La plupart des Russes croient vraiment que l'Ukraine est russe ! (23/09/2014)
Des croyances qui remontent à l'Empire russe et aux mythes forgés par lui
Vous allez finir par me dire que je radote. Que je suis un obsessionnel. Que j'en fais trop. Troisième billet de suite sur l'histoire de la Russie et de l'Ukraine, ce blog devenu depuis six bons mois un lieu essentiellement consacré à la crise ukrainienne, à contre-courant du mainstream de la « mouvance » patriotique française sur le sujet... Au fou !
En fait, derrière la défense de la révolution ukrainienne et la lutte de ce pot de terre contre le pot de fer de la propagande russe, qui m'ont attiré autant d'insultes par des partisans de la politique étrangère voire intérieure de Poutine, que de rencontres avec des gens remarquables de lucidité et souvent de courage, français voire ukrainiens, j'essaie juste de comprendre les raisons profondes de cette crise.
Et notamment, de comprendre comment, même bombardée de propagande kremlinesque, il est possible que la Russie, au sens ethnique du terme, dont j'admire tant d'écrivains et de musiciens, qui a tant souffert du bolchévisme mais a aussi produit tant de dissidents, soutienne autant cette politique poutinienne en Ukraine, qui apparaît à la grande majorité des Occidentaux comme une injustice criante, une voie de fait brutale, vicieuse, ignoble - ce qu'elle est, objectivement -, comme un pur impérialisme.
Eh bien, je pense avoir trouvé une réponse : la plupart des Russes croient vraiment, de bonne foi, que l'Ukraine est russe !
Cela peut sembler incroyable. C'est pourtant ce que dit Alexeï Venediktov, rédacteur en chef de la radio Echo de Moscou, une des seules radios russes indépendantes du pouvoir, sinon la seule (paradoxe russe, c'est Gazprom qui en est l'actionnaire majoritaire ; c'est dire, aussi, à quel point cette indépendance est fragile) :
Lors d'un séminaire intitulé : « Russie-Ukraine : un pays ou deux ? », Venediktov a déclaré : « [Dans mon métier], je parle à des décideurs russes. Tels que je comprends ces gens, qui sont habituellement des gens normaux, comme le whisky et les échecs, ils pensent qu'il n'existe aucune nation telle que l'Ukraine ».
Selon lui, l'élite politique russe considère les Ukrainiens, les Bélarussiens et les Russes comme une seule nation. Venediktov note que ces politiciens ne sont pas des impérialistes, des réactionnaires et des obscurantistes, mais des gens ordinaires, dont certains sont diplômés de bonnes universités européennes.
« Ils sont convaincus qu'il y a un territoire, mais deux régions (l'Ukraine et la Biélorussie) séparées pour des raisons historiques. Parfois, cela arrive. Il y a eu deux Etats allemands. Aujourd'hui, nous avons trois Etats russes : la Petite Russie, la Biélorussie et la Grande Russie. Cela finira un jour. C'est comme cela qu'ils voient le problème. C'est leur attitude de base envers les événements en Ukraine. C'est une nation, un territoire, un grand Etat. Ce n'est pas une vision impérialiste et/ou nationaliste, c'est une vision courante. Les décideurs reflètent la vision de la plupart de leurs concitoyens. Demandez aux gens dans la rue, à la Maison Blanche ou sur la Place Rouge et vous entendrez presque la même réponse. Il est vrai que 85 à 87% [de la population] sont de cet avis », a dit le journaliste.
Alexeï Venediktov pense que la génération actuelle des gens qui dirigent la Russie reconnaît légalement l'existence de l'Ukraine en tant qu'Etat séparé, mais considère cela comme une injustice historique. Ils pensent qu'il y a, historiquement, une nation et un Etat. Les Ukrainiens et Bélarussiens sont des Russes, mais avec un autre dialecte.
« Donc, il faut que nous soyons ensemble. C'est pourquoi nous avons l'Union Douanière, la fraternité slave, trois Etats et ainsi de suite. Boris Eltsine, qui l'a déclaré tant en public qu'officieusement, le pensait et Vladimir Poutine le pense. Ce qui arrive à l'Ukraine est pour eux, dans une certaine mesure, une lutte pour la justice », note le journaliste.
Les Russes considèrent les Ukrainiens et les Bélarussiens comme des nations fraternelles, comme si elles étaient des parties de la Russie. Ils ne peuvent se débarrasser de ce stéréotype. [...] Le paragraphe « Rous' de Kiev » a été remplacé par le paragraphe « Rous' » dans les nouveaux livres d'Histoire scolaires. Le manque d'instruction conduit à des idées et décisions erronées, observe Venediktov.
Traduit (partiellement) de l'anglais par mes soins. Reproduction autorisée sous réserve de citer verslarevolution.hautetfort.com en source.
En France, une croyance similaire, héritée de l'historiographie russe, a conduit et conduit encore certains spécialistes aux mêmes erreurs. Mais selon la journaliste dissidente russe Anastasia Kirilenko, la crise ukrainienne est susceptible de faire évoluer cette situation.
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H.S. : je m'absente jusqu'à la fin de la semaine et ne serai donc pas en mesure de valider vos éventuels commentaires avant samedi prochain. Bien cordialement.
12:42 Écrit par Boreas | Lien permanent | Tags : russie, ukraine, russes, ukrainiens, biélorussie, bélarussiens, echo de moscou, alexeï venediktov, nation, petite russie, grande russie, stéréotype, séparation, etats, peuples, erreurs historiques russes, anastasia kirilenko | Facebook | | Imprimer | |
Commentaires
Pour mon retour, je lutte contre la grosse tête :-) :
https://twitter.com/Gaston_Besson/status/515376120292990976
https://www.facebook.com/pravyi.sektor.europa/posts/366309943533515
Écrit par : Boreas | 26/09/2014
c'est autre chose que d'être cité par la petite p... de Latsa! ;)
Écrit par : tarkan | 26/09/2014
La plupart des Francais le croient aussi.
Écrit par : Denys | 27/09/2014
Franchement, Denys, je ne le pense pas.
Écrit par : Boreas | 27/09/2014
Denys, c'est faux. Tout d'abord parce que vous devez être comme Boreas et moi, vous avez la sale habitude d'aller sur des sites où certains tocards de l'espace veulent faire passer en force leurs idées. ;)
Dans la réalité, je n'ai croisé aucun français affirmant que l'Ukraine, c'est la Russie.
Écrit par : tarkan | 28/09/2014