Festivus narcissus gregarius (22/07/2013)
(vidéo de 2012)
« Michel Maffesoli : Actuellement nous vivons un vrai changement civilisationnel, ce ne sont plus les grandes valeurs modernes (le travail, la raison) qui prédominent mais l’hédonisme et le culte des images.
Le corps qui était jusque-là un outil de production se valorise par lui-même. Pendant l'été on peut résumer les phénomènes par cette phrase : la valeur des grandes vacances, c’est la vacance des grandes valeurs. Ce qui fait l’intérêt de ces congés d’été c’est en autres que les grandes valeurs de travail laissent la place à autre chose. On voit apparaître sur les plages une cosmétisation des corps, une valorisation de ces derniers. La cosmétisation est une mise en relation avec le cosmos, la nature. Ce corps valorisé s’exhibe, c’est un nouveau rapport à la nature, non pas que je dois dominer mais qui d’une manière me domine.
La plage est un lieu où le jeu des apparences est prédominant, car le corps n’est plus caché, il est mis à nu. Donc il y a des exigences : la minceur par exemple. Les parties qui sont cachées le reste du temps, les fesses, les seins, reprennent une valeur à la plage parce qu’elles sont à moitié découvertes.
Pourquoi les corps sur les plages ne sont-ils plus les mêmes qu'il y a 25 ans ?
La mode à un côté autoritaire : il faut s'y plier. Après cela ne signifie pas que si vous ne rentrez pas dans les cases vous n'allez pas à la plage. Depuis deux ou trois décennies, on est dans un processus d’accélération de l'hédonisme. Le plaisir du corps pour lui-même non pas en fonction de quelque chose d’autre. Nous sommes pour ainsi dire à la fin d'un cycle, mais ce n’est pas la première fois dans l’histoire humaine qu’il y a cette valorisation du corps.
Dans la décadence romaine, les thermes romains avaient cette même fonction d’exhiber. Il y a des grands moments où le corps se valorise, c’est le retour de Dionysos : dieu du plaisir et de l’apparence. Aujourd’hui on est dans cette grande tendance mythique d'un retour par compensation de ce qu’on avait négligé. Ce phénomène se retrouve sur la plage car c’est le lieu de spectacle par excellence.
Sommes de plus en plus conscient de l'image de nous renvoyons ?
C’est tout le rôle de l’image. Ce qui était la grande marque moderne c’est que j’existais par moi-même, c’est la grande idée cartésienne d'être enfermé dans la forteresse de mon esprit. Aujourd’hui je n’existe que par et sous le regard de l’autre. C’est parce que l’autre me voit que je suis, donc il faut que je dégage une bonne image. Je ne suis pas auto-suffisant je suis dépendant du regard des autres. La mode c’est ça, c’est un processus qui fait que si je ne suis pas vêtu d’une telle manière, je n’existe pas. On voit donc le retour du corps omniprésent.
Développe-t-on davantage de complexes par rapport à notre corps qu'auparavant ? Comment l'expliquer ?
Il existe en effet un sentiment de culpabilité, on le voit par la multiplication des régimes alimentaires. Deux, trois mois avant les vacances on commence à se préparer pour la plage. Pour l’injonction sociale aux corps beaux, je dois ajuster mon corps. A l’encontre de ce qui est une idée convenu et entendue régulièrement qui considère que l’individualisme prévôt, je pense que c'est l’autre qui me crée qui prévôt, soit le tribalisme. La société, la tribu fait que je ne suis pas libre de moi-même, je dois me plier aux injonctions.
Notre rapport au corps est-il sexualisé à outrance ?
Oui, ce qui était derrière le mur de la vie privée, le sexe, s’exhibe désormais. On met sur le devant de la scène ce qui est caché, c’est-à-dire une sexualité. Cette sexualité n'est plus simplement génitale, c’est-à-dire pour faire des enfants. Elle contamine l’ensemble du corps social. On le voit partout, par exemple dans le dernier parfum de Jean-Paul Gaultier, où un corps d’homme est mis en spectacle. Aujourd’hui ce n’est plus seulement le corps de la femme qui est scénarisé, cette sexualisation va toucher ce qui était sérieux dans l’idéologie moderne c’est à dire l’homme ; il se met aussi en spectacle avec le corps nu. Il y a une sexualisation dans le corps en spectacle et hommes et femmes y prennent part.
Chez les hommes, le rapport au corps est-il le même que pour les femmes ? Quelles sont les différences ?
La cosmétisation était réservée aux femmes jusqu’à ces deux dernières décennies. Les produits de beauté masculine deviennent de plus en plus important ce qui traduit une globalisation de la valorisation et de la sexualisation du corps. Ce n’est plus une honte de se cosmétiser pour un homme et d’aller dans les salons de beauté.
Il reste des différences dans leur rapport, mais elles s’amenuisent. Mais il y a encore 30 ou 40 ans un homme qui mettait du parfum ou des crèmes était féminisé, aujourd’hui c’est devenu presque une évidence : la déitétique, le soin du corps…
Les rapports sociaux sur les plages sont-ils modifiés du fait de notre semi-nudité ?
Ce qui est intéressant sur les plages, c’est que suivant notre corps je vais me coller à telle ou telle tribu. On va être attribué à une catégorie de personnes grâce à son look. Un chercheur brésilien a fait une étude sur les plages de Rio, et il montre que là où se trouve les grands points de rendez-vous – des blocks – nous allons retrouver certaines catégories de personnes. Ce modèle s’applique aisément aux plages françaises. Le look rend visible une force invisible : cela créer certains types de tribus. »
21:15 Écrit par Boreas | Lien permanent | Tags : michel maffesoli, homo festivus, plage, vacances, culte du corps, féminisation, sexualisation, grégarisme, narcissisme, conformisme, tribalisme, hédonisme | Facebook | | Imprimer | |
Commentaires
Le narcissisme développé est inversement proportionnel à la beauté des corps exposés.
Écrit par : Three piglets | 23/07/2013
Tout le monde se fout de tout et surtout des autres, mais en même temps tout le monde veut se faire reconnaître par tous les autres en s'exhibant à outrance. Ce peuple est malade, y'a pas à dire.
Écrit par : Arbre Sec | 23/07/2013
Il n'est même pas certain que l'hédonisme soit encore d'actualité : je vois plutôt une phase post-hédonique dans laquelle la recherche du plaisir s'est muée en un individualisme autodestructeur, amorphe, lisse, sans saveur. Quant à la sexualisation, elle exhibe trop pour conserver un certain érotisme.
Ceci étant dit, il y a quelques bonnes trouvailles dialectiques : "La société, la tribu fait que je ne suis pas libre de moi-même, je dois me plier aux injonctions".
"Le look rend visible une force invisible : cela créer certains types de tribus" : créer des tribus, très utile pour le marketing.
Très drôle aussi mais pas dans le texte, les magazines féminins où l'on peut lire : "Si vous voulez être différente des autres / Si vous souhaitez être originale / essayez tel look ou telle expérience". L'injonction à l'originalité lorsque le magazine est lu par des dizaines de milliers de lectrices est risible.
Écrit par : Anne Onyme | 23/07/2013
pitoyable
Écrit par : hoplite | 24/07/2013