionnelle, c’est la façon royale, car il faut beaucoup de temps et plus d’opium. Ceux qui ont moins de moyens chauffent l’opium avec une épingle en fer et inhalent directement la fumée, les plus pauvres mangent le "sookhté" (le brûlé en persan), le résidu récupéré dans la pipe après la consommation. »

C’est d’ailleurs avec le « sookhté » que les Iraniens sont tombés dans le piège de l’opium au XIXe siècle. A l’époque, les Anglais s’étaient lancés dans le juteux commerce de l’opium à travers le monde. Avec la complicité de la monarchie, ils ont encouragé les agriculteurs à planter du pavot plutôt que du blé. Et pour pousser à la consommation, le gouvernement achetait à un prix très intéressant le « sookhté ». C’est ainsi que l’opium se propage très rapidement dans la Perse. Sven Hedin, géographe et explorateur suédois, de passage à Téhéran à la fin du XIXe, résume : « Téhéran est une ville ou l’Orient insouciant fait la sieste sous l’effet de la drogue anesthésiante de l’Occident ».

Jusqu’en 1950, la consommation d’opium était tolérée, on comptait à l'époque une cinquantaine de fumeries publiques à Téhéran. Ensuite, malgré les premières lois restrictives, l’Iran a continué à produire une grande quantité d’opium pour sa propre consommation, le gouvernement du Shah distribuait d’ailleurs des coupons avec lesquels les vieux opiomanes pouvaient en retirer à la pharmacie. Ce n’est qu’après la Révolution, en 1979, que la production d’opium devient interdite. L’opium rentre alors par les frontières de l’Afghanistan et son prix reste relativement très abordable, environ un euro les cinq grammes.

Aujourd’hui, la société iranienne, en pleine mutation, change d’addiction, sans pour autant abandonner l’opium. Le « chiché » (verre en persan) est la nouvelle drogue en vogue. Moins chère, elle se consomme plus discrètement car sans odeur, elle possède aussi des effets beaucoup plus fort et plus longs. Il s’agit en fait de méthamphétamine, plus connu en Occident sous le nom de methcrystal ou ice. L’augmentation de la consommation de cette drogue a été fulgurante. Selon les chiffres de l’ONU, l’Iran est aujourd’hui le cinquième pays consommateur mondial de cette drogue. Les ateliers clandestins prolifèrent et se sont même mis à en exporter vers l’Asie. Rien qu’en Malaisie, 79 Iraniens sont dans le couloir de la mort après avoir été arrêtés pour son trafic, des gens issus de milieux très pauvres qui ont accepté le transport de la drogue pour des récompenses dérisoires.

Ali a commencé à fumer du chiché pour mieux travailler dans son resto : « la première fois je n’ai pas dormi pendant 48 heures et j’ai travaillé sans ressentir le moindre signe de fatigue ». Si les effets de chiché sont beaucoup plus longs et intenses que l’opium, l’effet à long terme est dévastateur sur le plan physique et psychologique. Une fois dépendant, Ali ne dort plus, il devient de plus en plus agressif et soupçonneux : « Je me disputais sans arrêt avec ma femme, j’ai commencé à maigrir horriblement et j’avais même des hallucinations. » Depuis six mois, il essaye de décrocher avec l’aide d’un centre spécialisé.

L’Iran est en passe de devenir le plus grand consommateur de drogue dans le monde. Selon le ministre de la Santé, onze Iraniens meurent chaque jour à cause de la drogue. La République islamique a mis de très grands moyens pour lutter contre le trafic de drogue, ces efforts ont été encouragés par l'ONU, mais ni les saisies massives de drogue, ni la politique ultra-répressive avec condamnations à mort des trafiquants ne semblent porter leurs fruits. Selon les autorités, il faut en moyenne 4 minutes pour trouver de la drogue à Téhéran, à des prix dérisoires. Le nombre de dépendants ne cesse d’augmenter. Le problème, c’est que l’aspect social et préventif de la drogue est encore relativement occulté en Iran. Lutter efficacement contre la drogue suppose de prendre en compte le chômage massif de la jeunesse, [son] manque d’espoir et de perspective dans l’avenir et d’en finir avec les restrictions de [ses] loisirs et de [son] divertissement.

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19:32 Écrit par Boreas | Lien permanent | Tags : iran, drogue, opium, méthamphétamine |  Facebook | |  Imprimer | Pin it! |