La science de Camille Flammarion (08/09/2012)

 

« (...) La merveilleuse organisation du monde ne vous force-t-elle donc pas à avouer l'existence de l'Etre suprême ? Et d'ailleurs, en vérité, nous nous sommes souvent demandé pourquoi l'on se refuse si obstinément à reconnaître cette existence. Quels sont donc les avantages de l'athéisme ? En quoi peut-il être préférable au théisme ? Qu'est-ce que l'humanité peut gagner à être désormais privée de la croyance en Dieu ? Lequel est le meilleur, de l'homme qui croit et de celui qui ne croit pas ? Est-ce donc un acte de si grande faiblesse que d'être logique avec sa conscience ? Est-ce donc une faute si grave que d'avoir du sens commun ? Peut-être les esprits forts qui escaladent le ciel sur une échelle de paradoxes, croient-ils monter bien haut ! mais ils se tromperaient fort, car leur ascension ressemble à celle de l'épreuve maçonnique antique, dans laquelle l'initié gravissait une échelle de cent cinquante marches qui descendait à mesure, de sorte qu'au sommet de son ascension, au moment de s'élancer dans le vide, il avait à peine quitté le sol. Non, messieurs, votre escalade n'est pas plus terrible que celle-là, seulement elle peut porter de mauvais fruits chez les hommes à vue étroite qui ne s'aperçoivent pas de votre erreur et vous prennent pour les phénix de la science. Si votre illusion était agréable, si vos doctrines étaient consolantes, si vos idées étaient capables d'exciter l'émulation de l'humanité pensante et de l'élever vers un idéal suprême, on vous pardonnerait peut-être ce médicament. Mais, où voyez-vous qu'une saine croyance en Dieu ait été funeste à l'esprit humain ? Où voyez-vous que la connaissance du vrai ait rendu les cerveaux malades ? En dépouillant l'humanité de son plus précieux trésor, en exilant la vie de l'univers, en chassant l'esprit de la nature, en n'admettant plus qu'une matière aveugle et des forces borgnes, vous privez la famille humaine de son père, vous privez le monde de son principe et de sa fin ; le génie et la vertu, reflets d'une splendeur plus éclatante, s'éclipsent avec le principe de la lumière, et le monde moral, comme le monde physique, ne sont plus qu'un immense chaos, digne de la nuit primitive d'Épicure.

Mais l'athéisme absolu ne peut être qu'une folie nominale, et l'esprit le plus négateur ne peut en réalité qu'attribuer à la matière ce qui appartient à l'esprit, et se créer un dieu-matière à son image. Ainsi, nous venons de le voir, depuis le panthéisme ondoyant et mystique jusqu'à l'athéisme le plus rigoureux, les erreurs humaines, sur la conception de la personnalité divine, n'ont pu que voiler ou dénaturer la révélation de l'univers, mais non l'anéantir. Notre Dieu de la nature reste inattaquable au sein de la nature même, force intime et universelle gouvernant chaque atome de matière, formant les organismes et les mondes, principe et fin des créations qui passent, lumière incréée, brillant dans le monde invisible et vers laquelle les âmes se dirigent en oscillant, comme l'aiguille aimantée qui ne trouve son repos que lorsqu'elle s'est identifiée avec le plan du pôle magnétique.

En arrivant au terme de notre travail, arrêtons-nous un instant ensemble pour bien nous pénétrer des vérités acquises en notre discussion, et garder la véritable impression que doit laisser en nous ce plaidoyer scientifique. Il y a aujourd'hui dans le monde deux grandes erreurs, aussi vives et aussi profondes qu'aux âges les plus ténébreux du paganisme, qu'aux époques reculées où l'intelligence humaine n'était encore parvenue à aucune conception exacte de la nature. Ces deux erreurs, nous les avons parallèlement combattues, sont : d'un côté, l'athéisme, qui nie l'existence de l'esprit dans la création ; de l'autre, la superstition religieuse qui se crée un petit Dieu à sa ressemblance et fait de l'univers une lanterne magique à l'usage de l'homme. Comme ces deux erreurs, aussi funestes l'une que l'autre, quoique la première ait un air d'indifférence et que la seconde soit essentiellement orgueilleuse, cherchent maintenant à s'appuyer l'une et l'autre sur les principes solides de la science contemporaine, nous nous sommes imposé le devoir de montrer qu'elles ne peuvent revendiquer ces principes en leur faveur, qu'elles restent fatalement isolées de la science positive, et qu'elles chancellent sous le souffle des moindres discussions, comme d'enfantins échafaudages, tandis qu'au milieu demeure et se continue la ligne droite du spiritualisme scientifique.

Résumons notre argumentation. – Nous avons d'abord constaté, en établissant la position du problème, que la question générale se résume à distinguer la force et la matière, et à examimer si dans la nature c'est la matière qui est souveraine de la force ou si c'est la force qui régit la matière. Les affirmations des matérialistes nous ont paru dès le premier aspect purement arbitraires et de simples pétitions de principes faciles à démasquer.

Notre examen du rôle de la force dans la nature a commencé par le panorama des grandeurs célestes. Nous avons vu que dans l'immensité de l'espace les mondes sont gouvernés par la loi, par la loi mathématique, et que c'est à l'exécution de cette loi que l'on doit l'harmonie des mouvements célestes, la fécondité des astres, l'entretien des êtres vivants à leur surface, la vie et la beauté de l'univers. La matière inerte ne nous ayant pas paru capable de comprendre et d'appliquer le calcul infinitésimal, nous avons conclu que l'ordre numérique de l'organisation astronomique est dû à un esprit, supérieur sans doute à celui des astronomes qui ont découvert la formule de ces lois. Les objections qu'on nous oppose ont réfuté d'elles-mêmes leurs puérilités réciproques.

L'examen des lois qui président aux combinaisons chimiques, du rôle de la géométrie et de l'algèbre dans l'infiniment petit, des forces qui régissent les phénomènes du monde inorganique et ordonnent les voyages des atomes, de l'harmonie révélée dans les vibrations de la lumière comme dans celle du son, et du premier éveil de la force organique dans le monde des plantes, nous a démontré que sur la Terre comme dans le ciel une intelligence inconnue ordonne l'arrangement du monde, en constitue la grandeur et la beauté.

Cet établissement de la théorie véritable des rapports entre la force et la matière a pour épigraphe l'ancienne devise des Pythagoriciens : les Nombres régissent le monde.

Pénétrant alors dans le domaine de la vie, le premier aspect qui domina notre contemplation fut l'unité en laquelle tous les êtres sont enveloppés. La substance des êtres nous a bientôt paru ne pas leur appartenir en propre et passer incessamment de l'un à l'autre, l'organisation vitale de notre planète ayant l'air pour médium. Les procédés de la respiration et de l'alimentation nous ont montré la solidarité qui relie les animaux aux plantes. Le corps humain s'est présenté à nous se transformant sans cesse. Le grand phénomène de la circulation de la matière a établi que l'existence d'une force centrale constituant la vie dans chaque être est absolument nécessaire pour expliquer la permanence de l'organisme, l'équilibre des fonctions vitales, l'existence même. Cette force organique ne peut se transmettre que par la génération. L'exposé des dernières conquêtes de la chimie organique a continué l'affirmation de la force comme la physiologie l'avait établi.

Remontant alors au delà de la vie actuelle, à l'origine des êtres sur la Terre, la cause du spiritualisme a révélé progressivement sa nécessité et sa vérité. Nous avons comparé l'ancienne hypothèse matérialiste de la création à la nouvelle, et nous avons trouvé qu'elles ne font qu'une et sont insuffisantes. La même recherche nous a conduits au problème non résolu des générations spontanées. Le point particulier de la question fut de constater que dans l'hypothèse même de la matière s'organisant elle-même, la théologie naturelle n'est pas en cause, et que la force directrice garde son absolue nécessité. Nous avons vu, au surplus, que ce ne sont pas les maîtres qui opposent leurs théories à l'admission de Dieu, mais seulement les disciples inexpérimentés : la loi règne dans la transformation des espèces, dans leur progression comme dans leur création séparée. Et quant à l'homme lui-même, nous avons vu que sa place caractéristique dans la création est moins son caractère anatomique que sa valeur intellectuelle considérée dans sa raison et dans le progrès dont il est capable.

Cette étude générale sur la vie terrestre a pour épigraphe la proposition fondamentale de l'œuvre d'Aristote : L'âme est la cause efficiente et le principe organisateur du corps vivant.

Mais c'est surtout dans l'homme lui-même que nous avons reconnu avec évidence l'inattaquable souveraineté de la force. Notre examen du cerveau a fait justice d'abord de l'illusion des métaphysiciens qui dédaignent le laboratoire et la dissection, et croient tenir la nature dans une définition ; il a établi les rapports du cerveau et de la pensée, et montré que la composition du cerveau, sa forme, son volume et son poids, sont loin d'être étrangers à l'âme. L'action de l'esprit sur Ie cerveau est alors sortie intègre de la physiologie, et s'est affirmée dans sa valeur réelle. Les hypothèses qui ont pour but d'assimiler la pensée à une sécrétion de la substance cérébrale ou à un mouvement des nerfs, ont laissé surprendre leur faiblesse. La présence de l'âme nous est apparue dans le phénomène de la folie même. Le génie a été pour nous la plus haute manifestation de la faculté de penser.

La personnalité humaine est venue ensuite s'affirmer dans sa valeur. Nous avons vu que nous existons réellement, et que nous ne sommes pas seulement la qualité variable de la substance du cerveau. L'âme a affirmé son unité et sa personnalité. La contradiction entre cette unité et la multiplicité des mouvements cérébraux, la contradiction surtout entre l'identité permanente de l'âme et le changement incessant des parties constitutives du cerveau, a réduit l'hypothèse matérialiste à sa dernière extrémité. En vain s'est-elle défendue : nous avons constaté la nullité de ses explications devant les grands faits de l'affirmation de notre conscience.

Enfin, pour anéantir jusque dans ses fondements la singulière et triste prétention de soutenir que la matière gouverne l'homme, nous avons discuté, à l'aide des faits et des exemples, s'il est vrai que la volonté et l'individualité ne soient qu'illusion, s'il est vrai que la conscience et le jugement dépendent de la nourriture. Les exemples historiques des énergiques volontés humaines et des grands caractères, du courage, de la persévérance, de la vertu, ont fait justice des dernières objections du matérialisme contemporain, et montré que les facultés intellectuelles et morales n'appartiennent pas à la chimie, et que l'esprit réside en un monde distinct de celui de la matière, supérieur aux vicissitudes et aux mouvements transitoires du monde physique. Notre âme n'a pas permis que la dignité humaine, la liberté, les principes sacrés du beau, du vrai et du bien fussent ensevelis dans le chaos de l'hypothèse matérialiste.

Cette déclaration des droits de l'âme a pour épigraphe la proposition du docteur angélique : L'âme est la forme du corps, et la contient en acte et en puissance.

Les trois grandes divisions que nous venons de résumer ont eu pour complément naturel et confirmation nos considérations sur la destination des êtres et des choses. Nous avons apprécié l'erreur et le ridicule de ceux qui rapportent tout à l'homme, et l'erreur opposée de ceux qui nient l'existence d'un plan dans la nature. Les lois organisatrices de la vie, la construction merveilleuse des organes et des sens nous ont révélé une cause intelligente dans l'établissement de la vie sur le globe. L'hypothèse de la formation des êtres vivants sous la puissance d'une force instinctive universelle, l'hypothèse de la transformation des espèces, loin de détruire l'idée du Créateur, ont laissé intactes sa sagesse et sa puissance. Et ainsi le plan de la nature fut annoncé par la construction des êtres vivants.

Le plan de la nature fut affirmé plus éloquemment encore par les faits de l'instinct dans le règne animal, et la création nous est apparue magnifiquement complétée par les lois qui en assurent la durée et la grandeur. Mais en même temps que la présence de Dieu se manifestait avec plus de force à nos yeux, le problème général de la destinée du monde nous apparut plus vaste et plus redoutable, notre insignifiance comparative s'est accusée, et ainsi la conduite de notre plaidoyer nous a ramené naturellement à l'affirmation de l'idée dominante de notre point de départ : montrer également l'erreur de l'athéisme et de la superstition religieuse.

Cet examen de la causalité finale a eu pour épigraphe le titre de l'œuvre du grand physicien et philosophe .

La force spirituelle qui vit dans l'essence des choses et gouverne l'univers dans ses infinitésimales parties s'est ainsi successivement révélée dans le monde sidéral, dans le monde inorganique, dans le monde des plantes, dans le monde des êtres animés et dans le monde de la pensée. Nous avons l'espérance que l'observateur de bonne foi, dont l'esprit n'est troublé par aucun système, aura saisi dans cet exposé des derniers résultats de la science contemporaine, l'affirmation incessante de la souveraineté de la force et de la passivité de la matière. Nous avons l'intime conviction que l'idée de Dieu s'est présentée à ses yeux plus grande et plus pure que toute image symbolique et dogmatique, et que la création universelle, fille mystérieuse de la même pensée, lui est apparue plus immense et plus belle. L'univers s'est développé dans sa réalité, comme la manifestation d'une seule idée, d'un seul plan, d'une seule volonté. Puisse ce tableau de la vie éternelle de la nature en Dieu, avoir éloigné des âmes les erreurs grossières que le matérialisme sème de toutes parts, et avoir affermi nos intelligences dans le culte pur de la Vérité. Puissent nos esprits se pénétrer de plus en plus du Beau manifesté dans la nature, et se sanctifier dans le Bien, en appréciant plus complètement l'unité de l'œuvre divine, en se formant une plus juste idée de notre destinée spirituelle, en connaissant notre rang sur la Terre relativement à l'ensemble des Mondes, en sachant enfin, que notre grandeur est de nous élever sans cesse dans la possession des biens impérissables qui sont l'apanage du monde des intelligences ! (...) »

Camille Flammarion, in Dieu dans la nature, 1867 (pages 533 à 545)

N.B. : il existe une Association des amis de Camille Flammarion.

20:20 Écrit par Boreas | Lien permanent | Tags : camille flammarion, dieu dans la nature, science |  Facebook | |  Imprimer | Pin it! |